Libres pensées...
De leur mère Catherine, Elsa et Violaine se souviennent les répliques, l'excès, la sensualité, l'odeur de cigarette, les baisers et les insultes. Elles ont toujours aimé indéfectiblement cette femme qui voulait conserver leur garde quoi qu'il lui en coûtât, qui était incapable de se soumettre aux convenances sociales et qui clamait haut et fort qu'elle avait le droit de dire merde comme cela lui chantait, qu'elle était une femme et ne se résumait pas à une mère.
Dans ce roman à l'écriture furieuse, Violaine, la cadette, retrace les origines de sa mère, son enfance, son adolescence, et, enfin, sa vie d'adulte, les hommes qu'elle a aimés, puis haïs, cette folle envie d'être libre qui l'a animée toute son existence.
Plusieurs jours après avoir terminé la lecture, je suis encore sous le choc. Soufflée par cette femme, Catherine, cet amour absolu qui la lie à ses filles, et pourtant si singulier, soufflée aussi par le style de Violaine Huisman, qui ne ressemble à aucun autre et qui n'est pas de ceux qui laissent intact le lecteur.
Le rythme du roman est effrené, la langue irrévérencieuse au possible, injurieuse par moment, insolente, déchaînée, à l'image de Catherine qui ne s'en laisse pas conter.
La structure est complexe, et ne ressemble pas aux intrigues classiques que l'on peut rencontrer. Le roman est en effet construit en trois temps.
Le premier relate le quotidien d'Elsa et Violaine depuis leur point de vue, souvent en tant qu'enfants puis adolescentes, cette vision de cette mère excentrique et impulsive, incontrôlable, pour l'amour de laquelle elles s'efforçaient d'être les meilleures dans tous les domaines, aussi irréprochables et sages que Catherine était indocile et inconvenante.
Le second temps revient sur la vie de Catherine, selon une approche chronologique, et beaucoup plus détachée, en se centrant sur elle et en n'abordant les enfants que comme des êtres à la périphérie, qui apparaissent à un certain point du récit, mais ne marquent pas le début de la vie de Catherine, loin de là.
Le troisième temps raconte ce qu'il advient de Catherine une fois ses filles devenues adultes et ayant quitté le foyer.
Il y a donc, naturellement, des redondances, en particulier entre le premier et le deuxième temps, certains éléments que l'on capture au vol dans la logorhée qui habite Catherine et qu'elle déverse sur ses filles, et que l'on retrouve dans le récit "biographique", plus objectif, relaté ensuite. Peu à peu, les pièces du puzzle s'emboîtent, le portrait magnifique de Catherine se dresse, et fait taire les avis à l'emporte-pièce que son entourage pouvait avoir sur elle.
Fugitive parce que reine me fait penser aux plus beaux hommages littéraires que j'ai pu lire. L'autre qu'on adorait, de Catherine Cusset, Rien ne s'oppose à la nuit, de Delphine de Vigan, Vipère au poing de Hervé Bazin, Lambeaux de Charles Juliet, Maison de poupée de Ibsen, Profession du père de Sorj Chalandon... Il s'inscrit dans leur droite lignée.
On peut être frappé par le tempérament de feu, le caractère extravagant de Catherine. Mais, de par la tendresse qui se lit entre les lignes, on retient surtout d'elle son goût avide pour l'absolu, pour la liberté, pour tout ce que la vie peut lui offrir.
Et quant à Fugitive parce que reine, c'est un chef d'oeuvre en même temps qu'une ode aux femmes à travers une seule, à leur force et à leur fragilité entremêlées.
Pour vous si...
- Vous vous laissez ensorceler par les êtres qui vivent selon leurs propres règles.
- Vous êtes sensible au style fougueux et riche d'un auteur.
Morceaux choisis
"Pour maman, être une mère suffisamment bonne n'avait rien d'une évidence. Aux demandes incessantes du nourrisson, à l'aliénation de la maternité, et au bouleversement affectif, à la crise identitaire que représentait le fait de devenir mère, vu son parcours, sa maladie, son passé, elle ne pouvait que répondre de manière violente, imprévisible, destructrice, mais aussi avec tout l'amour qu'elle n'avait pas reçu et rêvait de donner et de trouver en retour. Cet amour fou, cette pasion intenable que représentaient deux moutardes avec leurs emmerdements à tous âges, cet amour qui n'en finissait pas, qui ne pouvait finir, qui survivait à tout, flambait plus haut que tout, pardonnait tout, cet amour qui la faisait nous appeler, quand nous n'étions pas des petites connes ou des salopes ou des pétasses, mes chéries adorées que j'aime à la folie, cet amour la fit vivre autant qu'elle le put."
"Catherine vrille. Médée n'est pas folle, elle est bafouée, humiliée, trahie. Elle, une reine, on la traîne dans la boue. Médée n'est pas folle, elle se venge en prenant en otage ce qu'elle a de plus cher. Sa vie seule ne peut se mesurer à l'énormité de la trahison : sa vie à elle ne suffit pas, c'est au-dessus d'elle, il faut s'en prendre à l'humanité entière, à cette pourriture qu'est l'humanité, à l'infamie des hommes."
"Entre la mère et la putain, maman n'avait jamais su choisir. Ce déséquilibre constant perdura par-delà le départ de ses filles et l'avait certainement précédé. La femme vivait ce funambulisme, l'inéluctable funambulisme de son sexe, tant bien que mal, mais maman le vivait surtout mal."
Note finale5/5(coup de coeur)