Marcus Malte
Zulma
18 août 2016
535 pages
Le garçon n'a pas de nom. Le garçon naît une seconde fois à la mort de sa mère lorsqu'il part à la découverte du monde qui l'entoure et surtout des hommes qu'il n'a jamais rencontrés auparavant. Le garçon ne parle pas. Le lecteur ne sait jamais ce que pense le garçon, il reste un personnage mystérieux, mutique mais ô combien attachant. Ses actes parlent pour lui. Les personnages qui jalonnent son chemin sont autant de témoins de son parcours atypique. Ils ne sont pas de simples esquisses mais des êtres de chair, au caractère bien trempé, trempé dans l'encre d'un auteur talentueux.
Ce roman déroule trente ans de la vie du garçon, de 1908 à 1938, une guerre, un amour, des rencontres essentielles, tout ça narré par un écrivain hors norme. De nombreuses références littéraires émaillent ce roman (dont Green, mon poème préféré de Verlaine !) et contribuent, s'il en était besoin, à la richesse du roman. L'histoire du garçon s'inscrit dans la grande Histoire (avec des pages fort intéressantes sur les événements survenus certaines années), il en est un des acteurs entre 1914 et 1916.
La langue de Marcus Malte est aussi sensuelle que rude et âpre, poésie et réalisme cru se côtoient avec naturel. Grâce à un style impeccable, un rythme qui alterne des phrases longues et haletantes quand elles traduisent de l'anxiété, des phrases langoureuses pour le temps de l'amour charnel, des phrases courtes et sèches quand elles évoquent la mort, la guerre, grâce aux mots choisis avec soin, aux images poétiques, ce roman m'a complètement séduite.
C'est un roman qu'on lit avec délectation, qu'on rechigne à quitter et qu'une fois la dernière page refermée, on regrette d'avoir lu parce qu'il ne sera plus à découvrir et on jalouse le lecteur qui ne l'a pas encore ouvert.
Oserais-je dire que ce garçon-là m'a donné du plaisir...
" Votre peuple n'est constitué que de valets et de maîtres, d'une grande quantité de valets et d'une petite poignée de maîtres, d'une infinité de valets, pour un unique maître au final, chaque valet aspirant de tout son cœur et de toute son âme à passer maître à son tour, mais chaque maître étant en réalité le valet d'un autre maître encore plus important que lui [...] Le cycle se poursuivra et la cohorte des valets se perpétuera. Parce que ce qui fait un valet ce n'est pas son maître, ce qui fait un valet c'est son désir de devenir maître. Cela et rien d'autre. Tuer le maître ne serait donc d'aucune utilité, ce qu'il faut c'est tuer, c'est éradiquer le désir de l'être. "
" Le rituel veut qu'elle lui tende d'abord le volume choisi. Il le prend. Il en effleure, en caresse les deux faces, dessous, et la tranche au milieu qui les sépare et qui les lie. Ses gestes ont la douceur des prémices et la solennité des sacrements. Elle ne le quitte pas des yeux. Ensuite il y plonge le nez. Pour mieux dire, il le porte à l'orée de ses narines et l'ouvre, l'évente délicatement et respire, hume, s'imprègne des senteurs d'encre et de papier et peut-être, qui sait, du parfum même des mots. Il referme le livre et le tient encore un moment dans ses mains serré. Puis le lui rend. Elle s'en saisit. "