Bonjour.
Merci d'avoir accepté de répondre à mes questions. ^^
Tout d’abord, sans parler de votre métier, présentez-vous un peu.
Je m’appelle Aurélien ; j’ai 28 ans, et je suis auteur-traducteur. J’ai passé un bac littéraire, puis ai enchaîné trois ans de classes préparatoires littéraires avec une école de commerce. Je travaille aujourd’hui aux Éditions Synchronique, tout en remplissant des missions de sténotypie pour des organismes publics en autoentrepreneur. Je tiens également une chaîne de vidéos sur Youtube, l’Arche, où j’évoque la poésie, l’histoire de l’écriture, et les grandes œuvres littéraires.
Enfin, je continue bien sûr à écrire de la poésie et à en traduire. J’y passe quantitativement moins de temps que pour mes autres activités, mais c’est à travers elle que je me définis.
Y a-t-il des auteurs qui ont bercé votre enfance/adolescence ?
Aucun en particulier, même si j’ai d’excellents souvenirs de beaucoup d’œuvres différentes, dans tous les genres littéraires ou presque. Je ne lis aujourd’hui pratiquement plus que de la poésie, et des ouvrages d’histoire ou de science.
Je lis essentiellement sur Kindle, même si je reste très critique vis-à-vis d’Amazon ; mais je peux du moins me consacrer ainsi à acheter sous format physique uniquement les beaux-livres, et les vrais travaux d’édition qui me plaisent. Je n’ai jamais autant acheté de beaux-livres que depuis que je lis en numérique.
Qu'est-ce qui vous a poussé à choisir, professionnellement, le domaine littéraire, et plus particulièrement celui de l'édition ?
Ma monomanie pour la poésie, et pour la littérature de manière générale. J’ai cherché une voie qui fasse le lien entre l’école de commerce et la prépa littéraire : elle me semblait être l’édition, un secteur à mi-chemin de la culture et de l’industrie. J’aime avoir cette double approche du livre – comme œuvre intellectuelle, à travers le travail sur la traduction et la correction, et comme œuvre artisanale et physique, à travers le travail sur l’objet-livre, la reliure, la couverture, la mise en page, le type de papier. Il s’agit essentiellement de ciseler une pierre précieuse, puis de lui fabriquer un écrin sur mesure.
Est-ce votre premier post ou avez-vous travaillé dans d'autres maisons d'éditions ?
C’est mon premier poste dans l’édition, mais il est un peu spécial. J’ai commencé à Synchronique en 2013 en tant que stagiaire commercial, durant mon année de césure. Je suis resté en contact par la suite au travers de mes traductions (L'Épopée de Gilgamesh, La Bhagavad-Gita, Le Livre du Thé, L’Art de la Guerre…). En 2016, j’ai repris du service en tant qu’employé, et je considère comme une richesse le fait d’avoir ce double regard sur l’édition : celui de l’auteur, et celui de l’éditeur – l’artiste et l’artisan, pour ainsi dire. Il faut jongler entre les préoccupations artistiques, commerciales et industrielles : c’est passionnant.
Parlez-vous un peu de votre métier. Que faites-vous exactement ?
Beaucoup de choses ! Le marché de l’édition est un milieu difficile, et de plus en plus concentré en France : sur environ 800 éditeurs, les 10 premiers (Hachette, Gallimard, etc.) concentrent environ 80% du chiffre d’affaires global et du nombre de ventes.
Synchronique ressemble donc à des centaines d’autres petits éditeurs : nous sommes deux à y travailler à temps plein, et nous engageons au fil de l’année deux ou trois stagiaires pour nous aider. L’objectif cette année sera de passer à la vitesse supérieure, et de pouvoir embaucher en CDI l’année prochaine.
Je jongle donc entre la comptabilité, l’administratif, la communication, le marketing, la diffusion, la relation avec les libraires, et la fabrication. Le processus éditorial lui-même (choix des manuscrits, lien avec les maquettistes et correctrices, etc.) reste aux mains de mon ami Benoît, le gérant de Synchronique.
