Libérées !, Titiou Lecoq

Par Sara
Youhou, le grand retour de Titiou Lecoq ! Et oui, les temps changent, elle nous faisait dans le bon vieux temps l'inventaire et le classement des chiottes parisiennes, aujourd'hui, on parle chaussettes et panier de linge sale. Mais ne partez pas en courant, il se trouve que c'est follement intéressant. 

Libres pensées...
Dans son essai, Titiou Lecoq part de la contemplation d'une chaussette abandonnée sur le sol, et déroule le fil d'interrogations autour de la répartition des tâches ménagères, de l'équité entre hommes et femmes dans l'occupation de l'espace domestique, et des possibilités de l'instaurer.
Le point de départ de sa réflexion est simple : enfant, puis adolescente, puis adulte, elle ne s'est jamais véritablement sentie "femme". Il a fallu cette chaussette à l'abandon, pour la rappeler à la condition féminine, et à une situation qui est devenue la sienne lorsqu'elle a eu des enfants : le périmètre domestique est devenu sien, elle est devenue, contre son gré, garante de la propreté et de l'ordre dans la maison, alors que la situation de départ avec son conjoint (ie avant l'arrivée des enfants) était relativement égalitaire.
En utilisant des anecdotes tirées de son quotidien, elle décortique la façon dont l'inégalité s'est creusée, et les conséquences désastreuses qu'ont pu avoir certaines de ses revendications ou positions visant à restaurer l'égalité (notamment, la prise en charge par son conjoint de la maladie de l'enfant). L'auteur parle charge mentale, l'analyse, pour prendre toute l'ampleur de ce qui incombe aux femmes, sans même qu'elles ne s'en aperçoivent parfois.
Elle identifie également un étrange écart entre les perceptions de l'inégalité de répartition des tâches, et la perception de l'équilibre au sein de son propre ménage : alors que les enquêtes prouvent que les femmes sont significativement plus impliquées que les hommes dans ces tâches, lorsqu'on leur demande individuellement, beaucoup répondent que la situation dans leur foyer est "équitable". En cause, le fait que les femmes se sentent responsables du domaine domestique, et à ce titre, estiment qu'il est naturel qu'elles doivent faire plus (y compris les femmes issues de jeunes générations, car il s'agit d'un schéma ancré dans les consciences très tôt), en outre, le cercle vicieux se crée, puisque celui qui passe le plus de temps à la maison peut consacrer plus de temps aux tâches ménagères, or les femmes sont souvent celles qui sacrifient leur évolution professionnelle au profit de la vie de famille, et qui, par conséquent, sont le plus souvent à la maison. On rejoint ici les thèses de Despentes, et de nombreuses autres féministes et penseurs/penseuses de la question féministe : l'intérieur est le domaine des femmes, l'extérieur est celui des hommes.
Comme toujours, la franchise et le ton spontané de Titiou Lecoq sont rafraîchissants. J'ai regretté qu'elle ne poursuive pas davantage son analyse, qui aurait, je pense, pu être encore plus étoffée, mais j'ai apprécié le fait que l'essai mette en avant l'analyse et la réponse de l'auteur à certaines des objections les plus souvent soulevées concernant une égalité dans la répartition des tâches domestiques. Ma préférée : l'idée selon laquelle les femmes, dans les sociétés comme la France, ne devraient pas autant se plaindre, car la situation s'est nettement améliorée en quelques décennies, et il faut laisser du temps aux hommes pour changer et s'adapter à cette transformation. Moui. Excellente réponse de Titiou : lorsque je parle répartition des tâches ménagères, il n'est pas légitime que je me compare à la situation de ma mère, ou de ma grand-mère, ou des femmes au XIIe siècle : je vais comparer ma situation à celle de mon conjoint, comparer mon quotidien au sien, car il n'y a pas de raison pour que ces deux quotidiens-là soient déséquilibrés concernant la prise en charge des tâches ménagères.
Bien entendu, Titiou Lecoq ne sous-estime pas la force des habitudes, la difficulté à les faire changer, mais elle décrit intelligemment ce piège qui se referme sur la jeune femme en couple qui, souvent à la naissance des enfants, voit sa situation changer et son rôle inclure la responsabilité de la logistique familiale. La prise de conscience est la première étape pour pouvoir ouvrir le débat, et aller dans le sens d'un meilleur équilibre. 
Pour vous si...
  • Vous ne comprenez pas comment vous avez pu en arriver là.
  • La notion de charge mentale vous a soudain fourni une clef de compréhension de votre quotidien. 

Morceaux choisis
"Etre une femme, ce n'était pas seulement l'idéal d'être "féminine", c'était le souci permanent des autres et du foyer, la préoccupation de l'ordre, du propre, de l'organisation : c'était être sans cesse ramenée à la saleté, les taches, la morve."
"Il s'agit pour les hommes de devenir des citoyens à part entière de leur maison. Parce qu'en l'état actuel des choses, ne nous leurrons pas, les hommes vivent chez les femmes. La répartition des tâches ménagères révèle que la maison reste un territoire féminin. Etre vraiment chez soi, c'est d'abord savoir où chaque chose est rangée."
Note finale3/5(cool)