Parmi les miens

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Parmi les miens

En deux mots:
Victime d’un grave accident de voiture, une femme est dans le coma. Autour d’elle son mari et ses enfants sont sous le choc. Vient alors le temps des questions…

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Ma mère, cette inconnue

Une fratrie et un mari se retrouvent face à une mère et épouse victime d’un grave accident. Désormais chacun est seul face à cette vie qui ne tient qu’à un fil.

« Il y a peu de choses que je n’acceptais pas venant de maman. La voir mourir en faisait partie. » Dès la première phrase du premier roman de Charlotte Pons le lecteur est happé par une histoire à forte teneur dramatique, par une tragédie qui change à jamais ceux qui y sont confrontés.
Je me souviens d’un repas de famille et de ce moment particulier où, après avoir épuisé les banalités, les commentaires sur l’actualité et les dernières histoires drôles nous en somme svenus à parler de la mort. Je me souviens notamment de ma mère nous priant de «la laisser partir» si jamais elle ne devait plus avoir sa tête. Je me souviens exactement de cette phrase : «Je ne veux pas finir comme un légume».
Je me souviens aussi du regard que nous avions échangé entre mes frères et ma sœur, mélange de crainte de nous retrouver un jour dans cette situation et d’interrogations sur l’attitude que nous aurions alors.
Voilà qui explique sans doute combien le personnage de Manon, l’aînée de la fratrie imaginée par la romancière et narratrice de ce drame intime m’a touchée. Un coup de fil de sa sœur l’avertit que sa mère a eu un grave accident et qu’elle doit sans tarder venir les rejoindre à l’hôpital de sa ville natale. Durant les cent cinquante kilomètres de trajet elle a à peine le temps de concevoir la situation, entre douleur et incompréhension.
En retrouvant son père, son frère Gabriel et sa sœur Adèle, en comprenant que si sa mère sort du coma elle ne sera ce «légume» tant redouté, elle trouve une seule issue pour évacuer la douleur, lâcher cette phrase définitive: autant qu’elle meure.
« J’avais dû le dire à voix haute car dans le regard de mes frère et sœur, j’ai lu l’effroi, j’ai deviné le gouffre qui menaçait toujours de surgir entre nous. Nos liens étaient si ténus. Mais que croyaient-ils ? Que nous avions les épaules pour cela? Affronter l’humanité de notre mère dans ce qu’elle avait de plus vain. Un corps, juste un corps. Qui se dégrade et que l’on maintient en vie coûte que coûte. Je ne pouvais pas, s’agissant de maman, imaginer l’œil vide et mort qu’elle nous jetterait lorsqu’on lui donnerait la becquée, imaginer les soliloques que l’on tiendrait en espérant qu’un mot l’atteigne. »
Pourquoi Manon prend seule ce poids sur ses épaules? Parce qu’étant l’aînée, elle se sent investie d’une mission ? Parce qu’elle ne se rend pas compte que pour son père et sans doute ses frère et sœur, il y a des circonstances dans lesquelles il vaut mieux essayer de nier la réalité que de prononcer ne condamnation.
« Les jours qui suivent, nous ne parlons pas de l’avenir; nous ne parlons pas de grand-chose d’ailleurs, nous abandonnant à ce temps bien particulier qui suit un traumatisme et n’exige rien d’autre que de se laisser aller à sa douleur. »
Manon s’installe quelques temps chez son père, Parmi les siens. Elle est de toute façon incapable de travailler ou encore de partager sa peine avec son mari et son fils. Car elle est obsédée par cette vie qui ne tient qu’à un fil et dont elle ne sait finalement pas grand chose. Venue de Norvège, elle a toujours été très mystérieuse sur ses parents. Petite fille, Manon a un jour croisé sa grand-mère sans qu’elle lui soit présentée. Les questions longtemps restées sans réponse prennent soudain une importance vitale. Son frère va finir par lâcher une part du lourd passé, son père également lorsqu’apparaissent des lettres expédiées d’Allemagne.
Et alors que l’on sait que l’issue sera fatale, voilà que l’hôpital entend récupérer le lit occupée par ce «légume». La famille décide alors de ramener cette femme totalement absente, et qui prend pourtant de plus en plus place dans leur quotidien, à son domicile. Une nouvelle épreuve commence alors.
Outre la revue d’effectifs et l’analyse some toute très lucide des liens qui se distendent au fil du temps avec les membres de la fratrie, Manon découvre combien sa meilleure amie Lisbeth lui est précieuse, qu’il est si apaisant de partager sans rien avoir à se dire. Car elle a la gorge sèche et, après les reproches encaissés autour d’elle, ne sait plus comment dire les choses? Comment exprimer sa détresse ? Comment expliquer à son mari, à son enfant qu’elle se retrouve déboussolée. Comment « dire toute la difficulté à être mère quand la mienne est en train de mourir, lui dire tout ce qu’elle ne m’a pas transmis et que je devrai trouver seule désormais; lui dire aussi toute l’intimité mêlée de défiance que j’éprouve pour mon bébé et qui me fait peur, me noue les tripes; lui dire encore que je n’ai plus souvenir d’une telle intimité avec ma mère aujourd’hui que je suis adulte, et que ça aussi, ça me rend malade. »
Avec beaucoup de pudeur, mais sans rien cacher des tourments et des conflits intérieurs qui agitent la narratrice et les membres de sa famille, Charlotte Pons nous offre un roman fort, chargé d’émotions, sans oublier de distiller quelques surprises de taille tout au long de son récit. Bref, une entrée en littérature réussie !

