"Dépêchez-vous ! Ne lui laissons pas le temps d'oublier le Chant de notre Mère".

Ah, nous y voilà... Je me demande souvent par quel bout prendre un livre, comment en parler, dans le fond, dans la forme, du texte, de l'objet livre, qu'est-ce qui est intéressant, original, pertinent... A propos de notre livre du soir, j'ai déjà plein de pistes et d'idées. Mais, reste l'histoire, et là, je dois dire que je ne sais pas vraiment comment je vais m'y prendre. Direction un univers très particulier, pour un roman de science-fiction associé à une trame de polar ; c'est tout du moins ce qu'on pourrait attendre en l'attaquant. Mais, ce n'est pas la seule surprise que réserve au lecteur "Celle qui portait l'orylium", de Paladine Saint-Hilaire (en poche aux éditions 1115, qui se présente comme une agence de voyages littéraires, j'aime cette idée). Voici une histoire qu'il faut contempler dans son ensemble pour en comprendre toutes les subtilités ; il faut donc accepter et respecter le pacte que vous propose de signer Paladine Saint-Hilaire (romancier ou romancière, d'ailleurs, je l'ignore...) et se laisser porter, même si vous vous sentez dérouté par le début de ce roman...

Ekkil 546 est originaire de Bsélinor, une petite ville des Terres Hautes de Mara, sur le continent, dont elle n'est jamais sortie jusque-là. Mais, depuis la mort de sa meilleure amie, Denza, Ekkil n'a plus qu'une envie : quitter Bsélinor. Ne surtout pas passer la saison chaude dans cet endroit, à l'écart du monde et à ressasser les souvenirs de la défunte.
Ce qu'il lui faut, c'est de l'action, si possible loin des Terres Hautes, pour pouvoir penser à autre chose, faire son deuil. C'est alors que se présente une affaire qui ne semble emballer personne, loin, très loin des Terres Hautes. Ekkil appartient à la caste des Nageuses, dont l'un des rôles est d'assurer ce que l'on pourrait appeler les affaires de polices.
Le cas en question semble particulièrement intrigant et Ekkil aime ce genre d'histoire délicate, dans laquelle son intuition fait souvent des miracles. Alors, elle se porte volontaire pour aller enquêter sur cette mort mystérieuse et prend aussitôt la route. Un long trajet l'attend, d'abord sur le continent, de Bsélinor jusqu'à la ville portuaire de la Riva.
Ensuite, direction le Grand Galactaire, où cette mort inexpliquée est intervenue. Il s'agit d'une immense ville, surtout lorsque l'on vient de Bsélinor. C'est une gigantesque capitale qui est en fait une cité marine, rassemblement de plusieurs cités autour d'un noyau central. Chaque caste de la société est attachée à un secteur particulier et toutes contribuent à l'activité de la mégapole.
Mais, ce n'est pas tout : le Grand Galactaire est aussi connue pour être un lieu placé sous la domination de l'Institution, une mystérieuse instance qui semble assurer un pouvoir tant politique que religieux. C'est une autorité souveraine qui détient d'énormes pouvoirs et qui ne laisse que des miettes aux autres castes.
Ekkil s'attend donc à une enquête difficile, mais elle a confiance en ses compétences. Pourtant, après une traversée presque sans histoire, elle arrive dans cette impressionnante cité et comprend rapidement que rien ne s'y déroule vraiment comme prévu. Que, dans cet endroit qui devrait pourtant montrer l'exemple, il règne une ambiance particulièrement tendue, presque inquiétante.
Ignorant tout de la manière dont on vit au Grand Galactaire, naïve et un peu perdue, Ekkil va alors trouver du renfort, auprès de jeunes femmes maîtrisant mieux les codes et les règles en vigueur dans la capitale. Mais, à qui faire confiance quand on enquête sur une mort suspecte ? Et  Gazi et Varma, qui n'appartiennent pas à la même caste qu'elle, sont-elles fiables ?
Voilà, je ne vais pas en dire plus, j'ai limité le contexte au maximum, car il faut entrer dans cet univers pour le découvrir peu à peu, comprendre sa structure, ses particularités (en tout cas, avec notre regard de Terrien), son fonctionnement social, mais aussi la physiologie des personnages, sensiblement différente de la nôtre.
Assez rapidement, à travers le nom des différentes castes et d'autres indices, on comprend peu à peu sur quel modèle est construit le Grand Galactaire. Quand je parle de modèle, c'est en pensant à l'auteur et à sa relation de connivence avec le lecteur. Pas en pensant aux personnages qui évoluent dans un contexte qui leur est tout à fait familier. Qui, pour eux, est normal.
Pourtant, si les indices et les éléments se multiplient pour permettre au lecteur de se créer quelques repères, d'autres aspects restent bien plus flou. En fait, la construction même du roman ne permet de dévoiler les choses que petit à petit, comme si chaque élément du fonctionnement de cette société participait directement à l'intrigue.
Il y a des secrets et des zones d'ombre au Grand Galactaire et Ekkil et le lecteur se retrouvent dans cette même position inconfortable, celle qui consiste à ne rien maîtriser et à se sentir étranger à ce monde... Avant de pouvoir espérer élucider la mort suspecte qui a provoqué le départ de la Nageuse de sa petite ville, il va falloir comprendre où tout cela s'est produit...
