Libres pensées...
Le narrateur, dont le nom est ignoré, rédige une longue confession dans laquelle il raconte son implication en tant qu'aide de camp auprès d'un général de l'armée du Vietnam du Sud à Saïgon en 1975, chargé d'organiser son repli vers les Etats-Unis, mais aussi en tant qu'agent double, transmettant régulièrement des rapports cryptés aux communistes, par le biais de son ami d'enfance Man.
Le roman est riche, il véhicule un regard tant sur le Vietnam que sur les Etats-Unis durant cette période finalement récente (remontant à moins d'une cinquantaine d'années), et souligne en particulier les armes et les recours employés par les différents camps.
Du côté des Etats-Unis, il est par exemple fascinant de lire les pérégrinations du narrateur qui se retrouve embarqué dans la réalisation d'un film américain sur la guerre du Vietnam, dans le cadre duquel la mission du narrateur est supposée être de s'assurer de l'authenticité de ce qui est produit, et qui bien rapidement se retrouve être seulement un prétexte, une "caution" dont ne s'embarrasse guère l'équipe de réalisation, donnant à voir les mécanismes de la propagande par le cinéma.
Le narrateur est en outre un personnage complexe, il n'est pas évident au premier abord de comprendre ses motivations, son rôle, et ce qui le porte à jouer dans l'un ou l'autre des deux camps. D'ailleurs, on trouve dans le roman des passages très réussis sur la solitude qui découle de cette situation, l'incompréhension de la part de l'entourage du narrateur, et de tous ceux qu'il croise. Sa posture induit la suspicion concernant la véritable allégeance qu'il prête à son pays ou aux Etats-Unis, car s'il renseigne les communistes, sa sécurité n'est pas assurée et sa loyauté mise à rude épreuve : l'agent double suscite la défiance.
Le contexte historique qui sert de cadre au roman est passionnant, et l'intrigue assez inattendue, passant par des épisodes parfois cocasses, tranchant un peu avec la gravité des faits relatés par ailleurs.
Néanmoins, il reste que le sujet n'est pas simple, et nécessite un engagement du lecteur, un effort de compréhension afin d'identifier clairement toutes les parties en présence et leur lien avec le narrateur, qui est lui-même par moment difficile à appréhender, plongé dans des réflexions identitaires du fait de son parcours atypique, de sa proximité avec les Américains et leur mode de vie auquel il a été, au fil des années, acculturé, ce qui constitue un atout significatif pour mener à bien ses missions, mais du fait aussi de son éloignement avec son pays d'origine. D'une part, il est un "jaune", victime de racisme au quotidien, de l'autre, il est un lâche à la solde de l'ennemi, et, quand bien même il aurait soutenu son pays, il ne vaut pas ceux qui sont restés se battre.
Le sympathisant est un roman ambitieux, de par son sujet et son traitement, qui revisite la guerre du Vietnam depuis un point de vue singulier, qui dépasse cependant ce seul contexte. Un roman qui mérite vraiment que l'on s'y attarde, et, je dirais même, certainement une deuxième lecture...
Pour vous si...
- Vous avez toujours été inexplicablement attiré par les calmars
- Comme votre fidèle serviteuse, vous nourrissez de longue date une passion pour Sydney Bristow, l'agent double du SD6
Morceaux choisis
"Nos cellules étaient des machines à voyager dans le temps ; les prisonniers y vieillissaient beaucoup plus vite."
"Soit dit en passant, ce spectacle choquait nos maîtres français. Ils voyaient dans cette nudité enfantine la preuve de notre barbarie, qui elle-même justifiait leurs viols, leurs saccages et leurs pillages, au nom d'un principe supérieur : habiller nos enfants afin que les bons chrétiens dont l'esprit et la chair étaient soumis à rude épreuve soient moins tentés."
"Sans le vouloir, et hors de tout contrôle, ma virilité furieuse se mit au garde-à-vous, m'attirant vers toi, calmar séduisant et envoûtant qui m'appelait !"
"C'est une chose que peu de gens saisissent - frapper quelqu'un n'est pas une mince affaire. J'ai connu nombre d'interrogateurs qui se sont tordus le dos, froissé un muscle, déchiré un tendon ou un ligament, et même cassé des doigts, des orteils, des mains ou des pieds, sans parler de leur voix enrouée. Car pendant que le prisonnier crie, pleure, suffoque et avoue, ou essaie d'avouer, ou ment, l'interrogateur doit lâcher un flot continu d'injures, d'insultes, de grognements, de questions et de provocations avec toute la concentration et l'inventivité d'une animatrice de téléphone rose."
"J'étais la petite main qui vérifiait la qualité des coutures sur un costume dessiné, produit et porté par les riches Blancs de la planète. Ils possédaient les moyens de production, donc les moyens de représentation, et notre seul espoir était d'arriver à en placer une avant de mourir dans l'indifférence générale."
"Je n'ai plus rien à avouer !
Il y a toujours quelque chose. C'est la nature même d'une confession. On ne peut jamais cesser d'avouer, parce qu'on est imparfaits."
"Nous vivons, travaillons, mangeons et dormons en fonction de ce que décident le propriétaire, le patron, le banquier, le politicien et le professeur, avait dit Man. Nous acceptons que notre temps leur appartienne, alors qu'en vérité il nous appartient. Réveillez-vous, les paysans, les travailleurs, les colonisés ! Réveillez-vous, les invisibles ! Sortez de vos zones d'instabilité occulte et volez-leur la montre en or du temps, à ces tigres de papier, à ces chiens serviles et à ces cochons de l'impérialisme, du colonialisme et du capitalisme ! "
Note finale4/5(excellent)