Pouvez-vous un peu nous parler des différents métiers que l'on peut trouver dans une maison d'édition ?
Par essence, l’éditeur n’a pas vocation à savoir tout faire tout seul dans une petite maison : c’est un chef d’orchestre, qui doit harmoniser le travail de différents professionnels pour parvenir à éditer les titres qu’il désire.
Outre l’auteur et le traducteur, il faut un chef éditorial qui décide des titres à éditer et du calendrier des parutions. Vient ensuite le correcteur (et éventuellement le typographe) afin d’établir le texte définitif, en lien avec l’auteur. Puis le metteur en page et le maquettiste, afin de faire entrer ce texte dans le canevas du format choisi (livre de poche, livre illustré, etc.) et de créer la couverture (c’est elle qui donne envie au lecteur d’ouvrir le livre : elle est aussi importante que le visage d’une personne !). Si le livre est illustré d’œuvres originales, nous travaillons également à ce stade avec l’illustrateur. Puis c’est au tour de l’imprimeur de jouer, puis du diffuseur qui va placer le titre en librairie.
Dans une petite entreprise, les emplois que j’ai cités (à part, évidemment, celui du chef éditorial) sont très souvent externalisés : ce sont des professionnels qui ne sont pas embauchés en continu à Synchronique, mais avec qui nous travaillons ponctuellement, projet après projet. Dans une plus grande entreprise, ces métiers peuvent être internalisés : ces professionnels sont alors des employés à plein temps.
Dès que j’aurai le temps en 2018, je vous ferai des vidéos-interviews sur l’Arche avec des professionnels afin de vous présenter chacun de ces métiers. Chacun d’entre eux est passionnant, mais demande énormément de talent et de travail !
Pouvez-vous nous présenter la maison d'édition Synchronique Éditions ?
Synchronique Éditions publie des textes de philosophies et de sagesses orientales non-religieuses, non doctrinaires et non dualistes. Ce qui nous passionne, c’est l’universalité des grandes religions et des traditions de sagesse : toutes donnent au final le même enseignement, mais sous des approches différentes, une fois qu’on les dépouille de leur caractère doctrinaire, ritualisé et politique. Je trouve les mêmes leçons dans le Tao te King chinois, le zen japonais, la Bhagavad-Gita hindoue, le bouddhisme tibétain, le stoïcisme grec, les évangiles chrétiens et le soufisme islamique.
Nous nous voyons comme des passeurs : nos textes s’adressent à des lecteurs occidentaux, qui ne doivent pas avoir une connaissance poussée des cultures orientales pour comprendre nos livres. Nous travaillons donc longuement sur nos traductions, en particulier lorsqu’elles sont versifiées, afin de restituer l’essence de l’enseignement et d’aplanir les points culturels trop obscurs. Si nous réussissons, cela signifie que vous pouvez lire notre Tao te King ou notre Bhagavad-Gita sans aucune note ni appareil critique : le texte doit parler de lui-même, et savoir résonner en vous.
Combien de livres publiez-vous en moyenne par an, même si j'imagine que c'est très variable ?
Synchronique fête ses 10 ans en 2018. Jusqu’à présent, nous avons publié entre deux et quatre livres par an : nous allons augmenter notre production et passer à environ 10 livres par an dès cette année. C’est notre vision des choses : nous préférons travailler longtemps sur un texte, publier peu, mais maintenir nos titres en vie, car nous croyons en eux.
Le nombre de nouveautés augmente de manière exponentielle depuis les 30 dernières années, tandis que le nombre de lecteurs reste stable : cela produit une inflation du nombre de titres disponibles, donc une diminution de la durée de vie moyenne d’un livre. Celle-ci s’établit généralement autour de quelques mois à l’heure actuelle, voire de quelques semaines seulement.
