Le soleil... Omniprésent, indispensable, écrasant, parfois ; un astre qui nous remonte le moral quand il brille, dont on se languit quand il se cache... Notre pourvoyeur de lumière, sans qui la vie serait impossible. Et la lumière, ce sont des particules invisibles qui nous tombent dessus en permanence. Comme tout ce qui compose notre univers, notre planète, des scientifiques étudient le soleil pour comprendre son fonctionnement, ses bienfaits et ses dangers. Mais c'est aussi un élément auquel nous sommes tellement habitué qu'on n'y prête guère attention. Il est là, nous savons que demain, il se lèvera une nouvelle fois, et ainsi de suite... Comme les gens que nous côtoyons sans vraiment les connaître, que nous croisons sans les voir, jusqu'à ce qu'un événement extraordinaire vienne bousculer ces habitudes... "Mille soleils", le nouveau roman de Nicolas Delesalle (à qui l'on doit "Un parfum d'herbe coupée" et "Le Goût du large", désormais en poche), vient de paraître en grand format aux éditions Préludes. Cinq personnages, un accident, une onde de choc, des révélations... Ou comment ces humains, simples particules à l'échelle de l'univers, vont voir leurs destins irrémédiablement bouleversés en pleine pampa argentine...
La ville de Malargüe se trouve en Argentine, au pied de la Cordillère des Andes, tout au sud de la province de Mendoza. C'est là qu'est installé l'observatoire Pierre-Auger, un centre scientifique international où des chercheurs du monde entier travaillent sur les différents rayons cosmiques et étudient, entre autre, le soleil.
Vadim, taciturne, discret, est un spécialiste de la physique des particules et amateurs de death metal (il en a d'ailleurs le look) ; Alexandre, séducteur et macho, mais brisé par une récente rupture avec une femme qu'il aimait sincèrement, a présidé à l'installation les 1600 panneaux solaires de l'observatoire ; Wolfgang, le poissard qui a appris à vivre avec sa malchance proverbiale, étudie les rayons cosmiques d'ultra-haute énergie.
Ces trois scientifiques de grande valeur doivent prendre un avion, ce jour-là. Ils se sont donc levés tôt pour pouvoir préparer leurs bagages, prendre un petit-déjeuner et faire le long trajet en voiture jusqu'à l'aéroport de Mendoza, à plusieurs centaines de kilomètres de là. Et pas au bout d'une autoroute, mais d'une longue piste, digne d'un rallye-raid.
Un quatrième homme les accompagne : il s'appelle Simon et il est venu jusqu'à Malargüe afin d'écrire un article de vulgarisation scientifique pour le magazine du CNRS. Sa visite à l'observatoire s'achève et il va rentrer au pays, avec les informations qu'il a collectées. Et auxquelles, il faut bien le dire, il ne comprend pas grand-chose, mais ce sujet est vraiment cool !
Il détonne un peu, au milieu de ces trois grosses têtes, lui qui est superficiel, fan de Clint Eastwood qu'il interroge avant de prendre chaque décision, sans cesse branché sur son smartphone ou sa tablette, immortalisant sur les réseaux sociaux chaque moment de sa vie susceptible de lui rapporter des "likes". Une vie virtuelle, par procuration, presque plus importante à ses yeux que sa vie IRL.
Les voilà donc en route pour Mendoza, Vadim au volant du 4x4, et une ambiance particulière dans cet habitacle. Comme si chacun vivait dans son propre monde, s'abîmait dans ses propres pensées et qu'il ne pouvait les partager avec les autres. Quatre univers distincts sans aucune intersection, quatre vies qui se sépareront naturellement lorsqu'ils seront arrivés à l'aéroport.
Dans ce décor somptueux, près de la Lagune du Diamant et du volcan Maipo qui la surplombe, dans ce désert qui ne semble pas avoir de limite, Vadim se laisse emporter par ses rêveries, griser par la vitesse. Et soudaine, une ornière, une courbe, un dévers, il n'en sait rien, il perd le contrôle du véhicule qui sort de la piste et part en tonneaux...
