La musique est un langage universel, dit-on parfois. Dans notre livre du jour, cette assertion n'est pas un cliché, mais une réalité : la musique et le chant tiennent une place centrale dans la société où se déroule cette histoire. "Bertram le baladin", de Camille Leboulanger (aux éditions Critic), nous entraîne sur les routes d'un royaume où les musiciens sont rois, ou presque, parce qu'ils sont les dépositaires d'un pouvoir immense. On les révère, on les respecte, en tout cas pour la plupart de leurs concitoyens. Ce qui n'empêche pas certains aléas désagréables de se produire... Avec des conséquences inattendues... Un roman de fantasy aux airs de Commedia dell'Arte, plein de rebondissements et de révélations, mais aussi de mensonges... La musique y déploie ses pouvoirs magiques, mais elle n'adoucit pas forcément les moeurs...
Depuis que les secrets de fabrication du papier se sont perdus, entraînant la disparition de l'écriture, les musiciens, chanteurs et autres saltimbanques ont pris une place centrale dans la société. En effet, ce sont eux qui collectent les informations, des plus banales aux plus croquignolesques, et s'en vont les conter à travers l'ensemble des Terres Hautes.
Naissances et décès, grandeurs et décadences, rumeurs et messages divers, tout ce qui tombent dans l'oreille d'un musicien fait ensuite ses choux gras. L'artiste itinérant s'en inspire alors pour composer les musiques qui permettront de séduire le public tout en lui transmettant ce qu'il a appris, au gré de ses pérégrinations.
Leur place dans la société est telle qu'on a même fonder une Guilde, organisation qui possède un pouvoir supérieur au pouvoir politique. Les musiciens appartenant à la Guilde portent un costume multicolore qui permet de les reconnaître sans se tromper. Une tenue qui leur ouvre la plupart des portes et leur permet d'être héberger sans avoir à délier leur bourse.
Leur talent suffit en effet à rémunérer les aubergistes : leur présence à leur du dîner assure une belle recette et ravit la clientèle, ce qui vaut bien le gîte et le couvert. De même, les seigneurs les accueillent volontiers en leurs châteaux, pour égayer les soirées au coin du feu, faire danser les invités et, parfois, railler le maître des lieux...
L'homme que l'on rencontre dans les premières pages du roman porte ce fameux habit coloré, symbole de son appartenance à la Guilde. Mais, il y a un hic : la nuit précédente, alors qu'il dormait à la belle étoile, quelque maraud a eu la terrible idée de lui voler son instrument de musique. Un luth à six cordes, rare, tout à fait remarquable, dont le musicien est le seul à tirer la quintessence sonore.
Le voilà sur les routes avec l'espoir de retrouver les voleurs et de récupérer cet objet si précieux sans lequel son costume ne vaut plus grand-chose. La preuve : lorsqu'il arrive dans cette auberge située au croisement de deux routes, on le regarde bizarrement. Membre de la Guilde ? Possible, mais où est son instrument ?
Et, par conséquent, l'accueil est bien moins chaleureux qu'à l'ordinaire. On tolère tout juste sa présence, on ne lui concédera qu'un banc bien inconfortable pour dormir et il devra se contenter d'une médiocre pitance... Bah, l'homme en a l'habitude, même si, souvent, son simple nom lui a permis de connaître des soirées plus fastes.
Ce nom, c'est Bertram, Bertram le baladin. Trois mots qui sont comme des sésames à travers les Terres Hautes, où sa réputation le précède. Mais, ça, c'était quand il pouvait jouer... Désormais, il n'est plus rien, à moins de retrouver son luth. Or, cette étape, dans cette auberge bien peu hospitalière, ne sera pas inutile...
En effet, il y fait la connaissance d'une femme aux cheveux blancs qui lui fait comprendre qu'elle sait qui lui a volé son luth et qu'elle peut l'aider à le récupérer. Nouveau problème, et pas des moindres : cette femme est prisonnière, enchaînée à deux Aigles Rouges, cette milice peu commode à laquelle il ne fait pas bon se frotter...
Que faire ? Cherche-t-elle simplement de l'aide pour échapper à ses gardiens, ou a-t-elle vraiment des informations utiles pour Bertram ? Au point où en est le baladin, le jeu en vaut la chandelle : il va donc aider cette femme à s'évader et puis il avisera. La nuit est propice, les gardes pas bien malin et l'accueil de l'aubergiste n'incite pas à s'attarder en ces lieux.