Nous prenons le contrepied de cette tendance, comme beaucoup d’autres petits éditeurs : nous vendons et défendons encore les ouvrages que nous avons publiés il y a dix ans. Mais cela nous demande plus de travail éditorial, et surtout plus de travail commercial : il faut faire un choix entre publier peu mais maintenir longtemps en vie, ou publier beaucoup et laisser mourir.
Sur quoi vous basez-vous pour publier un livre ?
Comme nous sommes dans un « marché de niche » (un secteur spécialisé) de l’édition, à savoir la sagesse, spiritualité et développement personnel, nos critères ne sont pas forcément les mêmes que pour un éditeur de bande dessinée, ou de littérature pour jeune adulte.
Nous publions en grande majorité des textes classiques : notre travail se concentre surtout sur la traduction que nous choisissons, ou que nous refaisons si celles disponibles ne nous conviennent pas. Nous passons ensuite énormément de temps à choisir (ou à faire faire) l’iconographie du livre, s’il est illustré. Les images doivent être le miroir du texte : sans entrer en compétition avec lui, elles doivent inviter le lecteur à la méditation et à l’introspection, et constituer une porte d’entrée vers le contenu.
Parce que nous nous positionnons dans ce secteur spécifique de la littérature et de la poésie, nous avons donc plutôt tendance à aller nous-même chercher des textes parmi les grandes œuvres mondiales. C’est une démarche très différente de celle d’un petit éditeur de littérature contemporaine, par exemple, qui passe énormément de temps à lire les manuscrits tous qu’il reçoit avant de faire son choix.
Parmi les livres édités chez Synchronique Éditions, y en a-t-il qui vous ont particulièrement marqué ?
Tous me plaisent, et je les aime profondément, car ce sont de grandes œuvres. Mais ceux que je connais le mieux, bien sûr, ce sont ceux que j’ai personnellement traduits durant les quatre dernières années : ils sont comme de vieux amis, intimes et familiers, et ont chacun marqué ma vie et mon développement personnelle d’une manière différente.
L’Épopée de Gilgamesh reste peut-être mon texte préféré, littérairement parlant ; ainsi que le Tao te King, philosophiquement parlant.
Comment se positionne Synchronique Éditions par rapport au livre papier et au livre numérique ?
Nous travaillons à passer une partie de notre catalogue sous format numérique dès 2018. Personnellement, je considère que les deux approches ne sont pas contradictoires ; et j’observe par mon propre exemple que les gros lecteurs de livres numériques sont avant tout des amoureux de la culture et de la littérature. Je ne pense pas être le seul à acheter davantage de livres physiques depuis que je lis sur tablette. Je compare cela aux amateurs de musique : souvent, ceux qui en écoutent le plus sous la forme de fichiers numériques sont également ceux qui achètent le plus de CD et de vinyles.
Mais quoi qu’il en soit, nous resterons également des éditeurs de livres physiques : nous aimons le papier, et nous aimons les beaux livres. Notre collection poche, par exemple, propose un petit livre à moins de 13 € relié, illustré en couleur, assez solide pour ne jamais se déformer dans la poche, et avec un petit élastique pour le fermer. Le livre est un objet sensuel : nous publierons aussi en numérique, parce que nous sommes des passeurs, mais nous n’abandonnerons pas pour autant notre travail principal, qui est de créer des écrins pour les textes que nous aimons.
Pouvez-vous nous présenter vos dernières publications ?
Parmi les dernières, nous avons un recueil de Haïkus de Bashô, traduit et illustré par Manda, une artiste strasbourgeoise qui a passé sa vie à maîtriser auprès des grands maîtres japonais l’art du dessin et de la calligraphie traditionnelle. C’est une personne formidable et extraordinairement douée, qui vient de recevoir pour l’ensemble de sa carrière l’équivalent de la médaille de chevalier des Arts et Lettres de la part du gouvernement japonais.
