Après le western moderne, le western plus classique. Depuis 2013, les éditions Actes Sud ont lancé une collection entièrement dédiée à ce genre, "L'Ouest, le Vrai", dirigée par un connaisseur s'il en est : Bertrand Tavernier. Le projet est simple : proposer des traductions inédites de romans écrits par des romanciers qu'on ne connaît pas vraiment de ce côté-ci de l'Atlantique, mais qui ont marqué leur époque et ont souvent été adaptés au cinéma. Luke Short fait partie de ces auteurs et "Femme de feu" est le deuxième de ses romans à être publié dans cette collection, dans une traduction d'Arthur Lochmann. Un western assez classique, qui révèle pourtant quelques originalités marquantes : l'emploi des codes du roman noir dans le contexte du western et un personnage féminin qui sort du rôle dévolu habituellement aux femmes. Direction Signal, petite ville bien tranquille, mais plus pour très longtemps...
Près de Signal, s'étend le Bench une large étendue d'herbe bien grasse, idéale pour nourrir un grand troupeau de bovins. Or, justement, aux alentours, trois ranches se dressent : le Bell, propriété de Frank Ivey, le D Bar, qui appartient à Ben Dickason et le Circle 66, qui a été acquis plus récemment par l'ambitieux Walt Shipley.
C'est d'ailleurs le Circle 66 qui se trouve le plus proche du Bench et Walt entend bien en profiter. Il a même une idée : élever non pas des bovins, mais des moutons, qui trouveront dans cette herbe abondante un aliment idéal. Ce choix, annoncé haut et fort, n'a pas fait que des heureux : Ivey et Dickason, qui possèdent d'importants troupeaux de bovins, n'entendent pas laisser échapper le Bench.
Alors, Ivey et Dickason s'allient pour se débarrasser de leur rival et récupérer le Bench. Une tâche pas très compliquée : Shipley est peut-être ambitieux, c'est un pied-tendre qui n'a guère l'habitude de la bagarre. Une humiliation plus tard et l'assurance que, la fois suivante, il finirait les pieds devant, Walt quitte Signal en catimini, la queue entre les jambes...
Un succès total pour Ivey, qui n'a même pas eu à se salir les mains. Mais, il y a un mais... Un mais qui s'appelle Connie. La jeune femme était fiancée à Walt et le voir fuir ainsi sans demander son reste, en l'abandonnant là en pleine panade, a été un vrai choc. Un électro-choc, même, car cela fait beaucoup de raison pour être en colère.
Connie connaît bien ses désormais deux adversaires, et pour cause : Ben Dickason est son propre père, elle vit encore au D Bar, et il a longtemps été question qu'elle épouse Frank Ivey. Mais, Connie a toujours eu un caractère bien trempé et elle a rejeté avec virulence le mariage arrangé pour elle par les deux éleveurs.
Et pour contrarier leurs plans, elle a donc choisi Walt Shipley, chez qui elle devait s'installer sous peu, une fois qu'ils auraient convoler. Force est de constater qu'elle s'est bien plantée... Qu'à cela ne tienne, désormais le Circle 66 lui appartient, Walt lui ayant fait ce cadeau d'adieu, et elle entend bien en prendre les rênes rapidement. Et récupérer le Bench au passage, bien sûr.
Toute femme qu'elle est, elle ne craint pas cette brute d'Ivey et encore moins son père, qu'elle a toujours su mener par le bout du nez. Alors, elle les défie et entend bien leur damer le pion. Mais, seule, elle n'y parviendra pas. Pour diriger un ranch, il faut du monde, mais pour ce qui s'annonce comme une guerre de territoires, il faut des hommes de confiance.
Elle en connaît un : Dave Nash, qui était encore il y a peu le contremaître ("ramrod", en anglais, qui est aussi le titre original du roman) de Walt. Un homme compétent qui a su remonter la pente après un drame personnel et une plongée dans l'alcool... Pour beaucoup, il n'est plus que l'ombre de l'homme qu'il a été, mais pour Connie, il est essentiel et saura monter une équipe fiable.
