Et Arthur Rimbaud, comme plusieurs autres poètes, d'ailleurs, sera présent dans notre roman du jour. Lui, plus que les autres, d'ailleurs, car ce ne sont pas seulement ses mots que l'on croise, mais son fantôme. Une drôle d'histoire, d'ailleurs, que ce roman, qui se découpe en deux parties vraiment distinctes, séparées par un événement clé, véritable charnière dans la vie des personnages. Une réflexion sur la difficulté à passer outre un drame survenu durant l'enfance et qui hante, ronge, détruit... "Système", d'Agnès Michaux (en grand format chez Belfond), est une histoire qui débute comme un film de la Nouvelle Vague, puis nous entraîne dans la Corne de l'Afrique, avec un crochet vers l'Indochine, à travers une rencontre importante. Un voyage initiatique afin de lutter contre les tendances mortifères, la violence pour l'un, la folie pour l'autre, qui se sont emparés d'un frère et d'une soeur, et leur permettre, enfin, de se libérer du souvenir de leur mère assassinée...
A la mort de son père, Paul Dumézil retourne à Hyères, sur cette presqu'île de Giens où il a grandi. Il retrouve la maison familiale, pleine de souvenirs, pas tous bons, loin de là, et sa soeur, Marisa, qui a 7 ans de plus que lui. Elle est exubérante, volubile, provocante, sans doute un peu trop, il est sombre, introverti, en colère.
En effet, c'est dans cette villa que leur mère est morte, dans les années 1980. Marisa était adolescente, Paul, un enfant de 8 ans. Une mort atroce, qui fait l'objet du prologue du roman : décapitée par un voisin. Le traumatisme a été rude et, chacun à leur façon, les Dumézil ont vécu avec. Mais, la mort de leur père les laisse seuls. Seuls face au souvenir et à la douleur.
Paul Dumézil aurait pu aller loin, comme on dit. Mais, sa vie est petite, étriquée. Secrétaire particulier d'un vieil académicien (non, ce n'est pas qu'un pléonasme), il vivote, comme si l'assassinat de sa mère lui avait coupé les ailes. Il n'a aucune ambition, il se laisse porter et ne fait que ressasser sa colère. A la mort de son père, il balance encore une fois tout, quitte son poste et Paris et s'installe à Hyères.
De Marisa, on ne sait que très peu de choses sur sa vie d'avant. C'est une femme belle, séduisante, qui le sait et qui en joue, un peu à la manière d'un personnage dans certains films de Jacques Deray ou de François Ozon. On comprend surtout, petit à petit, qu'elle est devenue une sorte de réincarnation de sa mère, dont elle a adopté certains des comportements, en plus de leur ressemblance.
Disons-le tout net, Marisa et Paul ne vont pas bien, et la mort de leur père n'est certainement pas la cause principale de cette situation. Le fantôme de leur mère est omniprésent, plus encore lorsque les Dumézil apprennent que son assassin va sortir de prison après avoir purgé sa peine. Une situation insupportable pour ces deux enfants devenus adultes, mais qui ont grandi dans ce deuil terrible.
Là encore, deux manières de réagir : Marisa s'enfonce dans une douce folie, faite d'alcool, de séduction débridée, de désespoir refoulé... Elle assure qu'elle est schizophrène, alors que les médecins ne diagnostiquent rien d'autre qu'un profond mal-être. Et elle ne semble guère décidé à remédier à cette chute, lente mais inexorable.
Paul, lui, c'est la colère qui l'anime, encore et toujours. Elle l'embrase quand il apprend que l'assassin de sa mère va retrouver la liberté. Certes, c'est désormais un homme âgé, mais il est vivant et ne le mérite pas. Se venger ? Il semble sérieusement l'envisager, au point de retrouver l'homme, de le suivre, de prendre contact avec lui...
Et ensuite ?
