La maison familiale des Pike a été cambriolée, mise sans dessus-dessous. Carol, enceinte jusqu’aux oreilles, demande à son grand frère Billy de venir veiller sur leurs vieux parents traumatisés, qui craignent un nouveau carnage et tremblent en entendant le téléphone sonner. Ça fait un bout que Billy n’a pas revu ses parents. Qu’il n’a pas mis les pieds en ville. Ce grand gringalet dans la jeune quarantaine est le mouton noir de la famille (il y en a toujours un). Des mauvais coups, il en a fait plus d’un. Les braquages et les agressions à main armée, il connaît. Depuis, il s’est un peu assagi. Il a travaillé ici et là, trainasser aussi. Après s’être fait larguer et plumer par sa copine Cheryl, il n’y a plus rien qui le retient. Il fait du stop et rentre dans sa ville natale. Sans grandes envies ni convictions. À reculons, disons.
Billy erre sans but, passe du temps pénible avec ses parents et du bon avec son jeune neveu. Il fomente un plan pour coincer Bobby Wise – le présumé coupable des cambriolages. Il rencontre Sharon, atteinte de polio, avec qui il développe un début de relation. Pendant qu’elle est au travail, il lit L’Étranger et La Peste. Un avenir plus radieux pourrait se dessiner pour Billy. Mais non. Parce que Billy se sent creux, disloqué, désoeuvré. Il n’a rien de bon à offrir. Billy est une victime: tantôt consentante (l’un des épisodes les plus marquant du roman), tantôt innocente.
Jusqu’à quel point peut-on se déprendre des mailles de son passé? Naufragé de la vie un jour, naufragé de la vie toujours?· · · · · · · · ·Il y a longtemps que je n’avais pas lu de roman aussi sombre. J’avais trouvé Tout est brisé de William Boyle déprimant. Mais ici, il faut ajouter une couche de plus. Si la fin de Tout est brisé laissait entrevoir un petit éclaircie dans le ciel noir, tout demeure d’une noirceur insondable dans Vulnérables.Sans se soucier de heurter ni de déranger, Richard Krawiec délivre un roman d’une âpreté sans fond. Il s'engouffre dans l'intime avec des phrases crues, un style hérissé. Il plonge sa plume dans l'encre d'une réalité difficile à regarder en face. Il frappe là où ça fait mal.Si, dans Dandy, Richard Krawiec démontrait de l’empathie et de la compassion envers ses personnages, c’est plutôt de la pitié qui se dégage ici. Le désoeuvrement de Billy fait peine à voir et agace à la fois. Le focus étant mis sur la déchéance de Billy, son entourage demeure trop dans l’ombre à mon goût. Sharon m’a beaucoup touchée. Enfin un personnage qui se tient debout malgré les embûches, malgré son handicap.Vulnérables se lit comme une charge en règle contre une Amérique gangrenée, sans pitié pour les laissés-pour-compte. Le résultat est à la fois pathétique, dérangeant et éprouvant. D’une noirceur excessive. Un mal qui m’apparaît nécessaire.Richard Krawiec est l'un de premiers auteurs américains à avoir donner des cours d'écriture dans des prisons et des centres d'accueil pour sans-abris. Sa motivation? Donner la parole à ceux qui l’ont perdue. Dans la préface du roman, il explique que Vulnérablesa été refusé par les maisons d’édition américaines. Comme quoi personne n’avait envie de lire ce genre de romans. En publiant Vulnérables, les éditions Tusitala font preuve d’audace, mais surtout, ils donnent accès à un texte fort, injustement laissé-pour-compte. Vulnérables, Richard Krawiec, trad. Charles Recoursé, Tusitala, 226 pages, 2017.★★★★★À lire, l'excellent billet de Clete chez Nyctalopes