Se forme ainsi un étrange duo : le musicien sans instrument et la femme sans nom... Car, explique-t-elle, elle ignore comment elle s'appelle. Si elle l'aide à retrouver son luth, Bertram lui propose de lui écrire une chanson rien que pour elle, à travers laquelle elle retrouvera enfin une identité. L'accord est aussitôt scellé et la femme met Bertram sur la pistes... des Aigles Rouges !
Ce sont eux qui ont volé le luth, ce qui n'est pas la meilleure des nouvelles... Mais pour en faire quoi ? Voilà le baladin et la femme sans nom sur les routes, en direction de Strid, un domaine des Terres Hautes un peu particulier : son seigneur y rejette ouvertement la tutelle de la Guilde et les musiciens ne sont pas les bienvenus sur ces terres...
Récupérer son luth ne s'annonce donc pas de tout repos pour Bertram le baladin...
D'emblée, il y a quelque chose de déroutant dans "Bertram le baladin" : un monde sans écrit, ce n'est plus très habituel pour nous, même si l'on ne cesse de prédire sa fin ; un monde où les artistes et les musiciens deviennent l'unique média et occupent une position centrale dans la société (tant que ce n'est pas la "Star Academy" ou "la Nouvelle Star" qui gère la Guilde...), c'est intéressant...
Une Guilde qui ne soit pas dédié au commerce, au vol ou à l'assassinat, là encore, cela sort de l'ordinaire, d'autant que cette Guilde très artistique semble posséder un pouvoir très important. On se dit qu'il est beau, ce monde, idéal, merveilleux, qu'on y apprécie les belles choses et que l'on se retrouve tous autour des baladins et des conteurs pour une véritable communion !
Bon, faut pas s'emballer non plus... Les Terres Hautes n'ont finalement pas l'air d'un paradis terrestre enchanté et en chanson. Le pouvoir, comme partout où il existe, corrompt, tout comme l'ambition, l'envie, la cupidité... Et découvrir ce pauvre Bertram privé de son instrument, impuissant et incapable de remplir son office nous touche d'emblée.
On a envie de le soutenir dans cette quête, de l'accompagner dans cette poursuite, de voir comment ce saltimbanque, apparemment malin et rusé, s'arrangera pour récupérer le luth lorsqu'il l'aura localisé... Bref, on a devant nous un antihéros victime d'une injustice, dont on se demande s'il ne va pas se révéler être, au fil des péripéties, un héros plein de ressources et de talents cachés...
A ses côtés, cette femme sans nom, elle aussi dépouillée, mais de son identité, cette fois. Son récit est poignant, le baladin qui s'en emparerait tirerait des larmes dans toutes les Terres Hautes à chaque fois qu'il la raconterait, c'est certain. Mais, reconnaissons-le, comme Bertram, on se pose des questions : cette histoire sonne un peu trop... vrai. Aurait-il affaire à une menteuse ?
Et puis, autour d'eux, d'autres personnages vont apparaître. Il y a Chicots, qui vit à Scrid de tous les tours possibles et imaginables, pendables, certes, mais lucratifs. Toujours prêts à tirer profit des situations, il a des rêves de grandeur qu'il peine à accomplir, même s'il a toujours un tour dans son sac et sait parfaitement tirer son épingle des jeux qu'il organise. Et même, souvent, deux ou trois épingles.
Il y a le seigneur de Scrid, qui nourrit donc une profonde aversion pour la musique, au point de considérer la Guilde et ses représentants comme personnae non gratae sur les terres de son fief. Pour lui, la Guilde est une imposture, les musiciens sont des pique-assiettes et des menteurs, il n'a pas de mot assez durs pour parler d'eux et s'échauffe dès qu'il en rencontre un...
Paradoxalement, sa fille, Gia, nourrit pour la musique, une passion qu'on qualifiera de dévorante. Elle a même une ambition secrète qu'elle entend réaliser par tous les moyens. Et comme le seigneur tient à elle comme à la prunelle de ses yeux, il lui passe tout. Et, si un musicien s'aventure chez lui, ces deux-là lui réservent un accueil très spécial...