L'accident est très spectaculaire, très violent... La voiture est complètement détruite et, à l'intérieur, les passagers ont souffert. A des degrés divers. Et les voilà mal en point, au milieu de nulle part, le long d'une route très peu fréquentée, avec ce soleil, objet de toutes leurs attentions habituellement, qui pourrait devenir un problème supplémentaire...
Comment vont-ils réagir dans cette extraordinaire situation ?
Il nous faut parler de Mathilda, la cinquième protagoniste de ce roman, malgré elle. A près de 60 ans, elle a envoyé balader sa vie en Afrique du Sud, sa famille, un mari, des enfants, son métier de chirurgien-dentiste qui lui sortait par les yeux. Du jour au lendemain, elle a tout plaqué et s'est envolée pour l'Alaska.
Et de là, elle s'est lancée dans une incroyable aventure : rejoindre le point le plus haut sud du continent américain, au fin fond de la Terre de Feu, équipée seulement d'un vélo... Pourquoi ce défi qui semble surhumain ? Elle ne saurait sans doute même pas l'expliquer, il s'agissait juste de se fixer un but dans l'existence...
Voilà comment, ce matin-là, Mathilda s'est retrouvé sur une route argentine, entre Mendoza et Malargüe, en direction du sud. Voilà comment, ce matin-là, elle a croisé la voiture conduisant Vadim, Alexandre, Wolfgang et Simon à l'aéroport, sans savoir ce qui allait se passer quelques instants plus tard, sans prêter une grande attention à ce véhicule.
Ce contact uniquement visuel a duré quelques secondes à peine, le temps pour la cycliste de regarder passer le 4x4 et de se retrouver enveloppé par un nuage de poussière, le temps pour les passagers de la voiture de remarquer cette femme, dont la présence en pleine pampa leur a semblé certes incongrue, mais qu'ils ont vite oubliée ensuite...
Pourtant, cette fugace rencontre va influer sur le destin des uns et des autres, sans même qu'ils en aient conscience. Exactement comme les rayons du soleil viennent nous réchauffer, et on poursuit ce que l'on est en train de faire, et exactement comme d'innombrables autres particules dont nous ignorons tout viennent nous frapper, parfois sans effet, et parfois avec des conséquences...
Une sorte d'effet papillon à l'échelle de l'infiniment petit... Et une réflexion sur ces particules d'humanité que nous nous échangeons sans en avoir conscience et qui, dans la plus parfaite discrétion, changent nos existences, parfois pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Parce que les relations entre les êtres n'ont pas besoin d'être visibles pour bousculer nos destins...
Après les voyages au long cours et les souvenirs des quatre coins du monde qui étaient au coeur du "Goût du large", Nicolas Delesalle nous invite à une lecture très différente, car, même si le cadre de la pampa argentine est majestueux et dépaysant à souhait, il est l'unique cadre de cette histoire. Et, d'une certaine manière, entre la voiture et cette piste interminable et très peu fréquentée, on est proche du huis clos.
En effet, nos personnages sont livrés à eux-mêmes et ne peuvent compter que sur leur sang froid, leur bon sens. Peut-être aussi sur leur chance, même si, dans de telles circonstances, on hésite à l'évoquer... De leurs réactions dépendra la suite de leur existence, une existence qui va, de toute manière, changer de trajectoire après les événements de ce jour.
De même, l'unité de temps : quelques secondes pour que se noue le drame, façon "les Choses de la vie", une journée pour que l'action se déroule. C'est à la fois long, vous comprendrez pourquoi, et court, à l'échelle de nos existences et plus encore, à celle du temps. Tout est relatif, on y revient sans cesse, à ce constat...
Entre les êtres humains et ces particules gorgées d'énergie qu'étudient les scientifiques de l'observatoire Pierre-Auger, le parallèle est alors saisissant. Nous aussi sommes porteurs d'une énergie qui influe, consciemment ou non, sur ceux que nous rencontrons, par hasard ou non, ou que nous croisons simplement.
