Tout est brisé · William Boyle

Par Marie-Claude Rioux

Si Gravesend a eu l’effet d’un coup de massue, je n'en attendais pas moins de Tout est brisé. Je suis un peu sonnée, mais je marche encore droit, et ce, à mon grand désarroi. J'aurais bien aimé être davantage désarçonnée. Enfin...Bensonhurst, Brooklyn, de nos jours. Erica traîne sa cinquantaine fatiguée comme on traîne un gros boulet. Cette veuve gagne sa vie comme assistante de direction dans un cabinet d’urologie. Elle est retournée vivre chez son père après le décès de sa mère et les coups durs du destin qui lui ont vidé les poches. Sa situation pourrait difficilement être pire. Elle a enterré son mari Eddie, mort d’une tumeur au cerveau. Sa mère s’est cassée une hanche et n’est jamais sortie debout de l’hôpital. Comme assise à côté d’elle-même, Erica se sent au bord de sa vie depuis longtemps. Hospitalisé à la suite d’une pneumonie, son père veut rentrer chez lui et mourir en paix dans son lit. En bonne fille soumise, Erica le ramène au bercail.Le bonhomme n’est pas des plus sympathique. Il mène la vie dure à sa fille, comme si elle avait besoin de ça. Jeannie, la soeur hippie d'Erica, ne l'aide pas des tonnes, elle-même accaparée par son homme cloué dans un fauteuil roulant.Erica a un fils. Un grand galet de vingt-trois ans. Jimmy a lâché l’école et s’est fait la malle à Austin, au Texas. Il ne donne pas de nouvelles à sa mère. De toute façon, qu’aurait-il à lui dire? Jimmy se saoule pour ne pas penser au puits asséché qu'est sa vie. Il est en attente, toujours. Dans l’attente que quelque chose ou que quelqu’un survienne. Son ex-petit ami l'expédie chez sa mère. Il est là, mais voudrait tellement être ailleurs. Un soir, dans un bar, il fait une étrange et surprenante rencontre. C’est Frank. Un ange au grand coeur qui apportera quelques heures de gaieté dans la vie d’Erica et de Jimmy. Pendant qu'Erica fait tourner la machine, Jimmy décide de déguerpir une fois de plus. Maman sera-t-elle encore là pour voler à son secours?

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Tout est brisé

m’a laissée sur ma faim. J’ai eu l’impression d’arriver en pleine milieu d’une pièce de théâtre. Le présent d'Erica et de son vieux père est tellement prenant que la deuxième partie, qui marque l'arrivée de Jimmy, m'a agacée. Après quoi, Jimmy a pris trop de place à mon goût. J'aurais préféré retourner auprès d'Erica et de son père tyrannique. Devant le grand coeur et le dévouement d'Erica, difficile d'éprouver de la sympathie pour son ingrat de fils. Jimmy m’a fait grincer des dents. Son ingratitude m’a horripilée. J’avais envie de lui donner quelques coups de fouet bien sentis. Bon, il est dépressif et alcoolique. D'accord. Mais avec toutes les mains secourables qui lui sont tendues, il a tout pour prendre du mieux. Eh ben non!

William Boyle plonge ses personnages dans un quotidien anxiogène. La solitude effraie, les relations familiales tiennent à un cheveux, la lassitude paralyse. À quoi bon? Y’a quelque chose qui m’échappe. Je n’ai pas compris ce que Frank venait faire dans le roman. Il sort de nulle part, fait une saucette dans la vie de Jimmy et de sa mère, et disparait aussi vite qu’il est arrivé. Au final, qu’apporte-t-il? Je n’ai pas trouvé de réponse.L'omniprésente de la littérature m'a ravie. Jimmy lit 

Maudit soir le fleuve du temps

de Per Petterson. Un hasard?Carson McCullers, Camus, Thomas James, James Purdy, et jusqu'à Flaubert sont évoqués.William Boyle apporte une touche d’intertextualité intéressante en faisant un clin d’œil à Gravesend. Le personnage de Duncan, l’ado homo assassiné, vient jouer un petit rôle dans la vie de Jimmy. 

Le style est sans complaisance, dépourvu de misérabilisme. Comme dans GravesendWilliam Boyle fait montre d'une grande empathie envers ses personnages. Il se pose en observateur sensible et bienveillant. La misère affective dans laquelle les personnages sont plongés n'est jamais condamnée ni jugée. La fin du roman m’a agréablement surprise. Le huis-clos dans lequel mère et fils se retrouvent laisse présager un rapprochement. Ce qui est plutôt bon signe. 

Tout est brisé

n’est pas un roman «hop la vie». Loin de là. Il est même carrément déprimant. J'admets que ce ne soit pas la tasse de thé de grand monde. Moi, ça me plaît bien. À défaut de déprime dans ma vie, je m'arrange pour aller chercher ma dose dans les romans! Malgré cette noirceur à faire naître des envies suicidaires, malgré le ton 
désenchanté, le deuxième roman de William Boyle fait partie de ceux qui continueront de me hanter pour longtemps.

Tout est brisé,

William Boyle, trad. Simon Baril, Gallmeister, 208 pages, 2017.