Paris, en 2050. La dictature s’est installée en France et Kader, suite à une condamnation dont on ne connaît pas les causes, a subi une injection de sérum l’obligeant à dire en permanence la vérité. Ne pas pouvoir mentir est pour lui un calvaire : « Vous savez ce que c’est d’être obligé de dire la vérité à des gens qui ne veulent surtout pas l’entendre ? ». Kader vit seul, reclus, déprimé. Il ne parle jamais à personne, ce qui est pour lui le meilleur moyen de ne pas s’attirer d’ennuis. Parallèlement, un groupuscule clandestin prépare une action d’envergure susceptible de renverser le régime. Et ce groupuscule semble avoir fait de Kader un maillon essentiel de son plan…
J’ai beaucoup apprécié le fait que rien ne soit offert d’emblée au lecteur. On découvre cet homme seul dans un univers étrange, on déambule avec lui dans un champ d’éoliennes, on le voit « cueillir » un papillon et le glisser dans sa poche. C’est une entrée en matière aussi déstabilisante que plaisante, j’ai eu l’impression de naviguer à vue et de voir apparaître des indices au compte-goutte, comme autant de petits cailloux laissés sur mon chemin pour éclairer ma compréhension de l'histoire.
Au-delà de cette narration ambitieuse, il faut évidemment souligner la dimension politique du propos, la réflexion sur le pouvoir, sur l’importance du mensonge dans les relations humaines (ou du moins l’importance de ne pas toujours dire la vérité selon les circonstances) ou encore sur le pragmatisme qui a tôt fait de rattraper les idéalistes une fois arrivés au pouvoir : « Il est trop tôt pour dire la vérité. Il faut reconstruire le pays, préserver la démocratie. Elle est fragile. »
Le dessin de Nicolas Gaignard m’a souvent rappelé celui de l’excellent Frederik Peeters. J’avoue avoir été fasciné par sa capacité à installer une ambiance étrange, angoissante, avec une économie de moyens remarquable. En quelques traits il croque un monde gris, froid et hostile dominé par des couleurs ternes. Il montre la solitude, les regards vides, le quotidien morne. Graphiquement c’est très sombre et totalement raccord avec la France anesthésiée et sans âme imaginée par Cyril Pedrosa.
Après « Le voyageur » j’enchaîne une seconde BD qui ne brille pas par son optimisme débordant, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais cette triste vision de l’avenir est une fois encore exprimée avec finesse et intelligence, elle pousse à la réflexion sans poncifs ni militantisme maladroit. Une belle réussite qui ravira les amateurs de récit d’anticipation.
Sérum de Cyril Pedrosa et Nicolas Gaignard. Delcourt, 2017. 160 pages. 18,95 euros.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo.
Toutes les BD de la semaine sont aujourd'hui chez Noukette
J’ai beaucoup apprécié le fait que rien ne soit offert d’emblée au lecteur. On découvre cet homme seul dans un univers étrange, on déambule avec lui dans un champ d’éoliennes, on le voit « cueillir » un papillon et le glisser dans sa poche. C’est une entrée en matière aussi déstabilisante que plaisante, j’ai eu l’impression de naviguer à vue et de voir apparaître des indices au compte-goutte, comme autant de petits cailloux laissés sur mon chemin pour éclairer ma compréhension de l'histoire.
Au-delà de cette narration ambitieuse, il faut évidemment souligner la dimension politique du propos, la réflexion sur le pouvoir, sur l’importance du mensonge dans les relations humaines (ou du moins l’importance de ne pas toujours dire la vérité selon les circonstances) ou encore sur le pragmatisme qui a tôt fait de rattraper les idéalistes une fois arrivés au pouvoir : « Il est trop tôt pour dire la vérité. Il faut reconstruire le pays, préserver la démocratie. Elle est fragile. »
Le dessin de Nicolas Gaignard m’a souvent rappelé celui de l’excellent Frederik Peeters. J’avoue avoir été fasciné par sa capacité à installer une ambiance étrange, angoissante, avec une économie de moyens remarquable. En quelques traits il croque un monde gris, froid et hostile dominé par des couleurs ternes. Il montre la solitude, les regards vides, le quotidien morne. Graphiquement c’est très sombre et totalement raccord avec la France anesthésiée et sans âme imaginée par Cyril Pedrosa.
Après « Le voyageur » j’enchaîne une seconde BD qui ne brille pas par son optimisme débordant, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais cette triste vision de l’avenir est une fois encore exprimée avec finesse et intelligence, elle pousse à la réflexion sans poncifs ni militantisme maladroit. Une belle réussite qui ravira les amateurs de récit d’anticipation.
Sérum de Cyril Pedrosa et Nicolas Gaignard. Delcourt, 2017. 160 pages. 18,95 euros.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo.
Toutes les BD de la semaine sont aujourd'hui chez Noukette