Enfin, il y a Russ. Il est capitaine de la garde chargée de surveiller et protéger la tour qui abrite la guilde. Il en porte donc l'uniforme sans pour autant jouer de la musique lui-même. Or, c'est son souhait le plus cher, sa vocation, il en est certain... Et cette situation le frustre au point de le rendre un peu aigri, vis-à-vis des musiciens, et peut-être plus encore de Bertram...
Je ne vais pas plus loin, vous connaissez les principaux acteurs de ce roman qui pourrait tout à fait être une pièce de théâtre à l'italienne, une comédie grinçante à la Goldoni, par exemple, et qui reprend certains des codes de la Commedia dell'Arte. A commencer par ce costume multicolore que portent les musiciens et qui font d'eux de parfaits Arlequins.
Difficile d'argumenter plus loin sur cette question, car il ne faudrait pas accidentellement dévoiler certains éléments centraux de l'intrigue. Mais, je me suis bien amusé aux retournements de situation qui se produisent au fil du récit. L'histoire démarre plutôt sur un rythme modéré, puis tout s'emballe et c'est sur un air de saltarelle que se déroule la deuxième partie du livre.
Curieusement, on a envie, au début, de parler de cet univers sans culture écrite, sans papier ni aucun autre support, de ses originalités, de cette Guilde toute puissante... Mais, en fait, c'est un livre qui repose avant tout sur ses personnages, véritables moteurs de l'intrigue, et sur un objet, le fameux luth de Bertram, qui semble brûler les doigts de qui veut s'en emparer.
Camille Lebulanger est lui-même musicien, même si je ne crois pas que sa spécialité soit sa spécialité... Quoi que, les spécificités du luth de Bertram le rapprochant sérieusement d'une bonne vieille guitare. Mais il a certainement expérimenté le lien très fort qui unit le musicien et son instrument, aspect qu'il développe dans le roman de façon spectaculaire.
Un lien tout sauf anodin, car après tout, Bertram pourrait trouver un autre luth et reprendre sa route. Mais non, c'est ce luth-là, et aucun autre. On retrouve souvent ce lien très puissant chez les violonistes, qui mettent souvent un moment avant de trouver l'instrument avec lequel ils s'exprimeront le mieux.
Je l'ai dit en préambule, c'est aussi un roman qui met en avant le rôle social de la musique, pas juste sa dimension artistique, même si elle n'est pas écartée, loin de là (on le voit avec Russ, sans talent, pas de musique). Camille Leboulanger renoue avec la tradition des ménestrels, dont l'art était tout autant de distraire que d'informer. Et parfois, de provoquer, aussi...
Et puis, "Bertram le baladin", c'est un roman sur l'artiste, sa position dans la société, mais aussi sur le fait que derrière cette façade, il y a un homme. L'artiste et l'homme sont-ils alors sur la même longueur d'ondes, parfaitement en phase ? Ou bien, l'artiste est-il un rôle que joue l'homme, qui se cacherait derrière comme on porte un masque ?
Cette dimension est particulièrement intéressante dans le cas présent, puisque les baladins comme Bertram ne sont pas juste des artistes, mais aussi des hérauts, des médias, des courroies de transmission... Or, si leur qualité musicale fait leur réputation, celle-ci repose forcément sur la fiablité des informations qu'ils transmettent.
Pour dire les choses plus clairement, un bon musicien doit être fiable, ne pas trop enjoliver les faits, et encore moins... mentir. Ou s'arranger avec la vérité, avec les faits qu'il est chargé de retranscrire, ce qui revient au même. Là encore, difficile d'aller plus loin dans les explications, il vous faudra lire le roman de Camille Leboulanger.
C'est en tout cas un roman sur le mensonge, qui prend différentes formes tout au long de l'histoire, y compris lorsqu'on s'y attend le moins. Et c'est aussi cette dimension qui rappelle la Commedia dell'Arte, où chaque personnage a aussi ses secrets, dont le spectateur est parfois complice, où chacun a des intérêts qui convergent rarement, où chacun peut à tout moment tromper l'autre...
On retrouve le même côté satirique et plutôt amoral dans "Bertram le baladin", ce qui n'exclut pas aussi les sentiments et la complicité (au bon sens du terme). One-shot ou début d'une série ? La fin relativement ouverte laisse la possibilité entière, je pense, et je serais heureux de retrouver le baladin dans de nouvelles aventures, car je suis sorti un peu frustré de ce voyage dans les Terres Hautes.
