La différence invisible - Julie Dachez et Mademoiselle Caroline


La différence invisible - Julie Dachez et Mademoiselle CarolineLa différence invisible, Julie Dachez et Mademoiselle Caroline
Editeur : DelcourtCollection : MiragesNombre de pages : 179Résumé : Marguerite se sent décalée et lutte chaque jour pour préserver les apparences. Ses gestes sont immuables, proches de la manie. Son environnement doit être un cocon. Elle se sent agressée par le bruit et les bavardages incessants de ses collègues. Lassée de cet état, elle va partir à la rencontre d’elle-même et découvrir qu’elle est autiste Asperger. Sa vie va s’en trouver profondément modifiée.
- Un petit extrait -
La différence invisible - Julie Dachez et Mademoiselle Caroline
- Mon avis sur l’ouvrage -
« Une chronique de bande-dessinée chez Aryia, mais où va donc le monde ? », êtes-vous probablement en train de vous demander en vérifiant que vous êtes bien chez Les mots étaient livres. Il est vrai que je ne lis que très peu de BD, et que je ne chronique habituellement pas ces lectures. Pour tout avouer, j’ai longuement tergiversé avant de commencer la rédaction de cet article, et j’ai hésité encore plus longtemps avant de décider si je devais oui ou non le publier. Pourquoi cette hésitation ? Pour plusieurs raisons, la plus évidente à expliquer étant que, n’étant pas bédéphile, je ne sais absolument pas comment chroniquer ce type d’ouvrage. Cet article sera donc nettement moins structuré que ce que je vous présente d’ordinaire, il n’a finalement pour seul objectif que de vous présenter cet ouvrage qui devrait, à mes yeux, être lu par tout le monde.
Rares sont les témoignages à prendre la forme d’une bande-dessinée, mais c’est bien cela que vous proposent l’auteure et l’illustratrice : Julie Dachez est atteinte du syndrome d’Asperger, dont il est question ici par l’intermédiaire du personnage de Marguerite. Marguerite a 27 ans, deux chats, un chien, un petit copain et un boulot. En apparence, rien d’extraordinaire. Mais si je vous dis que Marguerite est capable de vous parler des heures entières du spécisme, qu’elle ne comprend ni les sous-entendus, ni l’humour, ni les codes sociaux, qu’elle est incapable de passer un week-end dans un environnement inconnu ou de prendre part à une conversation considérée « banale et normale », vous comprenez facilement que Marguerite n’est pas si ordinaire que cela. 
La question serait de savoir ce que vous pensez de Marguerite. Nombre de ses « amis », connaissances et collègues la trouvent bien gentille mais complétement barrée, certains s’imaginent au contraire qu’elle se moque d’eux lorsqu’elle interprète de travers une phrase ou quand elle exprime son amour pour la solitude et le calme. Rares sont ceux qui devinent que, sous le masque de normalité qu’elle s’efforce de mettre en place jour après jour, se cache une profonde souffrance. Car Marguerite le sent bien, elle n’est pas « comme les autres », et c’est un véritable calvaire pour elle que de devoir donner ainsi le change, avec une réussite plus ou moins grande en dépit de tous ses efforts. 
De nos jours, les exigences sociales sont énormes, mais surtout, la tolérance de la différence est proche du néant, en particulier lorsque cette différence n’est pas visible - si elle était en fauteuil roulant, étrangement, les choses seraient sans doute plus faciles pour elle, car c’est quelque chose qui est mieux « accepté » (qui en voudra à une personne en fauteuil roulant de ne pas venir danser ? Personne. Mais si c’est une personne « valide » qui refuse de prendre part à une soirée, là, ça passe mal …). De plus, un handicap physique se remarque facilement. Plus facilement que le syndrome d’Asperger, forme méconnue de l’autisme, lui-même fort peu connu - non, les préjugés qui existent par milliers sur cette maladie ne constituent pas à mes yeux une forme de connaissance, bien au contraire. Cet ouvrage le montre bien : même certains « professionnels de la santé » n’y connaissent rien à cette maladie ! Et c’est bien là le drame !
Cette bande-dessinée a deux intérêts : le premier est de mettre en lumière toutes ces maladies « invisibles », souvent psychiques, que notre société actuelle a souvent tendance à oublier, voire dénigrer. J’ai ainsi récemment entendu une personne critiquer violemment une autre, qui ne venait plus au travail depuis des mois … alors que cette personne absente était en arrêt maladie pour dépression ! Ce n’est pas une maladie physique, alors c’est considéré comme de la fainéantise, ou pire, de l’affabulation. Cette bande-dessinée essaye de faire comprendre que ce n’est pas parce que la personne en face de vous semble « aller bien » qu’elle va effectivement bien : c’est peut-être pour elle un effort colossal que de se tenir là, en face de vous, au milieu d’un environnement qui vous semble banal mais qui est pour elle source d’un stress immense que vous n’imaginez même pas. 
Mais cette bande-dessinée ne s’arrête pas là, et met l’accent sur les différences entrainées par le syndrome d’Asperger, dont souffre sans le savoir Marguerite. En nous présentant son quotidien, fait de rituels immuables et de routines rassurantes, cette bande-dessinée montre très justement et très délicatement à quel point cela coute à Marguerite que de sortir de chez elle, dans ce monde où l’imprévu règne en maitre et où elle ne se sent pas à sa place. Trop de bruits, de mouvements, trop de sollicitations, de jugements, trop de tout … mais pas assez d’ouverture pour qu’elle ose montrer à quel point tout cela la dépasse, l’angoisse, la ronge. Alors elle s’efforce de faire bonne figure, elle essaye de se fondre dans la masse, parce qu’elle sent bien que personne autour d’elle n’est prêt à accueillir ces confidences sur son incompréhension profonde vis-à-vis de ce monde effrayant. 
Accompagné d’un dossier documentaire, cet ouvrage a donc pour objectif de briser les préjugés et autre aprioris véhiculés au sujet de cette maladie, mais aussi de dénoncer le véritable retard de la France en ce qui concerne ce syndrome. Sans que nul ne s’en rende vraiment compte, la société est infiniment cruelle envers ces personnes qui sont déjà en grande souffrance, qui ont besoin de mains tendues et non pas de phrases haineuses ou, pire, de grands sourires hypocrites qui ne cachent qu’une profonde indifférence teintée de mépris. Lorsqu’une personne a le pied dans le plâtre, allez-vous lui dire : « Allez, voyons, fais un petit effort, prend les escaliers, on ne va tout de même pas utiliser l’ascenseur pour une petite égratignure de rien du tout ? ». Je pense que non. Alors pourquoi, lorsqu’une personne Asperger demande des aménagements - à l’école, au travail … -, cette requête se heurte-t-elle à une réponse condescendante au possible du type « C’est à vous de vous adapter » ? Si quelqu’un a une réponse satisfaisante, je suis toute ouïe !
En bref, je conseille très fortement la lecture de cette bande-dessinée ! Aux neurotypiques (c’est-à-dire ceux qui ne sont pas atteints par les troubles du spectre autistique), elle apprendra à accueillir avec tolérance et respect la différence. Aux neuro-atypiques (c’est-à-dire les personnes dont les comportements s’écartent des normes sociales en vigueur), elle apprendra à accepter leur singularité, à l’apprivoiser, à ne plus en avoir peur. Oui, la société veut enfermer tout le monde dans le même moule, mais - et je reprends les mots de Bernard Werber - « ce n'est pas parce qu'ils sont nombreux à avoir tort qu'ils ont raison » : et si être Asperger n’était pas un problème, mais bien plus la solution, le remède, à cette normalisation absolue ?