Libres pensées...
Jonas vit dans une ville de quinze mille habitants, avec son père au chômage. Avec ses amis, son quotidien est fait de jeux de cartes, d'herbe, de boxe, de filles. Du temps à tuer. Fief est le récit de leurs journées.
Ce qui heurte en premier, dans Fief, c'est la langue. Je ne mentirai pas, il m'a fallu m'accrocher pour ne pas qu'elle me laisse sur le côté. Les protagonistes jouent avec elle, se la sont appropriée, loin du registre châtié que l'on peut habituellement rencontrer dans les livres, loin également du registre oral qui s'est frayée une place dans la littérature contemporaine : c'est la langue "caillera" qui s'épanouit ici, fait de verlan et d'autres sources encore, un ping-pong énergique auquel il faut s'acclimater, et qui nous donne une idée de ce que cela peut faire, d'être confronté à une langue qui n'est pas celle dont on maîtrise les codes. Et pourtant, une langue qui existe, invisible dans l'espace public, tabou presque dans la littérature, qui, à la faveur de l'expérience menée par David Lopez, effectue une percée.
Quant à l'intrigue, il faut là aussi se défaire de ce que l'on trouve classiquement dans les romans répondant à un objectif de divertissement : on est plongé dans le quotidien de Jonas et de ses amis, depuis des scènes de boxe jusqu'aux soirées au cours desquelles ils boivent, fument, flirtent, se battent aussi. Il y a, en filigranes, comme une errance, la vie défile et il semblerait que rien ne vient, un peu à la façon de Beckett. Il se passe des choses, pourtant, des combats perdus et d'autres gagnés, des femmes séduites et d'autres qui se sont lassées, des amis qui s'éloignent, la ville qui reste là, le quotidien comme un étau, pour eux comme pour d'autres, comme pour nous aussi.
A cet égard, Fief est une claque, comme un animal qui ne se laisse pas dompter, sauvage, instinctif, qui n'a rien d'une lecture douce, agréable, délassante.
David Lopez fait, avec ce roman, une entrée fracassante sur la scène littéraire, et mérite d'être lu pour cette expérience de lecture alternative et inédite qu'il propose, qui reflète une audace vivifiante.
Pour vous si...
- Vous en avez assez de ces livres qui se ressemblent tous.
Morceaux choisis
"J'aime tout ce qui relate une vie où les règles de la société n'ont plus cours, et où ce qui était nécessaire devient superflu. Chez Barjavel ce sont souvent des récits post-apocalyptiques, où le monde est à réinventer. Il y a cette façon de toujours mettre l'amour au centre, comme principe de réactivation du monde, comme si son absence avait précipité la fin des temps. Comme s'il fallait mourir pour pouvoir revenir à l'essentiel."
"Une bestiole vient se poser sur mon bras gauche et un réflexe me fait lui mettre un revers de la main droite, et je le vois l'insecte, projeté sans ménagement vers la piscine. En heurtant la surface de l'eau la bête se débat, et ce que je croyais être une mouche ou une guêpe s'avère être une coccinelle. C'est mignon une coccinelle. Ce n'est pas le genre d'insecte à qui on a envie de niquer sa race quand il est dans les parages."
"Elle est ingrate la boxe. Elle prend beaucoup, elle donne peu. Une maigre récompense coûte de nombreux sacrifices. Elle consacre ceux qui sont capables de la plus grande résilience. Ceux pour qui la satisfaction ne peut aller qu'avec la souffrance. Pour la surmonter. La surpasser. La sublimer."
Note finale4/5(excellent)