Frustré, parce que c'est passé vite. "Bertram le baladin" est un très agréable divertissement, on regrette même que le livre ne soit pas accompagné d'une bande-son, un roman frais et léger, avec des personnages qui pourraient être approfondis, mais qui remplissent leur rôle à merveille, dans ce cadre de comédie.
Depuis que les secrets de fabrication du papier se sont perdus, entraînant la disparition de l'écriture, les musiciens, chanteurs et autres saltimbanques ont pris une place centrale dans la société. En effet, ce sont eux qui collectent les informations, des plus banales aux plus croquignolesques, et s'en vont les conter à travers l'ensemble des Terres Hautes.
Naissances et décès, grandeurs et décadences, rumeurs et messages divers, tout ce qui tombent dans l'oreille d'un musicien fait ensuite ses choux gras. L'artiste itinérant s'en inspire alors pour composer les musiques qui permettront de séduire le public tout en lui transmettant ce qu'il a appris, au gré de ses pérégrinations.
Leur place dans la société est telle qu'on a même fonder une Guilde, organisation qui possède un pouvoir supérieur au pouvoir politique. Les musiciens appartenant à la Guilde portent un costume multicolore qui permet de les reconnaître sans se tromper. Une tenue qui leur ouvre la plupart des portes et leur permet d'être héberger sans avoir à délier leur bourse.
Leur talent suffit en effet à rémunérer les aubergistes : leur présence à leur du dîner assure une belle recette et ravit la clientèle, ce qui vaut bien le gîte et le couvert. De même, les seigneurs les accueillent volontiers en leurs châteaux, pour égayer les soirées au coin du feu, faire danser les invités et, parfois, railler le maître des lieux...
L'homme que l'on rencontre dans les premières pages du roman porte ce fameux habit coloré, symbole de son appartenance à la Guilde. Mais, il y a un hic : la nuit précédente, alors qu'il dormait à la belle étoile, quelque maraud a eu la terrible idée de lui voler son instrument de musique. Un luth à six cordes, rare, tout à fait remarquable, dont le musicien est le seul à tirer la quintessence sonore.
Le voilà sur les routes avec l'espoir de retrouver les voleurs et de récupérer cet objet si précieux sans lequel son costume ne vaut plus grand-chose. La preuve : lorsqu'il arrive dans cette auberge située au croisement de deux routes, on le regarde bizarrement. Membre de la Guilde ? Possible, mais où est son instrument ?
Et, par conséquent, l'accueil est bien moins chaleureux qu'à l'ordinaire. On tolère tout juste sa présence, on ne lui concédera qu'un banc bien inconfortable pour dormir et il devra se contenter d'une médiocre pitance... Bah, l'homme en a l'habitude, même si, souvent, son simple nom lui a permis de connaître des soirées plus fastes.
Ce nom, c'est Bertram, Bertram le baladin. Trois mots qui sont comme des sésames à travers les Terres Hautes, où sa réputation le précède. Mais, ça, c'était quand il pouvait jouer... Désormais, il n'est plus rien, à moins de retrouver son luth. Or, cette étape, dans cette auberge bien peu hospitalière, ne sera pas inutile...
En effet, il y fait la connaissance d'une femme aux cheveux blancs qui lui fait comprendre qu'elle sait qui lui a volé son luth et qu'elle peut l'aider à le récupérer. Nouveau problème, et pas des moindres : cette femme est prisonnière, enchaînée à deux Aigles Rouges, cette milice peu commode à laquelle il ne fait pas bon se frotter...
Que faire ? Cherche-t-elle simplement de l'aide pour échapper à ses gardiens, ou a-t-elle vraiment des informations utiles pour Bertram ? Au point où en est le baladin, le jeu en vaut la chandelle : il va donc aider cette femme à s'évader et puis il avisera. La nuit est propice, les gardes pas bien malin et l'accueil de l'aubergiste n'incite pas à s'attarder en ces lieux.
Se forme ainsi un étrange duo : le musicien sans instrument et la femme sans nom... Car, explique-t-elle, elle ignore comment elle s'appelle. Si elle l'aide à retrouver son luth, Bertram lui propose de lui écrire une chanson rien que pour elle, à travers laquelle elle retrouvera enfin une identité. L'accord est aussitôt scellé et la femme met Bertram sur la pistes... des Aigles Rouges !