La suite, ce sera justement trouver comment rompre avec ce système qui nous entraîne de la naissance à la mort sans trop nous demander notre avis, ce destin que nous ne contrôlons pas et qui peut nous faire terriblement souffrir. Les Dumézil en sont là : leur salut, leur raison de vivre passera par-là, aussi radicale soit cette rupture.
Parce que, depuis une trentaine d'années, la vie des Dumézil est un mirage, une illusion. Un long tunnel sans consistance, une parenthèse désenchantée qui n'est pas leur vie. Leur vie, à Marisa comme à Paul, s'est arrêté lorsque leur mère a été sauvagement tuée. Rompre avec le système permettrait de renouer ces fils arrachés par le tueur.
Ce cheminement va les emmener en Ethiopie. Pourquoi ce pays ? Sans doute par analogie avec Rimbaud, qui a passé la dernière partie de sa vie dans cette région, qui y a fait commerce, qui n'en est revenu que pour mourir à Marseille... Depuis la fin du XIXe siècle, le monde a bien changé, la Corne de l'Afrique aussi, bruissant de révoltes et de guerres civiles...
Entre les Dumézil et Rimbaud, des parallèles troublants : ce voyage, bien sûr, avec cette destination si particulière. Mais aussi la relation très forte entre un frère et une soeur. Il y a Paul et Marisa, il y eut Isabelle et Arthur. Elle ne l'accompagna pas en Afrique, comme Marisa, mais leur correspondance fut importante et c'est elle qui le veilla dans ses derniers instants.
La citation placée en titre de ce billet apparaît dans le roman d'Agnès Michaux, mon choix est donc basé sur plusieurs éléments : Rimbaud et son exil abyssin, Rimbaud et sa soeur. Mais aussi le fond même de ces quelques mots qui me semblent parfaitement définir ce fameux "système" que la romancière a placé en titre de son livre.
Oh, je ne doute pas que Agnès Michaux, en intitulant son livre de ce simple mot, ne fasse pas preuve d'une ironique provocation. Ce mot, "système", nous l'avons lu et entendu de nombreuses fois lors des dernières campagnes électorales, c'était un peu le mistigri, le mot qui catalysait tous les maux. Une boîte de Pandore du XXIe siècle, que chacun parait de ses propres fantasmes horrifiés.
Mais, ce mot, ce n'est pas chez Rimbaud que Agnès Michaux l'a trouvé, mais chez Albert Camus. La romancière clôt son roman pas une série d'annexes très intéressantes, dont une sur ce fameux titre, "Système", que l'auteur de "l'Etranger" avait consigné dans ses carnets en 1947 comme titre possible d'un futur livre.
Puis, plus loin, dans ces mêmes carnets, quelques mots, presque un pitch, comme on dirait de nos jours. Et l'on découvre la scène d'ouverture du roman d'Agnès Michaux, et l'assassinat terriblement violent d'Eva Dumézil, qui se produit de manière très surprenante, inattendue, à l'issue d'une scène en plan séquence pleine de sensualité et de douceur...
Rimbaud et Camus ne sont pas les seuls écrivains et poètes conviés par Agnès Michaux : Lamartine ouvre le bal, mais pas en déplorant l'absence d'un seul être qui dépeuple tout, ce qui collerait pas mal avec la situation des Dumézil. Suivent Vigny et Rilke, qui encadre Rimbaud. A chaque partie du roman, son poète et une exergue sortie de leur oeuvre.
Si Rimbaud apparaît donc aussi dans le fil du récit, à travers la citation en titre de ce billet, il faut également signaler que Vigny, égratigné avant d'être salué, tient aussi une place particulière. Dans les fameuses annexes, et oui, il faut tout lire, on peut lire son long poème "la Maison du Berger", sous-titré "Lettre à Eva", extrait des "Destinées"...
