Dimitri Chostakovitch, Krzysztof Meyer

Dimitri Chostakovitch, Krzysztof Meyer


La biographie est découpée en tranches de la vie de Chostakovitch (par exemple : 1953-1956). L'approche est chronologique, et se distingue par la richesse des éléments restitués.

En effet, le biographie prend le temps de décrire le contexte dans lequel évolue Chostakovitch, la relation entre le régime soviétique et les artistes, qui occupe une place centrale dans la compréhension du parcours de Chostakovitch et de certains de ses pairs, frappés eux aussi de censure, de désaveu, à certains moments de leur vie.

Le texte aborde notamment la création des différentes symphonies du compositeur, en propose tantôt une analyse, et évoque également la réception par le public, ce qui lui apporte de la profondeur (bien que l'on puisse voir là, bien entendu, des partis pris de l'auteur avec lesquels on peut être en désaccord de par ses propres goûts) et témoigne de la passion qui anime l'auteur pour l'oeuvre de Chostakovitch.

Car Meyer nous raconte l'immense artiste, ses démêlés avec Staline, avec le régime qui l'accuse, ainsi que d'autres, de s'adonner au formalisme, de flirter avec l'atonalité, qui constitue une dérive dégénérée, et n'est pas digne du peuple soviétique. Il est intéressant de noter, bien évidemment, que c'est la notion de peuple qui est systématiquement brandie par le régime pour accabler les artistes : il faut que la musique soit destinée au peuple, qu'elle soit pour cela accessible, tonale, qu'elle se fonde dans un moule relativement classique. A cet égard, la posture de Chostakovitch est ambiguë : il ne se dresse jamais complètement contre le régime, même lorsqu'il prend part à des interviews à l'étranger, il appuie le bien-fondé des reproches qui lui sont adressés, déclare publiquement que le régime est juste de le villipender, car son souci est avant tout de contenter le peuple.

Mais Meyer cherche également l'homme à travers son étude : qui était Chostakovitch ? Pour répondre à cette question, il se plonge dans sa correspondance, dans les relations avec ses différentes femmes, avec son fils Maxim, avec les autres artistes soviétiques (sa rencontre avec Stravinski est hilarante) et avec son public également, s'appuyant en cela sur ses propres rencontres avec lui, à l'occasion desquelles l'homme s'est montré parfois étrange, froid, alors qu'ils ont entretenus pendant des années une relation épistolaire plutôt chaleureuse.

La biographie de Krzysztof m'a donc paru très étoffée, érudite (l'analyse musicale m'a parfois échappée, je le confesse...), et riche de par la volonté de l'auteur d'appréhender les différents visages de Chostakovitch, faisant l'artiste comme l'homme.


"Siloti resta silencieux un moment puis il dit à ma mère : "Ce petit ne fera pas carrière. Il n'a aucun don pour la musique. Mais s'il en a envie, eh bien... qu'il apprenne." " (l'expression "L'instinct solide de Siloti" mériterait de passer à la postérité, tout comme "l'instinct solide de Wilhelm II", qui croyait dans l'avenir du cheval comme moyen de transport)

"Il avait pour ambition de créer un langage musical original, contemporain, et de s'essayer à une grande forme, un opéra si possible. [...] Il rêvait d'écrire un opéra sur un thème contemporain, qui s'inspirerait de l'ouvrage d'un jeune poète actuel."

"Et lorsqu'on lui demanda laquelle de ses oeuvres lui apportait le plus de satisfaction, il répondit : "Si ma musique me satisfaisait, je cesserais d'être compositeur." "

"Les efforts réitérés de Stravinski pour engager la conversation échouèrent devant les réponses monosyllabiques de Chostakovitch, qui refusait ostensiblement tout échange. Selon toute apparence, leurs relations étaient condamnées à en rester là lorsque Stravinski demanda soudain : "Aimez-vous Puccini?" Chostakovitch s'écria : "Je ne peux pas le supporter, je ne peux pas le supporter !" - et Stravinski donna cours à sa joie. C'est ainsi que le dialogue se noua enfin."