Dave hésite, ce n'est pas vraiment ainsi qu'il entendait mener sa nouvelle vie. Et puis, le défi lui semble intéressant à relever : moucher une bonne fois pour toute cet arrogant de Ivey, ça lui plaît bien. Parmi ses connaissances, nombreux sont ceux qui haïssent suffisamment Ivey pour le suivre dans cette aventure. Et il espère parvenir à mettre le shérif Jim Crew de leur côté...
Mais, rapidement, tout le monde comprend que le Bench ne se gagnera qu'après une lutte âpre où tous les coups seront permis... Il faudra tenir, coûte que coûte, répondre à chaque agression, se faire respecter. Se montrer plus malin, non, pardon, se montrer plus sournois et retors que Frank Ivey lui-même. Et, à ce petit jeu, Connie Dickason pourrait bien surprendre son monde...
C'est en 1943 que "Ramrod" est paru aux Etats-Unis et "Femme de feu" est sa première traduction en français, près de trois quarts de siècle plus tard. Entre temps, on y reviendra, il y avait tout de même eu une adaptation cinéma. On doit ce roman à un spécialiste du genre, Luke Short, qui a signé un bon nombre de westerns depuis les années 1930 jusqu'au milieu des années 1970.
Et il n'a pas hésité pour ce livre à bouleverser les codes traditionnels du genre. D'abord, par le côté très noir et très violent de son histoire. La violence n'est pas rendue un peu abstraite comme parfois lorsqu'on assiste à des batailles rangées. Encore l'influence du cinéma, des figurants anonymes qui tombent, mais qui se relèveront, on le sait, une fois la prise terminée.
Dans "Femme de feu", la violence met directement face à face les personnages, on se bat les yeux dans les yeux, on se tue en toute connaissance de cause... Et cette violence, d'ailleurs, prend des formes très impressionnantes, comme cet effroyable passage à tabac qui sera une des étincelles mettant le feu aux poudres.
Luke Short ne rigole pas : parler de guerre n'est pas un vain mot ou une exagération, le Bench va se retrouver au coeur d'une spirale de violence dont on se demande si elle peut prendre fin autrement que par l'absence de combattants encore en état d'en découdre... Et, au fil des réponses et des représailles, chacun va se montrer particulièrement créatif pour exercer une pression sur l'adversaire.
L'autre originalité, sans doute lié à la période où Luke Short a écrit ce roman, c'est qu'il instille dans le western des codes qu'on croise habituellement dans le roman noir. Le début des années 1940 voit les adaptations de romans marquants, tels que "le Faucon Maltais", de Dashiell Hammett ou "le Grand Sommeil", de Raymond Chandler.
Dans "Femme de feu", on retrouve des éléments qui rappellent effectivement des histoires plus ancrées dans l'Amérique de la Grande Dépression. Il n'y a pas à proprement parler de détective privé, mais, d'une certaine façon, c'est Dave Nash qui en fait office. Il vient de renoncer à l'alcool, c'est vrai, mais après avoir cherché à s'y engloutir et être tombé bas, très bas...
Il lui a fallu une énorme volonté pour ne pas finir de se noyer et pour reprendre une activité professionnelle. Aux yeux de beaucoup, il est fini, c'est une loque. Ivey, apprenant qu'il sera le bras droit de Connie, n'en ressort que plus confiant sur ses chances. Pourtant, c'est un homme nouveau qui va se dresser devant lui. Quelqu'un qui n'a rien à perdre, ou si peu.
Dave Nash est, d'une certaine façon, l'équivalent de ces personnages immortalisés par Bogart : blasé, courageux et parfois inconscient, au bord du gouffre mais encore assez idéaliste pour rejeter l'injustice de toutes ses forces. Et, pour lui, le traitement infligé à Walt est une injustice (même si la lâcheté du bonhomme l'écoeure), tout comme la situation de Connie.
Dave n'est pas un personnage sympathique, à vrai dire, il ne fait pas grand-chose pour et s'en moque. Mais, c'est un dur au mal, un courageux et quelqu'un qui aime jouer, en toutes circonstances, selon des règles précisément édictées. Or, il va comprendre bien trop tard que la bataille du Bench n'a rien à voir avec tout cela...
Face à lui, Ivey a tout du grand méchant qu'on aime détester et qui le mérite. Mais lui aussi se fout de ce qu'on pense de lui, du moment qu'il arrive à ses fins. Il y a un tel sentiment de supériorité chez lui qu'à côté, n'importe quel personnage pourrait sembler sympathique. Et, autour de lui, ses hommes de main sont taillés dans le même bois...
