La Horde du Contrevent, d’Alain Damasio, Folio SF, 2017 (originale : 2004), 700 pages
L’histoire
« Imaginez une Terre poncée, avec en son centre une bande de cinq mille kilomètres de large et sur ses franges un miroir de glace à peine rayable, inhabité. Imaginez qu’un vent féroce en rince la surface. Que les villages qui s’y sont accrochés, avec leurs maisons en goutte d’eau, les chars à voile qui la strient, les airpailleurs debout en plein flot, tous résistent. Imaginez qu’en Extrême-Aval ait été formé un bloc d’élite d’une vingtaine d’enfants aptes à remonter au cran, rafale en gueule, leur vie durant, le vent jusqu’à sa source, à ce jour jamais atteinte : l’Extrême-Amont. Mon nom est Sov Strochnis, scribe. Mon nom est Caracole le troubadour et Oroshi Melicerte, aéromaître. Je m’appelle aussi Golgoth, traceur de la Horde, Arval l’éclaireur et parfois même Larco lorsque je braconne l’azur à la cage volante. Ensemble, nous formons la Horde du Contrevent. Il en a existé trente-trois en huit siècles, toutes infructueuses. Je vous parle au nom de la trente-quatrième : sans doute l’ultime. »
Note : 5/5
Mon humble avis
J’entends parler de La Horde du Contrevent depuis un bon moment maintenant, depuis que je suis avidement des blogs et vidéastes fans de science-fiction sur les Interwebs. Il était donc bien sûr dans ma liste de livres à lire, pour continuer mon exploration de ce genre que j’aime beaucoup tout en le connaissant très peu, et surtout pour découvrir le phénomène qu’était ce roman. Un livre monde, une création d’univers incroyable, une lecture renversante. Quand j’ai vu qu’à l’occasion de la sortie de l’adaptation en bande dessinée, la Librairie Maupetit organisait une rencontre avec Alain Damasio et Éric Henninot, l’auteur de la BD, l’occasion parfaite était venue. J’avais le temps de lire le roman et l’adaptation BD pour pouvoir profiter pleinement de la rencontre.
Et je me suis rendu compte que tout ce que j’avais pu lire ou entendre d’élogieux à propos de La Horde du Contrevent était vrai. Il mérite tout à fait son statut de « classique » de science-fiction. Ce fut une lecture bouleversante, dans tous les bons sens que l’on puisse imaginer. Alain Damasio ne nous prend pas par la main : on entre dans le roman in medias res, sans explication, sans guide. On fait partie de la Horde, qui contre déjà depuis des années, et on découvre les nombreux personnages qui la composent.
Au fur et à mesure de l’histoire, on apprend qui sont ces personnages, pourquoi iels contrent, quelles sont leurs motivations et quels sont les enjeux dans le monde terrifiant qu’est le leur, où le vent ne cesse jamais. Écrire un roman sur le vent, ou plutôt les vents, il fallait y penser et oser. Mais l’univers créé par l’auteur n’est pas seulement dans des descriptions, du mystère et de l’aventure. Il a réinventé toute une langue pour parler de ce monde si différent du nôtre. Bien sûr, tout est en français, il ne s’agit pas d’une « langue » inventée comme l’elfique ou le Dothraki. Damasio martèle, dissèque et remodèle le langage pour qu’il corresponde à son univers, pour une immersion d’autant plus riche à la lecture mais aussi pour nous faire parvenir ces sonorités d’un autre monde. Néologismes, jeux de mots, rimes, poésie : on voit bien que chaque phrase est travaillée, chaque mot est à sa place. C’est tellement dense ce point de vue que souvent, j’ai réalisé après des centaines de pages la référence qui se cachait derrière un mot et qui faisait complètement sens.
Une fois La Horde du Contrevent terminé, j’avais l’impression d’avoir fait un long voyage dans un univers bien différent et difficile, mais aussi un voyage dans la langue. Finalement, énormément de passages se rapprochent de poésie en prose. Mais surtout, ma première réflexion était « il faudra que je relise ce livre ». Parce qu’il est tellement riche que je suis probablement passée à côté de pleins de choses. Parce que maintenant que j’ai une meilleure compréhension de l’univers, je pourrai faire plus attention à ce qui m’est passé par dessus la tête lors de cette première lecture. Bien sûr, je ne le ferai pas tout de suite. Mais je ne doute pas que la relecture sera tout aussi satisfaisante que cette première découverte, si ce n’est plus.
Pourtant armée de mes marques pages dédiés à retrouver mes citations préférées, j’ai rapidement réalisé que j’aurai peu d’occasion de les utiliser à moins d’en mettre toutes les trois pages. Mais je vous copie tout de même un paragraphe qui m’a particulièrement marqué, qui n’est pas au début du roman donc il risque d’être peu compréhensible pour celleux qui ne connaissent pas déjà l’univers… J’ai trouvé que ce passage résume parfaitement la Horde et le genre de questionnements et réflexions qui parsèment le livre.
À écouter les réactions des hordiers, je me rendais compte que nos visions des formes générées par le chrone différaient. Ces écarts me dérangeaient. Si le véramorphe révélait la vérité d’un être, pouvait-il y avoir des vérités flottantes, voire plusieurs vérités ? Ou fallait-il que j’en conclue, comme me le lança Sov avec un aplomb qui m’agaça, que l’être « en-soi » n’existait pas, qu’il n’y avait que des êtres « pour et parmi les autres », que chaque hordier n’était au fond « que le plu particulier d’une feuille commune », « un nœud dont la corde est fournie par les autres » ?
J’ai lu l’édition en poche, donc je n’ai pas eu la bande originale du livre glissée dans les éditions de La Volte, mais de ce que j’ai pu lire, c’est une expérience supplémentaire intéressante !
En poche ou pas, foncez contre le vent avec La Horde pour une lecture mémorable.
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