Parle à ta mère · Leïla Sebbar

Parle à ta mère · Leïla Sebbar
Il est parti sans prévenir, n’a donné aucun signe de vie. Il a voyagé un peu partout. Il revient comme ça, comme si de rien n’était, après une longue absence. Sa mère l’accueille dans la cuisine du HLM de banlieue où elle vit avec les petits derniers. Elle lui parle de tout et de rien, lui prépare du café, lui offre des gâteaux au miel et aux amandes.
Parle à ta mère · Leïla SebbarElle lui parle de la sœur fugueuse, du père enfermé à l’asile, du petit dernier et des autres enfants. Elle évoque son enfance à lui, les contes des Mille et Une Nuits qu’elle lui racontait le soir. Elle l’abreuve de conseils, car à la fois, en douce, elle questionne un peu. Elle s’avance sur le genre de femme qu’il lui faudrait - comme sa cousine, qui lui ferait une épouse idéale -, elle évoque le problème avec les femmes françaises, car par la bande, elle cherche à savoir où il était, s’il est marié, s’il a des enfants. À travers lui, c’est aussi un peu delle qu’elle parle.

«Tu viens de loin, tu as vu des villes et des mers, des terres que je ne verrai jamais, je nai même pas vu une capitale dans ma vie, alors tu sais... Je suis allée de mon village de lintérieur à ces cités et je ne sais pas aller de mon bloc jusquau train pour aller en ville. Je vais mourir ici, sans bouger, mais toi, mon fils, doù tu viens?» 

Le fils, lui, se tait. Peu loquace, il hoche la tête, pose une question polie.Ses mots, il les garde pour lui; ils déchireraient peut-être trop le cœur de sa mère. Il dirait des choses qu’elle n’aimerait pas entendre, qu’elle ne veut peut-être pas savoir, au fond.

Quelques heures plus tard, après la prière du soir de la mère, le fils se lève et quitte la cité. Il part, comme ça, comme il est revenu, mais surtout, comme il est déjà parti. Comme s’il n’avait pas tout à fait été là pendant cette discussion.

·  ·  ·         ·  ·  ·         ·  ·  ·Madame Couette est sous le charme                         
Ce petit roman a bien roulé sa bosse. Paru en 1984 chez Stock sous le titre Parle mon fils, parle à ta mère, réédité en 2005 chez Thierry Magnier, il paraît chez Elyzad en 2016. Le plus incroyable, c'est quil n’a pris aucune ride.

Il se dégage de Parle à ta mère une petite musique obsédante, rythmée par les détails qui font et défont la vie dune famille algérienne éclatée. La mère et le fils ne parlent plus la même langue. Ils vivent dans des univers parallèles, sans pont pour les relier. Pourtant, lamour et laffection demeurent, plus fort que tout.

L’écriture éblouissante de Leïla Sebbar m’a envoûtée dès la première page. Je me suis retrouvée assise dans la cuisine aux côtés du fils et de sa mère, j’ai senti l’arôme du café et des oignons frits. Jy étais, moi aussi. 

Avec une économie de mots impressionnante, Leïla Sebbar dissèque les relations familiales fêlées et le fossé des générations. Les traditions se perdent et sont mises à mal. Si la modernité est regardée de haut par la mère, elle est prise par les cornes par le fils. La nostalgie du pays natal de la mère na dégale que le besoin de liberté du fils. Deux mondes irréconciliables.

Un petit bémol: le texte, fait d’un seul morceau, aurait eu avantage à être aéré. Aussi, il est préférable de le lire d’un seul souffle. 

Un texte remarquable, dune force bouleversante. Pour qui se laissera apprivoiser, ce tout petit roman touchera droit au coeur. Une oeuvre qui donne à voir pour mieux comprendre. 

La bibliographie de Leïla Sebbar est impressionnante. Mon exploration ne fait que commencer.

Maud est émue                                                          
L’exil et l’immigration sont des thèmes qui reviennent souvent en littérature. Détrompez-vous, le court récit de Leïla Sebbar n’est pas une histoire d’immigration, mais en est plutôt une de déculturation. La voix de la mère se veut convaincante: par ses conseils et ses remontrances, elle cherche à rattacher son fils à quelques bouts de son identité à elle, identité qui passe par la culture arabe et algérienne. Elle n’aura jamais autant ouvert les horizons à ses enfants en immigrant en France avec eux, mais au détriment de la chaleur maghrébine qui la définit.Si d’emblée je suis rarement attirée par ce type de récits qui parlent d’immigration, d’adaptation dans un pays d’adoption, le récit de Sebbar m’a profondément émue. Que ce soit le choc des générations, le cri du coeur de la mère, l’absence du fils déraciné, la perte de repères, ou encore, l’écriture à la fois douce et rageuse de Sebbar, Parle à ta mère est ce genre de livre qu’on termine en se disant qu’il faut le relire, et qu’il faut le faire lire. Une oeuvre qui, malgré l’aspect un peu dense de sa présentation, ne laisse pas indifférent, et surtout, remet en question les perceptions et préjugés sur les immigrants. Car dans ce récit, la mère s’est trouvé un pays d’adoption, un pays d’opportunités et de sécurité, mais en perdant le sud, elle a aussi un peu perdu le centre de sa famille.Parle à ta mère, Leïla Sebbar, Elyzad, 104 pages, 2016.