Ce sont eux qui ont volé le luth, ce qui n'est pas la meilleure des nouvelles... Mais pour en faire quoi ? Voilà le baladin et la femme sans nom sur les routes, en direction de Strid, un domaine des Terres Hautes un peu particulier : son seigneur y rejette ouvertement la tutelle de la Guilde et les musiciens ne sont pas les bienvenus sur ces terres...
Récupérer son luth ne s'annonce donc pas de tout repos pour Bertram le baladin...
D'emblée, il y a quelque chose de déroutant dans "Bertram le baladin" : un monde sans écrit, ce n'est plus très habituel pour nous, même si l'on ne cesse de prédire sa fin ; un monde où les artistes et les musiciens deviennent l'unique média et occupent une position centrale dans la société (tant que ce n'est pas la "Star Academy" ou "la Nouvelle Star" qui gère la Guilde...), c'est intéressant...
Une Guilde qui ne soit pas dédié au commerce, au vol ou à l'assassinat, là encore, cela sort de l'ordinaire, d'autant que cette Guilde très artistique semble posséder un pouvoir très important. On se dit qu'il est beau, ce monde, idéal, merveilleux, qu'on y apprécie les belles choses et que l'on se retrouve tous autour des baladins et des conteurs pour une véritable communion !
Bon, faut pas s'emballer non plus... Les Terres Hautes n'ont finalement pas l'air d'un paradis terrestre enchanté et en chanson. Le pouvoir, comme partout où il existe, corrompt, tout comme l'ambition, l'envie, la cupidité... Et découvrir ce pauvre Bertram privé de son instrument, impuissant et incapable de remplir son office nous touche d'emblée.
On a envie de le soutenir dans cette quête, de l'accompagner dans cette poursuite, de voir comment ce saltimbanque, apparemment malin et rusé, s'arrangera pour récupérer le luth lorsqu'il l'aura localisé... Bref, on a devant nous un antihéros victime d'une injustice, dont on se demande s'il ne va pas se révéler être, au fil des péripéties, un héros plein de ressources et de talents cachés...
A ses côtés, cette femme sans nom, elle aussi dépouillée, mais de son identité, cette fois. Son récit est poignant, le baladin qui s'en emparerait tirerait des larmes dans toutes les Terres Hautes à chaque fois qu'il la raconterait, c'est certain. Mais, reconnaissons-le, comme Bertram, on se pose des questions : cette histoire sonne un peu trop... vrai. Aurait-il affaire à une menteuse ?
Et puis, autour d'eux, d'autres personnages vont apparaître. Il y a Chicots, qui vit à Scrid de tous les tours possibles et imaginables, pendables, certes, mais lucratifs. Toujours prêts à tirer profit des situations, il a des rêves de grandeur qu'il peine à accomplir, même s'il a toujours un tour dans son sac et sait parfaitement tirer son épingle des jeux qu'il organise. Et même, souvent, deux ou trois épingles.
Il y a le seigneur de Scrid, qui nourrit donc une profonde aversion pour la musique, au point de considérer la Guilde et ses représentants comme personnae non gratae sur les terres de son fief. Pour lui, la Guilde est une imposture, les musiciens sont des pique-assiettes et des menteurs, il n'a pas de mot assez durs pour parler d'eux et s'échauffe dès qu'il en rencontre un...
Paradoxalement, sa fille, Gia, nourrit pour la musique, une passion qu'on qualifiera de dévorante. Elle a même une ambition secrète qu'elle entend réaliser par tous les moyens. Et comme le seigneur tient à elle comme à la prunelle de ses yeux, il lui passe tout. Et, si un musicien s'aventure chez lui, ces deux-là lui réservent un accueil très spécial...
Enfin, il y a Russ. Il est capitaine de la garde chargée de surveiller et protéger la tour qui abrite la guilde. Il en porte donc l'uniforme sans pour autant jouer de la musique lui-même. Or, c'est son souhait le plus cher, sa vocation, il en est certain... Et cette situation le frustre au point de le rendre un peu aigri, vis-à-vis des musiciens, et peut-être plus encore de Bertram...