Eva, comme la mère de Marisa et Paul... Cette absente si présente dans la vie de ces deux êtres. Eva... Prénom qui rappelle une fameuse figure de la Bible, avec laquelle Mme Dumézil semblait avoir quelques points communs. Et, après elle, sa fille, qui a repris le flambeau, presque plus réincarnation qu'imitation...
Troublante Eva, jusqu'à susciter une haine jalouse et meurtrière... Troublante Marisa, qui envoûte les hommes. Tous les hommes, même ce jeune frère avec qui elle entretient une relation ambiguë. Oh, oui, bien sûr, une relation qui touche au désir, c'est certain, on en a la preuve lors de certains passages. Une relation qui reste toutefois ambiguë, rien de plus...
Mais, pas seulement : si les liens qui unissent Marisa et Paul pourraient fleurer l'inceste, on se dit également que leur relation est plus que fraternelle. Avec ses 7 ans de plus, Marisa est presque une autre mère pour Paul, si jeune quand sa véritable maman lui a été arrachée de la pire des manières. Une mère à qui elle s'efforce tant de ressembler...
Oui, il y a, dans la première moitié du roman, en effet, cette touche troublante, équivoque, portée par une imagerie qui, je l'ai dit en préambule, pourrait rappeler la Nouvelle Vague. La seconde moitié est bien différente, du fait du changement de décor, bien sûr, avec l'Ethiopie, un des berceaux de l'humanité, mais également par le changement de rythme.
La Dolce Vita sur la presqu'île de Giens est oubliée, cette fuite qui ne veut pas dire son nom, qui prend des allures de voyage d'agrément avant de basculer, quand le pays s'enflamme, cette recherche de quelque chose d'indicible, d'une simple raison de continuer, d'une renaissance, tout cela offre un panorama sans rapport apparent.
Dans ce périple, Paul, qui doit composer avec sa position, entre justice et culpabilité, et une soeur qui ne cesse de s'enfoncer, va rencontrer un vieil homme, une statue du Commandeur, un phare dans l'obscurité. Etienne Michaux de la Rosière (tiens, tiens...) est un ancien d'Indochine qui n'a jamais pu rentrer en métropole après la décolonisation et qui a finalement posé ses bagages en Ethiopie.
Parce qu'il sera dit que "Système" sera un roman ambigu, servi par des personnages ambigus, ce presque octogénaire n'échappe pas à cette règle. A la sagesse que lui confère l'âge et l'expérience, il ajoute une dose de violence qui a de quoi remettre les idées en place des plus déboussolés, dont Paul peut faire partie.
Une sorte de Charon qui doit leur faire traverser le Styx en direction des Enfers... Mais l'enfer, ils y sont depuis trente ans, depuis qu'un homme a décollé la tête de leur mère au bord d'une piscine. Alors, pourquoi ne seraient-ils pas de modernes Orphée et Eurydice ? Sans le funeste regard qui fait tout échouer...
Ce billet est décousu, certes, mais je ne savais pas vraiment par quel bout prendre "Système". Agnès Michaux sait instaurer des ambiances très particulières, prenantes, dérangeantes, aussi. On suit ses personnages dans leur quête, celle de l'espoir, d'une vie débarrassée du poids du passé. La quête de ce qui pourrait les libérer de l'insupportable tutelle maternelle, à qui ils feraient enfin quitter les limbes.
Une quête de paix qui va passer par la rencontre avec la guerre, la misère violente, terrible, l'exil et la beauté féroce et hostile d'une région du monde qui a tout d'une poudrière. Ethiopie, Erythrée, Somalie, autant de pays au bord de l'implosion... Une éruption de violence comme une catharsis, comme le choc providentiel qui peut, enfin, guérir le traumatisme.
Mais, "Système", c'est aussi une réflexion sur les vies que nous nous construisons, bâties sur une naissance, une éducation, un passé. Sur des moments forts qui nous marquent, en bien comme en mal, mais qui ne nous quittent plus, ensuite, et parfois nous entravent, nous empêchent de progresser, nous contraignent à vivre dans un faux présent qui singe le passé, et sans aucune vision du futur.
