Un roman groenlandais? Il m'est forcément venu à l’esprit la neige à perte de vue, le froid extrême, les icebergs, les igloos, les chiens de traîneau, les ours et les phoques. Rien de tout cela dans Homo sapienne, le premier roman d’une jeune Groenlandaise. On est loin, ici, du paysage de carte postale.
Vient Inuk, le frère homo de Fia.
Inuk a fui au Danemark. Ayant honte d'être Groenlandais, il veut faire sa vie ailleurs. Surtout qu'il est dans l'eau chaude depuis que la relation secrète qu'il entretenait avec un député marié est devenue une affaire publique.Au tour d’Arnaq. Abusée sexuellement par son père, elle passe sa vie à demander de l'argent à ses parents, s'étourdit et fuit la réalité dans l’alcool et les liaisons sans lendemain.
Vient ensuite Ivinnguaq,
appelée Ivik. Sa relation avec Sara est conflictuelle. Ivik refuse d’être touchée. Sa crainte d’être rejetée et abandonnée l'empêche de s'avouer qui elle est vraiment: un homme emprisonné dans un corps de femme. Sara l'aidera à se dévoiler.Le roman se termine avec cette dernière. Sara se remet difficilement de la fin de sa relation avec
Ivik. Fia et la naissance de sa nièce l'aident à mettre un baume sur ses cicatrices et à aller de l'avant.Ils sont amis, amoureux, frère et sœur. Ils ont en commun le désir d’aimer et d’être aimé, de se trouver et de s'accepter tels qu'ils sont. Être enfin eux-mêmes. Et ce, en dépit des conventions sociales et des vois tracées de la norme.· · · · · · · · ·Les romans groenlandais se comptent sur les doigts de la main. Homo sapienne est le premier roman d'une nouvelle génération d'auteurs. Vendu à plus de 3000 exemplaires sur une île comptant 55 000 habitants, le roman de
Niviaq Korneliussenest un best-seller au GroenlandLe portait d’une génération dépeint par Niviaq Korneliussen est criant de vérité. Chaque personnage a sa propre voix, sa propre sensibilité. La quête identitaire les unit. La peur d’être seul, le besoin d’être accepté, la honte et la culpabilité, le désir et le sexe, les doutes et les désirs font partie de leur quotidien. La vie nocturne, les beuveries, les afterhours, les lendemains de veille et les gueules de bois occupent leur temps. La principale originalité du roman tient en ce que Niviaq Korneliussen s’amuse à mélanger les langues (français, anglais, groenlandais) et les formes de discours (correspondance, journal intime, réseaux sociaux: #, échanges de texto, Facebook). Le résultat, d'une modernité incontestable, m'a légèrement déroutée, voire agacée (particulièrement le mélange des langues).La musique jour un rôle non négligeable dans le roman. Chaque chapitre porte le titre d’une chanson («Crime & Clover de Joan Jett and the Blackhearts, «Home» des Foo Fighters, «Walk of Shame» de P!nk, «Stay» de Rihanna, «What a day» de Greg Laswell), soulignant l'état d’esprit propre au personnage dont il sera question. Roman urbain? Social? Féministe? Qu'importe la classification. Il s’agit là d’un roman important.Un roman audacieux, porté par un style cru et vibrant.Homo sapienne, Niviaq Korneliussen, trad. Inès Jorgensen, La Peuplade, 232 pages, 2017.★★★★★