(Je l'ai commandé à Papa Nowel celui-là ! :D)
Nous venons également de rééditer notre Epopée de Gilgamesh dans notre collection poche.
En 2018, nous allons entre autres publier l’une de mes dernières traductions : les Gitanjali de Tagore, un poète indien qui a reçu en 1913 le prix Nobel de littérature pour… la traduction de ses propres poèmes du bengali à l’anglais ! C’est l’une des plus belles poésies que j’ai jamais rencontrées : mystique, profonde, touchante, universelle.
Je vais également me lancer dans la traduction de certains Quatrains de Rumi, le grand poète mystique persan du 13e siècle, et j’ai très hâte : c’est un monument.
Nous lançons également une petite collection nommée « Hors norme », où nous vous présentons des contemporains ordinaires… qui ont vécu des histoires extraordinaires. Parmi nos premiers titres : une sage-femme qui pratique l’accouchement à domicile depuis plus d’un demi-siècle, un champion olympique d’aviron qui nous livre sa vision de l’alimentation et des régimes, une femme en fauteuil roulant qui a fait le tour du monde pour adopter sa fille…
Pour les intéressés, comment se passent les partenariats ? Comment les Éditions Synchronique perçoivent-elle l'univers de la blogosphère ?
Comme un univers de première importance ! Je le sais d’autant plus que je suis moi-même sur Youtube : ce sont aujourd’hui les blogs et les « Bookstubers » qui sont les véritables relais d’opinion, plutôt que les revues et que la presse traditionnelle. C’est pour cela que je cherche à développer nos partenariats, et à établir une relation de confiance avec ces lecteurs passionnés de partage : c’est à travers vous, et grâce à vous, que de petits éditeurs peuvent et doivent se faire connaître au public. J’ai confiance en les livres que nous faisons ; il ne nous reste plus qu’à vous trouver, et qu’à vous les faire découvrir.
Et vous, est-ce que passer du côté des auteurs vous tenterait ?
Eh bien, j’ai déjà publié des traductions ; mon premier manuscrit personnel de poèmes est pratiquement terminé, mais j’attends le moment propice pour penser à la publication. Les jeunes auteurs ne représentent souvent que la partie émergée de l’iceberg : l’épreuve de la publication, le fait d’être lu et accepté par un éditeur. C’est compliqué, certes, et souvent fastidieux, particulièrement dans le domaine de la poésie. Mais ce n’est à mes yeux que 20% de la problématique !
La vraie difficulté est de trouver un éditeur qui fasse vivre votre livre : qui le publie avec amour, et qui sache le défendre et le replacer en librairie année après année. Voir votre nom figurer sur une couverture n’a pas d’importance en soi, sinon pour flatter votre égo : le véritable objectif, le seul objectif, c’est que votre œuvre parvienne entre les mains des lecteurs.
Donc, j’attends de sentir le moment propice. Si l’Arche devient davantage connue sur Youtube, par exemple, cela facilitera d’autant la publication de mes propres poèmes. Je ne suis pas pressé : la vie est brève, mais l’art est long.
Encore une fois, merci beaucoup d'avoir pris le temps de répondre à mes questions.^^
Un dernier mot pour la fin ?
Nous publions des textes pour les partager : il n’y a rien que nous aimions plus que de recevoir des messages de nos lecteurs, et d’y répondre. N’hésitez pas à nous écrire !
Merci beaucoup à Aurélien qui a répondu à cette interview à la vitesse de la lumière. Merci pour ses réponses complètes, développées et honnêtes. Je le remercie aussi pour les liens vers les vidéos ainsi que pour toutes les photos qui illustrent cette interview.
Pour les personnes aimant l'Asie, la philosophie et la poésie, Synchronique Éditions est une maison qu'il faut absolument découvrir ! Et encore plus si vous aimez la qualité éditoriale, parce qu'ils mettent le paquet ! ^^
Où retrouver la maison d'édition Synchronique ?
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