C'est cela que recherchent les Dumézil : tendre ces amarres qui les relient au passé jusqu'à ce qu'elles rompent et leur permettent enfin de naviguer à leur gré. Il faudra franchir des épreuves pour cela, sans certitude de réussite. Mais, qu'ont-ils à perdre, puisque, de toute façon, "le raté et la schizophrène", comme le dit Marisa, sont à la croisée des chemins.
A la mort de son père, Paul Dumézil retourne à Hyères, sur cette presqu'île de Giens où il a grandi. Il retrouve la maison familiale, pleine de souvenirs, pas tous bons, loin de là, et sa soeur, Marisa, qui a 7 ans de plus que lui. Elle est exubérante, volubile, provocante, sans doute un peu trop, il est sombre, introverti, en colère.
En effet, c'est dans cette villa que leur mère est morte, dans les années 1980. Marisa était adolescente, Paul, un enfant de 8 ans. Une mort atroce, qui fait l'objet du prologue du roman : décapitée par un voisin. Le traumatisme a été rude et, chacun à leur façon, les Dumézil ont vécu avec. Mais, la mort de leur père les laisse seuls. Seuls face au souvenir et à la douleur.
Paul Dumézil aurait pu aller loin, comme on dit. Mais, sa vie est petite, étriquée. Secrétaire particulier d'un vieil académicien (non, ce n'est pas qu'un pléonasme), il vivote, comme si l'assassinat de sa mère lui avait coupé les ailes. Il n'a aucune ambition, il se laisse porter et ne fait que ressasser sa colère. A la mort de son père, il balance encore une fois tout, quitte son poste et Paris et s'installe à Hyères.
De Marisa, on ne sait que très peu de choses sur sa vie d'avant. C'est une femme belle, séduisante, qui le sait et qui en joue, un peu à la manière d'un personnage dans certains films de Jacques Deray ou de François Ozon. On comprend surtout, petit à petit, qu'elle est devenue une sorte de réincarnation de sa mère, dont elle a adopté certains des comportements, en plus de leur ressemblance.
Disons-le tout net, Marisa et Paul ne vont pas bien, et la mort de leur père n'est certainement pas la cause principale de cette situation. Le fantôme de leur mère est omniprésent, plus encore lorsque les Dumézil apprennent que son assassin va sortir de prison après avoir purgé sa peine. Une situation insupportable pour ces deux enfants devenus adultes, mais qui ont grandi dans ce deuil terrible.
Là encore, deux manières de réagir : Marisa s'enfonce dans une douce folie, faite d'alcool, de séduction débridée, de désespoir refoulé... Elle assure qu'elle est schizophrène, alors que les médecins ne diagnostiquent rien d'autre qu'un profond mal-être. Et elle ne semble guère décidé à remédier à cette chute, lente mais inexorable.
Paul, lui, c'est la colère qui l'anime, encore et toujours. Elle l'embrase quand il apprend que l'assassin de sa mère va retrouver la liberté. Certes, c'est désormais un homme âgé, mais il est vivant et ne le mérite pas. Se venger ? Il semble sérieusement l'envisager, au point de retrouver l'homme, de le suivre, de prendre contact avec lui...
Et ensuite ?
La suite, ce sera justement trouver comment rompre avec ce système qui nous entraîne de la naissance à la mort sans trop nous demander notre avis, ce destin que nous ne contrôlons pas et qui peut nous faire terriblement souffrir. Les Dumézil en sont là : leur salut, leur raison de vivre passera par-là, aussi radicale soit cette rupture.
Parce que, depuis une trentaine d'années, la vie des Dumézil est un mirage, une illusion. Un long tunnel sans consistance, une parenthèse désenchantée qui n'est pas leur vie. Leur vie, à Marisa comme à Paul, s'est arrêté lorsque leur mère a été sauvagement tuée. Rompre avec le système permettrait de renouer ces fils arrachés par le tueur.