Et puis, il y a Connie... Pour poursuivre le parallèle avec le roman noir, elle serait la femme fatale. Et, rien que cela, c'est une nouveauté pour le western, univers très masculin dans lequel le rôle des personnages féminins est souvent réduit à portion congrue. Ici, ce n'est pas le cas, et tout commence parce que Connie va décider de pallier la désertion de Walt.
Elle s'auto-proclame chef de clan, avant même de savoir si quelqu'un la suivra. Elle défie à la fois l'autorité paternelle et la puissance du caïd local, avec un aplomb, mais aussi un orgueil, qui forcent le respect. Aussitôt, le lecteur se sent de son côté, elle est la victime, à plus d'un titre, ses revendications sont juste et donner une bonne leçon à Ivey ne sera pas un luxe.
Au départ, on la voit donc comme une héroïne, avec un côté très positif. On nous dit même que Dave Nash ressent de l'admiration pour elle, raison de son engagement. Mais, là encore, les choses vont évoluer, parce qu'elle va choisir d'affronter Ivey en utilisant les mêmes armes que lui. En se montrant aussi impitoyable et retorse que les hommes.
Jusqu'à faire des choix qui ternissent fortement son image aux yeux du lecteur. Et pas seulement eux. Tout cela fait du personnage de Connie une figure qui n'est ni falote ni monolithique. Comme d'ailleurs la plupart des personnages de ce roman, elle possède une vraie complexité sur le plan psychologique, une certaine profondeur, aussi.
Elle est intéressante parce qu'elle n'apparaît au final ni blanche ni noire, elle est une âme grise qui s'est laissée emporter par son orgueil et sa soif de revanche. Une revanche à prendre autant sur elle-même que sur les hommes qui l'ont sous-estimée : Walt, son père, Ivey... Et les décisions qu'elle va prendre vont sans doute la faire basculer du mauvais côté.
Jusqu'ici, je n'ai évoqué que Connie, mais il faudrait parler du second personnage féminin du roman. Certes, elle occupe une place nettement plus secondaire que Connie, mais non négligeable. Elle est surtout le parfait contraire de Connie, tant sur le plan du caractère que du physique. Rose Leland est une femme qui n'a pas sa langue dans sa poche et qui ne se laisse pas faire.
Son regard sur les autres personnages, y compris sur Connie, possède une vraie pertinence. Elle sait d'ailleurs reconnaître les qualités de celle qu'elle voit volontiers comme une rivale (eh oui, Nash fait battre les coeurs, que voulez-vous...), mais elle se méfie d'elle dans le même temps. Et elle pressent bien avant Nash que la jeune femme est capable de coups tordus, de trahisons...
Là encore, on n'est pas juste devant une femme amoureuse dont le rôle se limiterait à être béate devant l'homme de ses rêves. Non, c'est une lionne qui redoute le pire pour celui qu'elle aime, mais a également peur de le perdre et n'entend pas s'effacer devant plus puissante qu'elle. Elle est de bon conseil, maligne et n'a pas froid aux yeux.
Sur les personnages féminins, je vous incite vivement à lire la postface de Bertrand Tavernier, qui s'attache, c'est vrai, pas mal au film, oeil du cinéaste oblige, mais vous offrira pas mal de pistes de lecture et de réflexion sur "Femme de feu". Cette question des personnages féminins y est largement évoquée, comme d'autres thèmes plus surprenants, comme la fascinante symbolique des chapeaux portés par les acteurs...
Terminons ce petit panorama des personnages par le séhrif, Jim Crew. Lui, c'est vraiment un pur personnage de western. Le genre d'homme respecté par tous parce qu'il a su faire les preuves de son intégrité, de ses compétences et de l'intérêt primordial qu'il porte à la justice. Il n'a pas de préjugé, il se contente de faire appliquer la loi dans un monde où elle passe après bien des intérêts particuliers.
