Mon traître (Pierre Alary, d’après le roman de Sorj Chalandon – Editions Rue de Sèvres)
C’est l’histoire d’une amitié improbable. Celle qui lie Antoine, un luthier parisien tombé amoureux de l’Irlande, à Tyrone Meehan, l’un des leaders de l’IRA, l’armée républicaine irlandaise. A priori, tout les oppose. Mais après avoir fait connaissance de manière insolite dans les toilettes d’un pub de Belfast, les deux hommes deviennent amis pour la vie. Grâce en partie à la musique, lorsqu’Antoine joue « O’Keefe’s slide » sur son violon, mais aussi et surtout grâce au conflit sanglant et impitoyable qui oppose l’IRA à la puissance britannique dans les années 70 et 80. Jeune et naïf, Antoine est tellement fasciné par la culture irlandaise et par la chaleur de ses habitants qu’il finit par prendre fait et cause pour le combat de l’IRA contre le gouvernement britannique de Margaret Thatcher. A un point tel qu’Antoine n’hésite pas à prendre des risques insensés pour soutenir l’armée républicaine, notamment en acceptant de cacher des combattants irlandais en mission à Paris. Il faut dire que les grandes figures de l’IRA obsèdent véritablement le petit Français, que ce soit James Connolly, Bobby Sands… ou bien sûr Tyrone Meehan. Prenant Antoine sous son aile, ce dernier devient pour lui bien plus qu’un ami. C’est un mentor, presque un père. Et pourtant, le luthier parisien découvre un soir de décembre 2006 que le légendaire Tyrone qu’il admirait tant vient d’avouer publiquement qu’il était un traître, à la plus grande stupéfaction de tous ses partisans. Pendant 25 ans, « Mon traître », comme l’appelle Antoine, était en réalité un agent agissant pour le compte des Anglais…
L’année 2018 commence fort avec cette adaptation puissante d’un roman de Sorj Chalandon! Dessinateur talentueux de la série Silas Corey, Pierre Alary prouve qu’il est aussi un excellent scénariste avec cette version BD particulièrement réussie de « Mon traître », un roman paru en 2008 et récompensé à de multiples reprises, notamment par le Prix Joseph-Kessel et le Prix Simenon. Déjà adapté au théâtre, ce récit en grande partie autobiographique se base sur l’amitié réelle entre Sorj Chalandon, alors journaliste pour le quotidien Libération, et Denis Donaldson, l’un des leaders de l’IRA. Une histoire dure et émouvante. Un récit d’amitié et de trahison qui nous replonge dans les années noires de l’Irlande du Nord. Des années qui paraissent aujourd’hui très loin, mais qui retrouvent tout leur sens dans le roman de Sorj Chalandon et dans la BD de Pierre Alary. La grande force de ce dernier est d’être parvenu à ajouter au récit la puissance des images, sans pour autant atténuer la force des mots du roman, que l’on retrouve en grande partie tels quels dans cette adaptation dessinée. « En acceptant l’adaptation de mon roman en BD, j’ai eu peur », reconnaît Sorj Chalandon dans la préface. « Comment raconter l’émotion de Belfast, les foules silencieuses, les émeutes, les soldats, comment ne pas se tromper de genres, de gens, de tout? Et puis, j’ai rencontré Pierre Alary. Sans le lui avouer, j’ai trouvé qu’il avait une gueule de là-bas. Un rire de pub irlandais. Le regard malin qui rassure. A la première minute, j’ai eu envie d’une bière avec lui. Il m’a montré son travail et j’ai aimé. Tout. La sensibilité, l’élégance, le trait ». Tout est dit dans ce bel hommage d’un auteur à un autre. Et on ne peut que lui donner raison, car « Mon traître » est d’ores et déjà l’une des grandes BD de ce début d’année. Un vrai coup de coeur.