Ce cheminement va les emmener en Ethiopie. Pourquoi ce pays ? Sans doute par analogie avec Rimbaud, qui a passé la dernière partie de sa vie dans cette région, qui y a fait commerce, qui n'en est revenu que pour mourir à Marseille... Depuis la fin du XIXe siècle, le monde a bien changé, la Corne de l'Afrique aussi, bruissant de révoltes et de guerres civiles...
Entre les Dumézil et Rimbaud, des parallèles troublants : ce voyage, bien sûr, avec cette destination si particulière. Mais aussi la relation très forte entre un frère et une soeur. Il y a Paul et Marisa, il y eut Isabelle et Arthur. Elle ne l'accompagna pas en Afrique, comme Marisa, mais leur correspondance fut importante et c'est elle qui le veilla dans ses derniers instants.
La citation placée en titre de ce billet apparaît dans le roman d'Agnès Michaux, mon choix est donc basé sur plusieurs éléments : Rimbaud et son exil abyssin, Rimbaud et sa soeur. Mais aussi le fond même de ces quelques mots qui me semblent parfaitement définir ce fameux "système" que la romancière a placé en titre de son livre.
Oh, je ne doute pas que Agnès Michaux, en intitulant son livre de ce simple mot, ne fasse pas preuve d'une ironique provocation. Ce mot, "système", nous l'avons lu et entendu de nombreuses fois lors des dernières campagnes électorales, c'était un peu le mistigri, le mot qui catalysait tous les maux. Une boîte de Pandore du XXIe siècle, que chacun parait de ses propres fantasmes horrifiés.
Mais, ce mot, ce n'est pas chez Rimbaud que Agnès Michaux l'a trouvé, mais chez Albert Camus. La romancière clôt son roman pas une série d'annexes très intéressantes, dont une sur ce fameux titre, "Système", que l'auteur de "l'Etranger" avait consigné dans ses carnets en 1947 comme titre possible d'un futur livre.
Puis, plus loin, dans ces mêmes carnets, quelques mots, presque un pitch, comme on dirait de nos jours. Et l'on découvre la scène d'ouverture du roman d'Agnès Michaux, et l'assassinat terriblement violent d'Eva Dumézil, qui se produit de manière très surprenante, inattendue, à l'issue d'une scène en plan séquence pleine de sensualité et de douceur...
Rimbaud et Camus ne sont pas les seuls écrivains et poètes conviés par Agnès Michaux : Lamartine ouvre le bal, mais pas en déplorant l'absence d'un seul être qui dépeuple tout, ce qui collerait pas mal avec la situation des Dumézil. Suivent Vigny et Rilke, qui encadre Rimbaud. A chaque partie du roman, son poète et une exergue sortie de leur oeuvre.
Si Rimbaud apparaît donc aussi dans le fil du récit, à travers la citation en titre de ce billet, il faut également signaler que Vigny, égratigné avant d'être salué, tient aussi une place particulière. Dans les fameuses annexes, et oui, il faut tout lire, on peut lire son long poème "la Maison du Berger", sous-titré "Lettre à Eva", extrait des "Destinées"...
Eva, comme la mère de Marisa et Paul... Cette absente si présente dans la vie de ces deux êtres. Eva... Prénom qui rappelle une fameuse figure de la Bible, avec laquelle Mme Dumézil semblait avoir quelques points communs. Et, après elle, sa fille, qui a repris le flambeau, presque plus réincarnation qu'imitation...
Troublante Eva, jusqu'à susciter une haine jalouse et meurtrière... Troublante Marisa, qui envoûte les hommes. Tous les hommes, même ce jeune frère avec qui elle entretient une relation ambiguë. Oh, oui, bien sûr, une relation qui touche au désir, c'est certain, on en a la preuve lors de certains passages. Une relation qui reste toutefois ambiguë, rien de plus...