Il sait pertinemment que dans ce genre de conflits entre éleveurs, il jouera un peu les soupapes de sécurité, qu'il interviendra pour que tout le monde respecte de son mieux les lois en vigueur. Aussi, devient-il une espèce d'enjeu pour Nash lorsque la tension augmente : l'avoir de son côté sera un atout, en tout cas, la certitude d'agir dans le bon sens et de faire du camp adverse le méchant...
J'ai évoqué plusieurs fois le films, finissons donc avec lui. Bien sûr, c'est un blog consacré d'abord aux livres, mais la collection "L'Ouest, le Vrai" met en avant des romans qui ont souvent été portés sur le grand écran. En outre, on sent bien que Luke Short écrivait dans l'optique de voir ses livres devenir des films, le lien est donc étroit.
C'est en 1947 que "Ramrod", pour reprendre le titre original, est sorti. Derrière la caméra, Andre De Toth, un réalisateur d'origine hongroise qui se trouve à l'époque être l'époux de l'actrice principale. Ce n'est pas anodin, en raison de tout ce que l'on a dit plus haut, cette actrice, c'est l'emblématique Veronica Lake, blonde mythique, habituée justement aux rôles de femme fatale.
Et si le rôle qui lui est offert dans "Femme de feu" lui permet de jouer un rôle à contre-emploi par rapport à ce qu'elle fait habituellement, du moins dans la forme, dans le fond, elle incarne encore une fois sous ses airs angéliques, un personnage manipulateur et finalement assez froid. Mais c'est bien elle, la star du film, et dans un western, c'est quasiment inédit à cette époque.
De Toth adapte très fidèlement le roman de Luke Short, n'y apportant que quelques retouches. Il prend en particulier soin de ne pas alourdir les dialogues qui, dans le roman, sont assez rares, toujours brefs, presque lapidaires. Pas de grande déclaration, de longue tirade. Et des personnages qui, finalement, s'interrogent bien plus en leur for intérieur.
Bon, je ne vais pas non plus paraphraser Tavernier, dont la passion est vraiment communicative et la culture immense. Je termine juste en vous disant que, si vous voulez, après lecture, voir l'adaptation, elle est disponible en DVD (elle était même sorti avant que la collection "L'Ouest, le Vrai" existe). Et, en tapant "Ramrod" et "De Toth" sur un moteur de recherche, on trouve facilement la VO en ligne...
Je ne suis pas un grand connaisseur de westerns, en tout cas bien moins que Bertrand Tavernier, mais j'ai eu envie de lire ce roman et de découvrir cette collection par curiosité et justement, parce que je fais confiance à cet illustre réalisateur pour nous dénicher quelques perles. C'est ma première expérience avec "L'Ouest, le Vrai", et j'ai déjà envie d'y retourner.
Près de Signal, s'étend le Bench une large étendue d'herbe bien grasse, idéale pour nourrir un grand troupeau de bovins. Or, justement, aux alentours, trois ranches se dressent : le Bell, propriété de Frank Ivey, le D Bar, qui appartient à Ben Dickason et le Circle 66, qui a été acquis plus récemment par l'ambitieux Walt Shipley.
C'est d'ailleurs le Circle 66 qui se trouve le plus proche du Bench et Walt entend bien en profiter. Il a même une idée : élever non pas des bovins, mais des moutons, qui trouveront dans cette herbe abondante un aliment idéal. Ce choix, annoncé haut et fort, n'a pas fait que des heureux : Ivey et Dickason, qui possèdent d'importants troupeaux de bovins, n'entendent pas laisser échapper le Bench.
Alors, Ivey et Dickason s'allient pour se débarrasser de leur rival et récupérer le Bench. Une tâche pas très compliquée : Shipley est peut-être ambitieux, c'est un pied-tendre qui n'a guère l'habitude de la bagarre. Une humiliation plus tard et l'assurance que, la fois suivante, il finirait les pieds devant, Walt quitte Signal en catimini, la queue entre les jambes...
Un succès total pour Ivey, qui n'a même pas eu à se salir les mains. Mais, il y a un mais... Un mais qui s'appelle Connie. La jeune femme était fiancée à Walt et le voir fuir ainsi sans demander son reste, en l'abandonnant là en pleine panade, a été un vrai choc. Un électro-choc, même, car cela fait beaucoup de raison pour être en colère.