A ce point du billet, je dois changer complètement d'angle. Car je n'ai pas encore évoqué des éléments très importants de ce livre, à commencer par l'objet. "Celle qui portait l'orylium" est un livre de poche, mais son format est plus petit que celui que l'on trouve habituellement : dans sa hauteur, il mesure 15cm, contre près de 18cm pour des maisons comme Folio ou le Livre de Poche.
Avant même de l'ouvrir, on a donc un livre un peu spécial entre les mains. Et ce n'est pas fini. Ouvrons-le, si vous le voulez bien. Et là, nouvelle surprise : le texte n'est pas écrit de gauche à droite, mais de bas en haut. Il faut donc tenir le livre différemment de l'habitude, comme c'était le cas avec la collection "Points 2" des éditions du Seuil, si cela vous rappelle quelque chose.
On doit donc s'adapter, tout comme on doit s'adapter à un détail : l'absence de numérotation... Chercherait-on à nous perdre ? Car, dans le même temps, ces premières pages nous privent elles aussi de tout repère tangible. On plonge dans une espèce de rêve (ou de cauchemar), un texte étrange, très visuel, mais qu'on ne maîtrise pas.
Où est-on ? De quoi parle-t-on ? Qui sont les... intervenants ? On ne sait que bien peu de choses, à part qu'on se trouve sur Homégare, titre de cette première partie. Mais, avançons encore. Cette histoire est troublante et prenante malgré les questions qu'on se pose et qui ne trouvent pas de réponse. On se demande où l'on va, où nous emmène exactement Paladine Saint-Hilaire. Et puis...
Au premier tiers du roman, rupture. Rien de très surprenant, la première partie du livre s'achève, tournons la page et attaquons la suivante. Mais, là encore, surprise : on est à la fin du livre... En tout cas, les mentions que l'on trouve semblent l'indiquer. Alors, quid des deux autres tiers du livres ? Ne trouverons-nous plus que des feuilles blanches ? Et à quoi rime cette histoire sans queue ni tête ?
Tournons encore quelques pages pour en avoir le coeur net et... soudain, cela s'éclaire : il faut retourner le livre, l'attaquer par la fin, par sa quatrième de couverture. "Celle qui portait l'orylium" est un livre qui se lit par les deux bouts (aucun rapport avec la banane, enfin, je ne pense pas), et l'on attaque alors une deuxième histoire, celle d'Ekkil.
Reste à découvrir le lien entre ces deux parties qui sont plus que distinctes, puisqu'elles sont carrément séparées et même, d'une certaine façon, autonome, puisque, après tout, on peut lire l'une ou l'autre d'abord. Je ne le conseille toutefois pas : l'ordre, même présenté de manière particulière, n'est pas anodin, le premier tiers doit être lu en premier.
La deuxième partie, elle, est donc bien plus traditionnelle, au moins dans la forme. Vous le voyez, les repères existent, même s'il faut les affiner, on retrouve la numérotation des pages, enfin, on se sent dans une position plus confortable, plus habituelle... Mais, on remarque encore quelques détails amusants...
Ainsi, en ouverture de la deuxième partie, quelques éléments pratiques nous sont donnés : les chiffres, les jours de la semaine, l'enchaînement des saisons, les doigts de la main... Des éléments qui diffèrent de ce que nous connaissons dans notre monde terrestre. Et ces petites différences vont se glisser partout, car elles ne relèvent pas que d'une simple question de vocabulaire...
Voilà qui fait beaucoup d'éléments. Peut-être trop, et si c'est ce que vous pensez, je m'en excuse. Je suis parti dans l'idée de vous intriguer, si vous ne connaissez pas cette jeune maison d'édition lyonnaise et ses premières publications, pour cela, il fallait lever un coin du voile. Mais, croyez-moi, j'ai laissé bien des choses dans l'ombre et, si vous vous lancez, ce sera dans une expérience de lecture.
Entre planet opera, polar et thriller ésotérique, "Celle qui portait l'orylium" nous plonge dans un univers d'une grande richesse, où chaque élément qui apparaît va finir par trouver sa place dans un ensemble qui ne se révèle complètement que dans ses toutes dernières pages, pour ne pas dire ses toutes dernières lignes.
C'est aussi un roman que je qualifierais de féministe, je ne pense pas me tromper ni galvauder ce terme. Difficile d'en dire beaucoup plus, d'ailleurs, sur cette question, mais croyez-moi sur parole et suivez Ekkil dans son enquête, qui va la mener bien plus loin qu'elle n'aurait pu l'imaginer en quittant sa bourgade.
On retrouve des thèmes assez classiques, au final, mais l'univers est vraiment très intéressant et la narration permet justement de sublimer ces sujets, de nous les offrir sous un jour différent, renouvelé. A vous, maintenant, de vous lancer dans la quête des secrets du Grand Galactaire, d'aller voir derrière les apparences et élucider le mystère du Chant de la Mère...
Il fallait quand même que je dise un mot du titre de ce billet, sans pour autant ne rien dévoiler...