Mais, pas seulement : si les liens qui unissent Marisa et Paul pourraient fleurer l'inceste, on se dit également que leur relation est plus que fraternelle. Avec ses 7 ans de plus, Marisa est presque une autre mère pour Paul, si jeune quand sa véritable maman lui a été arrachée de la pire des manières. Une mère à qui elle s'efforce tant de ressembler...
Oui, il y a, dans la première moitié du roman, en effet, cette touche troublante, équivoque, portée par une imagerie qui, je l'ai dit en préambule, pourrait rappeler la Nouvelle Vague. La seconde moitié est bien différente, du fait du changement de décor, bien sûr, avec l'Ethiopie, un des berceaux de l'humanité, mais également par le changement de rythme.
La Dolce Vita sur la presqu'île de Giens est oubliée, cette fuite qui ne veut pas dire son nom, qui prend des allures de voyage d'agrément avant de basculer, quand le pays s'enflamme, cette recherche de quelque chose d'indicible, d'une simple raison de continuer, d'une renaissance, tout cela offre un panorama sans rapport apparent.
Dans ce périple, Paul, qui doit composer avec sa position, entre justice et culpabilité, et une soeur qui ne cesse de s'enfoncer, va rencontrer un vieil homme, une statue du Commandeur, un phare dans l'obscurité. Etienne Michaux de la Rosière (tiens, tiens...) est un ancien d'Indochine qui n'a jamais pu rentrer en métropole après la décolonisation et qui a finalement posé ses bagages en Ethiopie.
Parce qu'il sera dit que "Système" sera un roman ambigu, servi par des personnages ambigus, ce presque octogénaire n'échappe pas à cette règle. A la sagesse que lui confère l'âge et l'expérience, il ajoute une dose de violence qui a de quoi remettre les idées en place des plus déboussolés, dont Paul peut faire partie.
Une sorte de Charon qui doit leur faire traverser le Styx en direction des Enfers... Mais l'enfer, ils y sont depuis trente ans, depuis qu'un homme a décollé la tête de leur mère au bord d'une piscine. Alors, pourquoi ne seraient-ils pas de modernes Orphée et Eurydice ? Sans le funeste regard qui fait tout échouer...
Ce billet est décousu, certes, mais je ne savais pas vraiment par quel bout prendre "Système". Agnès Michaux sait instaurer des ambiances très particulières, prenantes, dérangeantes, aussi. On suit ses personnages dans leur quête, celle de l'espoir, d'une vie débarrassée du poids du passé. La quête de ce qui pourrait les libérer de l'insupportable tutelle maternelle, à qui ils feraient enfin quitter les limbes.
Une quête de paix qui va passer par la rencontre avec la guerre, la misère violente, terrible, l'exil et la beauté féroce et hostile d'une région du monde qui a tout d'une poudrière. Ethiopie, Erythrée, Somalie, autant de pays au bord de l'implosion... Une éruption de violence comme une catharsis, comme le choc providentiel qui peut, enfin, guérir le traumatisme.
Mais, "Système", c'est aussi une réflexion sur les vies que nous nous construisons, bâties sur une naissance, une éducation, un passé. Sur des moments forts qui nous marquent, en bien comme en mal, mais qui ne nous quittent plus, ensuite, et parfois nous entravent, nous empêchent de progresser, nous contraignent à vivre dans un faux présent qui singe le passé, et sans aucune vision du futur.
C'est cela que recherchent les Dumézil : tendre ces amarres qui les relient au passé jusqu'à ce qu'elles rompent et leur permettent enfin de naviguer à leur gré. Il faudra franchir des épreuves pour cela, sans certitude de réussite. Mais, qu'ont-ils à perdre, puisque, de toute façon, "le raté et la schizophrène", comme le dit Marisa, sont à la croisée des chemins.