Connie connaît bien ses désormais deux adversaires, et pour cause : Ben Dickason est son propre père, elle vit encore au D Bar, et il a longtemps été question qu'elle épouse Frank Ivey. Mais, Connie a toujours eu un caractère bien trempé et elle a rejeté avec virulence le mariage arrangé pour elle par les deux éleveurs.
Et pour contrarier leurs plans, elle a donc choisi Walt Shipley, chez qui elle devait s'installer sous peu, une fois qu'ils auraient convoler. Force est de constater qu'elle s'est bien plantée... Qu'à cela ne tienne, désormais le Circle 66 lui appartient, Walt lui ayant fait ce cadeau d'adieu, et elle entend bien en prendre les rênes rapidement. Et récupérer le Bench au passage, bien sûr.
Toute femme qu'elle est, elle ne craint pas cette brute d'Ivey et encore moins son père, qu'elle a toujours su mener par le bout du nez. Alors, elle les défie et entend bien leur damer le pion. Mais, seule, elle n'y parviendra pas. Pour diriger un ranch, il faut du monde, mais pour ce qui s'annonce comme une guerre de territoires, il faut des hommes de confiance.
Elle en connaît un : Dave Nash, qui était encore il y a peu le contremaître ("ramrod", en anglais, qui est aussi le titre original du roman) de Walt. Un homme compétent qui a su remonter la pente après un drame personnel et une plongée dans l'alcool... Pour beaucoup, il n'est plus que l'ombre de l'homme qu'il a été, mais pour Connie, il est essentiel et saura monter une équipe fiable.
Dave hésite, ce n'est pas vraiment ainsi qu'il entendait mener sa nouvelle vie. Et puis, le défi lui semble intéressant à relever : moucher une bonne fois pour toute cet arrogant de Ivey, ça lui plaît bien. Parmi ses connaissances, nombreux sont ceux qui haïssent suffisamment Ivey pour le suivre dans cette aventure. Et il espère parvenir à mettre le shérif Jim Crew de leur côté...
Mais, rapidement, tout le monde comprend que le Bench ne se gagnera qu'après une lutte âpre où tous les coups seront permis... Il faudra tenir, coûte que coûte, répondre à chaque agression, se faire respecter. Se montrer plus malin, non, pardon, se montrer plus sournois et retors que Frank Ivey lui-même. Et, à ce petit jeu, Connie Dickason pourrait bien surprendre son monde...
C'est en 1943 que "Ramrod" est paru aux Etats-Unis et "Femme de feu" est sa première traduction en français, près de trois quarts de siècle plus tard. Entre temps, on y reviendra, il y avait tout de même eu une adaptation cinéma. On doit ce roman à un spécialiste du genre, Luke Short, qui a signé un bon nombre de westerns depuis les années 1930 jusqu'au milieu des années 1970.
Et il n'a pas hésité pour ce livre à bouleverser les codes traditionnels du genre. D'abord, par le côté très noir et très violent de son histoire. La violence n'est pas rendue un peu abstraite comme parfois lorsqu'on assiste à des batailles rangées. Encore l'influence du cinéma, des figurants anonymes qui tombent, mais qui se relèveront, on le sait, une fois la prise terminée.
Dans "Femme de feu", la violence met directement face à face les personnages, on se bat les yeux dans les yeux, on se tue en toute connaissance de cause... Et cette violence, d'ailleurs, prend des formes très impressionnantes, comme cet effroyable passage à tabac qui sera une des étincelles mettant le feu aux poudres.
Luke Short ne rigole pas : parler de guerre n'est pas un vain mot ou une exagération, le Bench va se retrouver au coeur d'une spirale de violence dont on se demande si elle peut prendre fin autrement que par l'absence de combattants encore en état d'en découdre... Et, au fil des réponses et des représailles, chacun va se montrer particulièrement créatif pour exercer une pression sur l'adversaire.
L'autre originalité, sans doute lié à la période où Luke Short a écrit ce roman, c'est qu'il instille dans le western des codes qu'on croise habituellement dans le roman noir. Le début des années 1940 voit les adaptations de romans marquants, tels que "le Faucon Maltais", de Dashiell Hammett ou "le Grand Sommeil", de Raymond Chandler.
