2666, Roberto Bolaño

Par Sara
Un mastodonte de la littérature chilienne, et je ne parle pas qu'au figuré...

Libres pensées...
Le roman, inachevé à la mort de l'auteur, avait pour vocation de constituer cinq livres, qui ont finalement été regroupés pour former une oeuvre unique.
S'il y a une cohérence d'ensemble, tissée autour du personnage récurrent d'Archimboldi, on note néanmoins à la lecture une disparité dans les cinq parties, en termes de lieu, de protagonistes, d'intrigue, mais aussi de style. Appréhender l'oeuvre dans son intégralité consiste donc en un exercice exigeant.
Si le roman débute de manière relativement classique, en nous présentant des protagonistes universitaires passionnés par un auteur obscur, Archimboldi (à ne pas confondre avec le peintre Arcimboldo, novices!), et l'on se croirait alors presque dans un livre de David Lodge, passé maître en la matière.
Puis, dans une partie suivante, centrale, la plus aride sans le moindre doute, on trouve un style journalistique, où les crimes commis sur des jeunes filles dans une ville mexicaine, Santa Teresa, sont passés en revue les uns après les autres. Or, ils sont des dizaines et des dizaines. Plusieurs centaines de pages composent donc cette longue litanie de crimes odieux, et peuvent pousser le lecteur dans ses retranchements, tant cela s'écarte de la langue et de l'usage romanesques, d'autant plus que l'on peine à comprendre où l'auteur veut en venir.
A la réflexion, on réalise que l'aspect répétitif fait penser au minimalisme rencontré dans plusieurs domaines artistiques, et génère une angoisse qui gonfle à mesure que s'installe l'atmosphère lugubre dans laquelle les féminicides en série demeurent des crimes impunis.
La langue est donc riche et multiple, rendant l'univers particulièrement complexe. De fil en aiguille, on comprend qu'Archimboldi est le fil rouge, mais l'approcher comme protagoniste se mérite, si bien que l'on fait des détours avant, enfin, de parvenir à ce qu'il soit dans l'action, et non l'objet de l'intérêt de quelques rares universitaires.
2666 offre une expérience de lecture déstabilisante, loin de toute zone de confort dans la mesure où le roman, à mon sens, ne ressemble à aucun autre. C'est, en quelque sorte, comme aller voir l'opéra Einstein on the beach : on ne sait pas si l'on fera cela deux fois dans sa vie, mais une chose est sûre, on s'en souvient !
Pour vous si...
  • Rien ne vous fait peur
  • Vous vous délectez des textes énumératifs où l'on ne vous épargne pas les détails peu ragoûtants. 

Morceaux choisis
"Bon, dit le jeune Guerra, si vous voulez savoir ce que je pense, je ne crois pas que ce soit vrai. Les gens voient ce qu'ils veulent voir et ce qu'ils veulent voir ne correspond jamais à la réalité. Les gens sont lâches jusqu'à leur dernier souffle. Je vous le dis confidentiellement : l'être humain est, grosso modo, ce qu'il y a de plus ressemblant à un rat."
"Le poivrot rit parce qu'il croit qu'il est libre, mais en réalité il est dans une prison, avait dit Oscar Amalfitano, c'est là que se trouve, disons, le truc amusant, mais ce qui est sûr c'est que la prison est dessinée de l'autre côté du disque, et donc nous pouvons aussi affirmer que le poivrot se moque de nous parce que nous croyons qu'il se trouve en prison, sans nous rendre compte que la prison se trouve d'un côté et le poivrot de l'autre, et on aura beau faire tourner le disque et avoir l'impression que le poivrot est en prison, la réalité c'est là. De fait, nous pourrions  deviner de quoi rit le poivrot : il rit de notre crédulité, c'est-à-dire qu'il rit de nos yeux."
"_Amnésie, c'est lorsqu'on perd la mémoire et ne se souvient de rien, ni de son nom ni de celui de sa fiancée.
Et elle ajouta :
_Il existe aussi une amnésie sélective, lorsqu'on se souvient de tout ou que l'on croit se souvenir de tout, et que l'on a oublié une chose, la seule chose importante de sa vie."
Note finale3/5(cool)