Fritz Zorn (1944-1976), pseudonyme de Fritz Angst, est un écrivain suisse de langue allemande. Fils d’une famille patricienne très austère, après le lycée il étudie la philologie allemande et les langues romanes. A l’université, il obtient le titre de docteur et pendant une brève période, il a été professeur dans un lycée, jusqu'à ce que son cancer le force à abandonner cette profession. Il entame alors une psychothérapie et commence à écrire. Fritz Zorn est l’homme d’un seul livre, Mars, un essai paru en 1979.
Je dois vous dire que ce bouquin m’avait profondément marqué quand je l’avais lu pour la première fois, à l’époque de sa parution en France, car cet essai autobiographie très dur, révélait chez son auteur quelques points qui m’étaient communs et de les voir écrits-là noir sur blanc, comme une révélation, j’en étais sorti chamboulé. Le relire aujourd’hui, avec plus de recul, m’a permis de l’aborder avec un œil plus serein.
A première vue on pourrait penser que Fritz Zorn a eu la belle vie, fils d’un architecte aisé, ses parents vivent dans le rupin Zurich et le Fritz a fait de brillantes études. Mais alors qu’il arrive à la trentaine, on lui découvre un cancer. Le lecteur alors est sensé se retrouver avec entre les mains un bouquin classique, du genre jérémiades, déni puis éventuellement combat contre le crabe. Vous ne connaissez par l’auteur ! Au contraire, il déclare crânement : « la chose la plus intelligente que j’aie jamais faite, c’est d’attraper le cancer. » Haussement de sourcils et yeux ronds.
A partir de sa maladie, l’écrivain va remonter dans ses souvenirs et revenir sur sa vie et son éducation, pour en déduire que ce passé ne pouvait que le conduire à cette adversité fatale. Selon sa théorie – car c’est de cela qu’il est question ici, la construction d’une théorie expliquant sa maladie -, son éducation bourgeoise dans une Suisse trop pépère, où l’on ne fait jamais de vagues, où l’argent et la sexualité sont des mots et mêmes des idées tabous dont on ne parle jamais, tout cela ne peut mener qu’à la dépression, à la névrose et in fine au cancer. « Je crois que le cancer est une maladie de l’âme » et que cette pathologie découle des frustrations accumulées depuis l’enfance avance l’auteur. Si la façade est en bon état, il fait bonne figure pour les autres, derrière les murs tout est en ruine, il ne peut réellement pas communiquer, donc pas de femmes et une sexualité en berne.
Le texte est en trois parties, la première et la plus longue nous restitue le type d’éducation qu’il a reçue et le milieu social dont il est issu, la seconde en vient au but du livre, le récit se muscle et Zorn nous interroge, « Vaut-il mieux, soixante ans durant, mijoter à mort sur la petite flamme de la frustration ou plutôt, par désespoir, déjà mourir à trente ans, du cancer ? ». La dernière partie, en antithèse, vient contredire ce qu’on aurait pu mal comprendre, à savoir qu’il ne condamne pas ses parents pour l’éducation qu’ils lui ont donné, il leur pardonne car il considère qu’eux-mêmes étaient le fruit d’une éducation vérolée.
Le lecteur relèvera de nombreuses répétitions mais elles sont voulues pour mieux enfoncer le clou. Par contre, à relire cet ouvrage aujourd’hui, il m’a semblé un peu long sur la fin car très typé d’une rhétorique années 70 (tout est politique, Dieu est mort etc.). Il n’empêche que c’est un très bon livre, très émouvant finalement car Fritz Zorn aura séjourné sur Terre une trentaine d’années, sans pourtant avoir jamais vécu.