A quoi ressemblera notre monde si on continue à confier le pouvoir à des leaders populistes de la trempe de Donald Trump? Si on ne s'oppose pas au glissement progressif vers des politiques de plus en plus à droite? Si on ne défend pas nos libertés individuelles? Dans la saison 2 de " S.O.S. Bonheur ", Desberg et Griffo anticipent plusieurs dérives possibles de notre société. En poussant le curseur juste un peu plus loin qu'aujourd'hui (mais pas tant que ça finalement), ils mettent en scène un monde dominé par les penseurs d'extrême droite et par les valeurs morales réactionnaires, en imaginant notamment l'application d'une interdiction de divorcer ou de la préférence nationale au travail. Dans cet album glaçant, on suit les destins de six citoyens qui cherchent leur voie dans un monde où les gouvernements veulent à tout prix imposer le bien-être collectif, quitte à exclure de leur joli monde tous ceux qui ne répondent pas à la norme. Le point commun de ces six personnes est de vouloir à un moment donné s'opposer à cette norme... et de le payer très cher! On suit notamment le parcours d'Émilie, une jeune mère de famille battue par son mari. Pourtant, c'est elle qui est arrêtée par la police matrimoniale lorsqu'elle se balade de manière innocente avec un autre homme. Laziza, elle, est une employée modèle qui se fait renvoyer de son travail parce qu'aucun de ses grands-parents n'est né sur le sol national. Pour Anne et son père Louis, c'est pire encore: Bella Vita, leur caisse sociale privée, menace de les priver de tout remboursement de soins s'ils ne fréquentent pas plus souvent les clubs de Bella Vita, histoire de s'assurer qu'ils affichent les bonnes valeurs morales. On l'aura compris: " S.O.S. Bonheur " raconte la vie quasiment impossible dans une société dénuée d'humanité. Toute ressemblance avec des situations réelles n'aurait évidemment rien de fortuit...
Au milieu des années 80, la série " S.O.S. Bonheur " apparaissait dans les pages du journal de Spirou tel un OVNI. Destinée au départ à la télévision, cette série signée Jean Van Hamme s'est imposée en seulement trois albums comme l'un des grands classiques de la bande dessinée d'anticipation. Une sorte de " 1984 " version BD, mettant en scène une société totalitaire basée sur les concepts du bonheur obligatoire et du bien-être régulé. Autant dire que c'est un véritable événement de voir " S.O.S. Bonheur " faire son retour dans les librairies pour une saison 2. Au dessin, on retrouve toujours l'inoxydable Griffo, mais par contre, il y a un nouveau scénariste aux commandes, en l'occurrence Stephen Desberg (I.R.S., Le Scorpion, Empire USA,...). Celui-ci reste très fidèle à l'esprit et même à la forme adoptés à l'époque par Jean Van Hamme, en optant pour une succession de six mini-récits a priori distincts les uns des autres, mais qui finiront certainement par se rejoindre dans les épisodes suivants. Pourquoi ressusciter une série aussi mythique que " S.O.S. Bonheur "? Au-delà du coup marketing, la raison semble évidente. Face à la menace terroriste, de plus en plus d'Etats optent pour la surveillance généralisée de leurs citoyens, ouvrant ainsi la voie à la négation des individus et de leurs singularités. Fait étonnant: on retrouve pourtant très peu de nouvelles technologies dans cette saison 2 de " S.O.S. Bonheur ", qui a du coup un côté très vintage. Ce choix est pleinement assumé par Desberg. " Je me suis justement posé sur un retour en arrière ", explique-t-il. " Une société qui tente de se rassurer et de revenir sur des modes de fonctionnement qui avaient fait leurs preuves. Donald Trump est devenu président des USA avec l'idée que l'Amérique redevienne ce qu'elle avait été. Bien des gens ont peur de ne plus pouvoir être heureux dans un monde qui leur échappe. Comme s'il était possible d'éliminer tout ce qui ne nous plaît pas. "