Je ne vais pas plus loin, vous connaissez les principaux acteurs de ce roman qui pourrait tout à fait être une pièce de théâtre à l'italienne, une comédie grinçante à la Goldoni, par exemple, et qui reprend certains des codes de la Commedia dell'Arte. A commencer par ce costume multicolore que portent les musiciens et qui font d'eux de parfaits Arlequins.
Difficile d'argumenter plus loin sur cette question, car il ne faudrait pas accidentellement dévoiler certains éléments centraux de l'intrigue. Mais, je me suis bien amusé aux retournements de situation qui se produisent au fil du récit. L'histoire démarre plutôt sur un rythme modéré, puis tout s'emballe et c'est sur un air de saltarelle que se déroule la deuxième partie du livre.
Curieusement, on a envie, au début, de parler de cet univers sans culture écrite, sans papier ni aucun autre support, de ses originalités, de cette Guilde toute puissante... Mais, en fait, c'est un livre qui repose avant tout sur ses personnages, véritables moteurs de l'intrigue, et sur un objet, le fameux luth de Bertram, qui semble brûler les doigts de qui veut s'en emparer.
Camille Lebulanger est lui-même musicien, même si je ne crois pas que sa spécialité soit sa spécialité... Quoi que, les spécificités du luth de Bertram le rapprochant sérieusement d'une bonne vieille guitare. Mais il a certainement expérimenté le lien très fort qui unit le musicien et son instrument, aspect qu'il développe dans le roman de façon spectaculaire.
Un lien tout sauf anodin, car après tout, Bertram pourrait trouver un autre luth et reprendre sa route. Mais non, c'est ce luth-là, et aucun autre. On retrouve souvent ce lien très puissant chez les violonistes, qui mettent souvent un moment avant de trouver l'instrument avec lequel ils s'exprimeront le mieux.
Je l'ai dit en préambule, c'est aussi un roman qui met en avant le rôle social de la musique, pas juste sa dimension artistique, même si elle n'est pas écartée, loin de là (on le voit avec Russ, sans talent, pas de musique). Camille Leboulanger renoue avec la tradition des ménestrels, dont l'art était tout autant de distraire que d'informer. Et parfois, de provoquer, aussi...
Et puis, "Bertram le baladin", c'est un roman sur l'artiste, sa position dans la société, mais aussi sur le fait que derrière cette façade, il y a un homme. L'artiste et l'homme sont-ils alors sur la même longueur d'ondes, parfaitement en phase ? Ou bien, l'artiste est-il un rôle que joue l'homme, qui se cacherait derrière comme on porte un masque ?
Cette dimension est particulièrement intéressante dans le cas présent, puisque les baladins comme Bertram ne sont pas juste des artistes, mais aussi des hérauts, des médias, des courroies de transmission... Or, si leur qualité musicale fait leur réputation, celle-ci repose forcément sur la fiablité des informations qu'ils transmettent.
Pour dire les choses plus clairement, un bon musicien doit être fiable, ne pas trop enjoliver les faits, et encore moins... mentir. Ou s'arranger avec la vérité, avec les faits qu'il est chargé de retranscrire, ce qui revient au même. Là encore, difficile d'aller plus loin dans les explications, il vous faudra lire le roman de Camille Leboulanger.
C'est en tout cas un roman sur le mensonge, qui prend différentes formes tout au long de l'histoire, y compris lorsqu'on s'y attend le moins. Et c'est aussi cette dimension qui rappelle la Commedia dell'Arte, où chaque personnage a aussi ses secrets, dont le spectateur est parfois complice, où chacun a des intérêts qui convergent rarement, où chacun peut à tout moment tromper l'autre...
On retrouve le même côté satirique et plutôt amoral dans "Bertram le baladin", ce qui n'exclut pas aussi les sentiments et la complicité (au bon sens du terme). One-shot ou début d'une série ? La fin relativement ouverte laisse la possibilité entière, je pense, et je serais heureux de retrouver le baladin dans de nouvelles aventures, car je suis sorti un peu frustré de ce voyage dans les Terres Hautes.
Frustré, parce que c'est passé vite. "Bertram le baladin" est un très agréable divertissement, on regrette même que le livre ne soit pas accompagné d'une bande-son, un roman frais et léger, avec des personnages qui pourraient être approfondis, mais qui remplissent leur rôle à merveille, dans ce cadre de comédie.