Double suicide manqué aux 48 cascades d'Akamé, Kurumatani Chokitsu

Par Sara
Que diriez-vous d'une incursion japonaise, dans les quartiers populaires d'une petite ville défavorisée? Et oui, je vous fais découvrir de beaux endroits! 

Libres pensées...
Jeune homme trentenaire au passé énigmatique qu’il cherche à fuir, Ikushima vient trouver refuge dans la ville défavorisée et populaire d’Ama, où la vieille Seiko accepte de le rémunérer chichement et de lui fournir un abri dans un immeuble délabré en échange d’un travail ingrat, préparer des brochettes de viande. Ce dernier s’acclimate à cet environnement parfois brutal, à son voisin tatoueur, à sa voisine prostituée, aux clients qui défilent. Au cœur de la misère ambiante qui règne, il s’éprend d’Ayachan, une jeune et belle coréenne sous l’emprise de Mayusan, qui fait partie de la pègre locale.
Je retiens d'Akamé un roman simple d’accès, en dépit d'une progression parfois erratique. Parmi les points forts, il faut parler de l'étrange atmosphère qui y règne, bientôt relayée par des tensions de tout ordre qui habillent les relations naissantes entre Ikushima et les habitants de l’immeuble. L'écriture épurée et orale dynamise le récit, et favorise l'immersion du lecteur : on croirait sentir ces odeurs de viande crue, la poisse qui émane de l'immeuble et de ses environs.
Le personnage d’Ikushima, comme celui d’Ayachan, sont assez difficiles à saisir d’abord, Ikushima en particulier est entouré du mystère qui sous-tend sa présence à Ama, et dont il nous livre la clef peu à peu. Les personnages secondaires permettent de créer une belle diversité d’interactions (Shimpei le jeune garçon, Seiko, Mayusan) et de créer des scènes parfois étranges. 
Mais la plus grande particularité du roman réside à mon sens dans sa dimension sociale assumée (témoigner des conditions de vie et mœurs d’un milieu social) et la réflexion qu’elle engendre (le protagoniste trouve refuge dans cette zone de non-droits, oubliée, régie par des individus laissés pour compte).
Ainsi, Akamé présente des facettes multiples, et si certains passages peuvent mettre mal à l'aise, ce roman très moderne dégage une mélancolie et une émotion poétique très singulières. 
Pour vous si...
  • Vous êtes sensible au charme étrange d'une langue tantôt poétique, tantôt très crue (ah, le charme de la langue crue...)

Morceaux choisis
"Et en les écoutant dans le noir, je ne pouvais pas ne pas repenser aux chansons que la Seiko chantait de sa petite voix rauque. Ce qu'ils fredonnaient là, c'était le même désespoir, la même mélancolie poignante qui submerge le coeur, mais quelque chose dans cette incantation aux modulations étouffées m'interdisait de dire : "Quel bel hommage au Buddha!" J'étais certain que la Seiko, autrefois, se récitait aussi de ces formules osées, pendant qu'un homme lui broutait la chatte. Tant il est dur d'être humain. Mais les mots humains ne naissent-ils pas tous de ce chagrin qu'on endure - ou peut-être, justement, de ne pouvoir l'endurer?"
"Un phénix bariolé déployait ses ailes sur toute l'étendue du dos. Dans ce dessin, dans l'obscurité de la chambre de Deyashiki, je n'avais vu qu'un corps de serpent. Alors que j'avais maintenant sous les yeux un corps de femme magnifiquement tatoué. Et mon coeur éprouvait un frisson, comme une sensation de chair de poule. La même sensation d'épouvante qu'aux bains publics de Deyashiki, à la vue de l'Immuable tatoué sur le dos d'un homme... ou plus terrible encore. Cet éblouissant vertige de couleurs me glaçait. Le phénix déployait ses ailes comme pour s'envoler, au milieu d'un lotus à feuilles vertes et fleur rouge."
Note finale3/5(cool)