Dans "Femme de feu", on retrouve des éléments qui rappellent effectivement des histoires plus ancrées dans l'Amérique de la Grande Dépression. Il n'y a pas à proprement parler de détective privé, mais, d'une certaine façon, c'est Dave Nash qui en fait office. Il vient de renoncer à l'alcool, c'est vrai, mais après avoir cherché à s'y engloutir et être tombé bas, très bas...
Il lui a fallu une énorme volonté pour ne pas finir de se noyer et pour reprendre une activité professionnelle. Aux yeux de beaucoup, il est fini, c'est une loque. Ivey, apprenant qu'il sera le bras droit de Connie, n'en ressort que plus confiant sur ses chances. Pourtant, c'est un homme nouveau qui va se dresser devant lui. Quelqu'un qui n'a rien à perdre, ou si peu.
Dave Nash est, d'une certaine façon, l'équivalent de ces personnages immortalisés par Bogart : blasé, courageux et parfois inconscient, au bord du gouffre mais encore assez idéaliste pour rejeter l'injustice de toutes ses forces. Et, pour lui, le traitement infligé à Walt est une injustice (même si la lâcheté du bonhomme l'écoeure), tout comme la situation de Connie.
Dave n'est pas un personnage sympathique, à vrai dire, il ne fait pas grand-chose pour et s'en moque. Mais, c'est un dur au mal, un courageux et quelqu'un qui aime jouer, en toutes circonstances, selon des règles précisément édictées. Or, il va comprendre bien trop tard que la bataille du Bench n'a rien à voir avec tout cela...
Face à lui, Ivey a tout du grand méchant qu'on aime détester et qui le mérite. Mais lui aussi se fout de ce qu'on pense de lui, du moment qu'il arrive à ses fins. Il y a un tel sentiment de supériorité chez lui qu'à côté, n'importe quel personnage pourrait sembler sympathique. Et, autour de lui, ses hommes de main sont taillés dans le même bois...
Et puis, il y a Connie... Pour poursuivre le parallèle avec le roman noir, elle serait la femme fatale. Et, rien que cela, c'est une nouveauté pour le western, univers très masculin dans lequel le rôle des personnages féminins est souvent réduit à portion congrue. Ici, ce n'est pas le cas, et tout commence parce que Connie va décider de pallier la désertion de Walt.
Elle s'auto-proclame chef de clan, avant même de savoir si quelqu'un la suivra. Elle défie à la fois l'autorité paternelle et la puissance du caïd local, avec un aplomb, mais aussi un orgueil, qui forcent le respect. Aussitôt, le lecteur se sent de son côté, elle est la victime, à plus d'un titre, ses revendications sont juste et donner une bonne leçon à Ivey ne sera pas un luxe.
Au départ, on la voit donc comme une héroïne, avec un côté très positif. On nous dit même que Dave Nash ressent de l'admiration pour elle, raison de son engagement. Mais, là encore, les choses vont évoluer, parce qu'elle va choisir d'affronter Ivey en utilisant les mêmes armes que lui. En se montrant aussi impitoyable et retorse que les hommes.
Jusqu'à faire des choix qui ternissent fortement son image aux yeux du lecteur. Et pas seulement eux. Tout cela fait du personnage de Connie une figure qui n'est ni falote ni monolithique. Comme d'ailleurs la plupart des personnages de ce roman, elle possède une vraie complexité sur le plan psychologique, une certaine profondeur, aussi.
Elle est intéressante parce qu'elle n'apparaît au final ni blanche ni noire, elle est une âme grise qui s'est laissée emporter par son orgueil et sa soif de revanche. Une revanche à prendre autant sur elle-même que sur les hommes qui l'ont sous-estimée : Walt, son père, Ivey... Et les décisions qu'elle va prendre vont sans doute la faire basculer du mauvais côté.
Jusqu'ici, je n'ai évoqué que Connie, mais il faudrait parler du second personnage féminin du roman. Certes, elle occupe une place nettement plus secondaire que Connie, mais non négligeable. Elle est surtout le parfait contraire de Connie, tant sur le plan du caractère que du physique. Rose Leland est une femme qui n'a pas sa langue dans sa poche et qui ne se laisse pas faire.