Parmi les miens
Charlotte Pons
Éditions Flammarion
Roman
192 p., 18 €
EAN : 9782081414150
Paru en août 2017

Où?
Le roman se déroule en France, dans une ville au bord d’un lac, dans un chalet situé sur les hauteurs et dans une grande ville située à quelques 150 km. On y évoque aussi la Norvège et l’Allemagne.

Quand?
L’action se situe de nos jours avec des reminiscences à l’époque de la seconde guerre mondiale.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Il y a peu de choses que je n’acceptais pas venant de maman. La voir mourir en faisait partie. » Quand le médecin leur annonce que leur mère est vivante mais en état de mort cérébrale, Manon laisse échapper qu’elle préfèrerait qu’elle meure. C’est trop tôt pour y penser, lui répondent sèchement Adèle et Gabriel.
Délaissant mari et enfant, Manon décide de s’installer parmi les siens. Au cœur de cette fratrie grandie et éparpillée, elle découvre ce qu’il reste, dans leurs relations d’adultes, des enfants qu’ils ont été. Et tandis qu’alentour les montagnes menacent de s’effondrer, les secrets de famille refont surface. Qui était vraiment cette mère dont ils n’ont pas tous le même souvenir?
Charlotte Pons écrit une tragédie ordinaire tout en tension psychologique et révèle un talent fou pour mettre en scène, dans leur vérité nue, les relations familiales.

68 premières fois
Blog Les couleurs de la vie (Anne Leloup)
Romanthé – blog littéraire décalé (Sarah Dupouy)

Autres critiques
Babelio
Le Point (Marie-Sandrine Sgherri)
Livres Hebdo (Léopoldine Leblanc)
Blog Abracada Books
Blog Tombée du ciel
Blog Lis-moi si tu veux
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Blog Passion bouquins
Blog Chronicroqueuse de livres

Les premières pages du livre:
« Il y a peu de choses que je n’acceptais pas venant de maman. La voir mourir en faisait partie. Mais quoi? Penser à maman comme à un légume. Je n’étais jamais aussi désemparée que lorsqu’elle ne me comprenait pas et voilà qu’elle ne m’aurait plus reconnue? — Autant qu’elle meure. J’avais dû le dire à voix haute car dans le regard de mes frère et sœur, j’ai lu l’effroi, j’ai deviné le gouffre qui menaçait toujours de surgir entre nous. Nos liens étaient si ténus. Mais que croyaient-ils ? Que nous avions les épaules pour cela? Affronter l’humanité de notre mère dans ce qu’elle avait de plus vain. Un corps, juste un corps. Qui se dégrade et que l’on maintient en vie coûte que coûte. Je ne pouvais pas, s’agissant de maman, imaginer l’œil vide et mort qu’elle nous jetterait lorsqu’on lui donnerait la becquée, imaginer les soliloques que l’on tiendrait en espérant qu’un mot l’atteigne. Tu m’entends, dis, tu m’entends? Je ne pouvais pas envisager que la peau contre laquelle elle nous serrait enfants en vienne à nous dégoûter. Elle avait ce grain de beauté, là, sur le bras. Lequel déjà? Petite, je le caressais sans cesse. Il y avait des années que je ne l’avais plus touchée. Je l’avais dit à voix haute et c’est là que l’histoire a définitivement tourné court entre Adèle, Gabriel et moi. Que les liens sur lesquels nous tirions depuis l’enfance ont cédé. Que celle-ci, en somme, s’est terminée. »

Extrait
« Au bout du fil, la voix est celle de quelqu’un de blême. J’en reconnais le timbre, celui de ma sœur, pas le ton, paniqué, ni le sens de ce qu’elle dit, improbable: Maman a eu un accident.
Je pense: «Non». Et puis: «Pourquoi pas?». Cela arrive tous les jours, répondre au téléphone et soudain, flancher. Cela arrive tous les jours et ce jour-là, c’est mon tour.
— Elle va bien?
— Viens, on t’attend.
Je les imagine, tous les trois sous la lumière crue des néons de l’hôpital. Adèle, Gabriel et notre père. Leur panique et leur détresse identiques à la mienne. Une bouffée d’amour comme je n’en ai pas ressentie à leur égard depuis longtemps me remue. Le sentiment d’appartenir à quelque chose de bien plus grand que ma personne – une famille, un destin, un monde en marche.
En raccrochant, je bafouille à l’intention de Simon: «Je crois que ma mère est en train de mourir» et sans autre explication ni considération pour l’énormité de ce que je viens de dire, je le plante là, notre fils dans les bras, pour rallier la ville de mon enfance, pied au plancher. Cent cinquante kilomètres, une vingtaine de cigarettes fumées et peut-être autant d’accidents auxquels j’ai échappé. Cent cinquante kilomètres en apnée, jusqu’au parking de l’hôpital où l’urgence qui m’a poussée à appuyer sur l’accélérateur retombe pour laisser place à une trouille qui me paralyse. Les mains crispées sur le volant, encore tout étourdie par le trajet, nauséeuse d’avoir trop fumé, je me concentre pour percevoir un signe – de ma mère, des morts ou
de Dieu que je ne prie jamais –, n’importe quoi qui me dirait «ça ira», mais rien d’autre ne me parvient que les clics et les clacs du moteur encore chaud ou le ronflement de la voie rapide qui passe en dessous. Il me faudra encore dix minutes
avant de parvenir à bouger. »

À propos de l’auteur
Charlotte Pons a passé huit ans au sein d’une rédaction parisienne comme journaliste culture et chef d’édition. Elle a créé en 2016 les ateliers d’écriture «Engrenages & Fictions». Parmi les miens est son premier roman. (Source : Éditions Flammarion)

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