Delphine de Vigan étant une de mes auteurs fétiches, je n'ai pas pu attendre longtemps avant de me précipiter en librairie pour dévorer son nouveau roman.
Et quel roman ...
Hélène, prof de sciences, remarque l'attitude en retrait de Théo, 12 ans et demi, et soupçonne le jeune garçon d'être battu. Elle l'observe, s'interroge, et se rappelle sa propre enfance malheureuse.
Théo, de son côté, vit comme il peut la garde alternée de ses parents, entre son père à la dérive et sa mère impitoyable. Il prend sur ses épaules des responsabilités beaucoup trop lourdes pour son âge, est tiraillé entre ses deux parents, et sombre peu à peu dans l'alcool, avec son ami Mathis, fasciné par lui.
Cécile, la mère de Mathis, n'aime pas ce Théo, qu'elle soupçonne d'avoir une mauvaise influence sur son fils, mais sa vie tranquille bascule quand elle découvre la face cachée de son mari.
Roman choral, "Les loyautés" est très sombre, noir, quasiment sans espoir. N'y cherchez pas la joie ou le bonheur. Chaque personnage vit un drame et se laisse sombrer, pris au piège par ses loyautés : Théo se doit d'être loyal envers son père, et de ne pas raconter à sa mère la déchéance de ce dernier, mais protège aussi sa mère, en ne lui racontant rien de sa semaine "de l'autre côté, chez "ce connard" dont elle ne veut plus prononcer le nom. Hélène veut à tout prix sauver Théo, sans même savoir de quoi, sans même avoir de preuves de maltraitance, pour rester loyale à la petite fille battue qu'elle a été, et qu'elle n'a pas pu sauver, d'une certaine façon, au vu de la cicatrice à vie qu'il lui reste, la douleur de ne pas pouvoir avoir d'enfant. Cécile doit-elle rester loyale à son mari, malgré la découverte de sa face sombre ? Comment rester et vivre comme avant ?
« J’ai pensé que le gamin était maltraité, j’y ai pensé très vite, peut-être pas les premiers jours mais pas longtemps après la rentrée, c’était quelque chose dans la façon de se tenir, de se soustraire au regard, je connais ça, je connais ça par cœur, une manière de se fondre dans le décor, de se laisser traverser par la lumière. Sauf qu’avec moi, ça ne marche pas. Les coups je les ai reçus quand j’étais gosse et les marques je les ai cachées jusqu’au bout, alors à moi on ne la fait pas. »
J'ai dévoré ce roman en quelques heures et si je me suis attachée à tous les personnages, mon coeur s'est brisé devant celui de Théo, ce "gamin que sa mère ne protège pas", et qui comble les failles des adultes, lui encore si petit, qui veut les protéger en oubliant de se protéger lui-même, au point de mettre sa vie en danger en recherchant l'oubli et l'inconscience, dans l'alcool. Théo est tellement touchant, et Delphine de Vigan dénonce via son personnage les failles de cette société, des parents qui, trop occupés à se déchirer, trop centrés sur eux-mêmes, ne voient pas que leur enfant va mal, ne le protègent pas. Cela m'a mise très en colère ... Tant de drames dans ce roman et si peu de parole, de communication ! Hélène ne parvient pas à parler à Théo, sa mère est murée dans son silence hostile, son père ne l'écoute pas ... Il crie à l'aide et personne n'entend ...
L'écriture de Delphine de Vigan est toujours aussi magnifique, et j'ai passé un excellent moment de lecture, quoique très sombre, forcément ... jusqu'à la fin, qui me laisse un goût d'inachevé, qui me laisse furieuse et frustrée. Pourquoi ne pas avoir écrit 100 pages de plus ? pourquoi ne pas être allée au bout du récit ? Voilà mon seul reproche à cette très belle lecture et ce pourquoi je n'en fais pas un coup de coeur ...
"Les loyautés", Delphine de Vigan, JC Lattès, 2018, 205 pages