Son regard sur les autres personnages, y compris sur Connie, possède une vraie pertinence. Elle sait d'ailleurs reconnaître les qualités de celle qu'elle voit volontiers comme une rivale (eh oui, Nash fait battre les coeurs, que voulez-vous...), mais elle se méfie d'elle dans le même temps. Et elle pressent bien avant Nash que la jeune femme est capable de coups tordus, de trahisons...
Là encore, on n'est pas juste devant une femme amoureuse dont le rôle se limiterait à être béate devant l'homme de ses rêves. Non, c'est une lionne qui redoute le pire pour celui qu'elle aime, mais a également peur de le perdre et n'entend pas s'effacer devant plus puissante qu'elle. Elle est de bon conseil, maligne et n'a pas froid aux yeux.
Sur les personnages féminins, je vous incite vivement à lire la postface de Bertrand Tavernier, qui s'attache, c'est vrai, pas mal au film, oeil du cinéaste oblige, mais vous offrira pas mal de pistes de lecture et de réflexion sur "Femme de feu". Cette question des personnages féminins y est largement évoquée, comme d'autres thèmes plus surprenants, comme la fascinante symbolique des chapeaux portés par les acteurs...
Terminons ce petit panorama des personnages par le séhrif, Jim Crew. Lui, c'est vraiment un pur personnage de western. Le genre d'homme respecté par tous parce qu'il a su faire les preuves de son intégrité, de ses compétences et de l'intérêt primordial qu'il porte à la justice. Il n'a pas de préjugé, il se contente de faire appliquer la loi dans un monde où elle passe après bien des intérêts particuliers.
Il sait pertinemment que dans ce genre de conflits entre éleveurs, il jouera un peu les soupapes de sécurité, qu'il interviendra pour que tout le monde respecte de son mieux les lois en vigueur. Aussi, devient-il une espèce d'enjeu pour Nash lorsque la tension augmente : l'avoir de son côté sera un atout, en tout cas, la certitude d'agir dans le bon sens et de faire du camp adverse le méchant...
J'ai évoqué plusieurs fois le films, finissons donc avec lui. Bien sûr, c'est un blog consacré d'abord aux livres, mais la collection "L'Ouest, le Vrai" met en avant des romans qui ont souvent été portés sur le grand écran. En outre, on sent bien que Luke Short écrivait dans l'optique de voir ses livres devenir des films, le lien est donc étroit.
C'est en 1947 que "Ramrod", pour reprendre le titre original, est sorti. Derrière la caméra, Andre De Toth, un réalisateur d'origine hongroise qui se trouve à l'époque être l'époux de l'actrice principale. Ce n'est pas anodin, en raison de tout ce que l'on a dit plus haut, cette actrice, c'est l'emblématique Veronica Lake, blonde mythique, habituée justement aux rôles de femme fatale.
Et si le rôle qui lui est offert dans "Femme de feu" lui permet de jouer un rôle à contre-emploi par rapport à ce qu'elle fait habituellement, du moins dans la forme, dans le fond, elle incarne encore une fois sous ses airs angéliques, un personnage manipulateur et finalement assez froid. Mais c'est bien elle, la star du film, et dans un western, c'est quasiment inédit à cette époque.
De Toth adapte très fidèlement le roman de Luke Short, n'y apportant que quelques retouches. Il prend en particulier soin de ne pas alourdir les dialogues qui, dans le roman, sont assez rares, toujours brefs, presque lapidaires. Pas de grande déclaration, de longue tirade. Et des personnages qui, finalement, s'interrogent bien plus en leur for intérieur.
Bon, je ne vais pas non plus paraphraser Tavernier, dont la passion est vraiment communicative et la culture immense. Je termine juste en vous disant que, si vous voulez, après lecture, voir l'adaptation, elle est disponible en DVD (elle était même sorti avant que la collection "L'Ouest, le Vrai" existe). Et, en tapant "Ramrod" et "De Toth" sur un moteur de recherche, on trouve facilement la VO en ligne...
Je ne suis pas un grand connaisseur de westerns, en tout cas bien moins que Bertrand Tavernier, mais j'ai eu envie de lire ce roman et de découvrir cette collection par curiosité et justement, parce que je fais confiance à cet illustre réalisateur pour nous dénicher quelques perles. C'est ma première expérience avec "L'Ouest, le Vrai", et j'ai déjà envie d'y retourner.