Au coeur de cette nature sauvage, imposante, mais qui peut vite se montrer hostile, ces personnes vont toucher à l'essentiel. Les préoccupations qu'ils ressassaient pendant ce voyage vont s'envoler et ils vont se rendre compte de la fragilité de l'existence, de ce qui la rend précieuse et de ce qu'il faut savoir apprécier.
Comme le pense Simon, "il faut se montrer plus modeste, accepter l'évidence et arrêter de vivre plus haut que son cul". Bon, c'est formulé de manière un peu brusque, ça colle parfaitement au jeune journaliste, il faudrait sans doute imaginer des variantes plus... modérées pour les autres, mais c'est valable pour tous, y compris Mathilda.
L'homme n'est pas le centre de l'univers, faut-il encore le rappeler ? Pour ces hommes, le rappel est brutal, sept tonneaux, si je ne me trompe pas... Dans leur comportement, il y a de l'égocentrisme et de l'égoïsme, aussi, à différents degrés. En tout cas, on est bien loin de leurs recherches scientifiques, si profondes, pointues, excitantes. Et même, à leur façon, poétiques.
Chacun, mais ils ne sont pas les seuls, nous sommes tous comme cela, est le soleil de son propre système, une existence qui tourne autour de soi, comme les planètes. Voilà ce qui nous préoccupe principalement, une vision à courte vue à l'échelle de l'univers. Et c'est ce qui nous fait oublier de nous préoccuper des autres, sauf circonstances exceptionnelles.
Chaque personnage de ce roman a une personnalité bien marquée, sensiblement différente de celles des autres, des goûts, des aspirations, des ambitions, des regards différents. En fait, chacun a sa vision du monde, sa philosophie de l'existence, mais une seule vie, fugace, brève, trop pour ne pas en faire quelque chose d'autre qu'un jouet qu'on ne garde que pour soi.
L'altruisme, le désintéressement, des valeurs qui ont tendance à s'effacer dans nos sociétés modernes, sont au coeur de cette histoire. Mais, pour en arriver là, il faut qu'ils se révèlent, et pour cela, il faut que ces êtres soient frappés par ces particules d'humanité à haute énergie, renforcées par d'intenses émotions, encore une fois selon un large spectre.
Il y a beaucoup à apprendre de ce roman, pour le lecteur, qui n'est pas au coeur des événements, mais seulement le témoin. Pour nous aussi, comme pour Vadim, Alexandre, Wolfgang, Simon et Mathilda, cette lecture a des conséquences, doit avoir des conséquences. Nous aussi sommes frappés par ces particules d'humanité émises par ce qui se passe sur cette piste argentine.
Nicolas Delesalle nous met face à nos responsabilités, face à nos existences, face à notre indifférence quotidienne, et nous demande de tirer les enseignements pour notre propre vie, sans avoir à passer par un drame, un choc, une révélation tragique ou existentielle. Oui, à nous d'influer sur nos propres trajectoires, sur celle des particules que nous émettons et qui iront en irradier d'autres, et ainsi de suite...
On passe au cours de cette lecture par de nombreux états d'esprit, du rire aux larmes, selon la formule consacrée. Certains des personnages ont un côté tragique, au contraire d'un Simon, qui incarne le ressort comique (léger, le comique, mais qui apporte un peu de légèreté dans ces moments terribles). On constate les dégâts, on s'inquiète pour eux, on craint le pire...
Quant à Mathilda, je me suis longtemps interrogé à son sujet. Sur ses choix radicaux, sur ce ras-le-bol qui l'a poussée à prendre ses distances et à tout envoyer valser, à se libérer d'un quotidien trop monotone... Que venait-elle faire dans cette histoire ? Elle ne ressemble pas aux autres, à ces quatre hommes enfermés dans leur grosse voiture.
Au contraire des hommes, noyés dans leur quotidien, elle a rejeté son existence, elle a choisi de fuir sa vie. Elle est en quête d'un absolu qui, pour les autres personnages, se limite à leur vie professionnelle. Elle est en quête de quelque chose, un accomplissement, peut-être, dont elle ignore ce qu'il est exactement.
Elle incarne une forme de résilience, d'acceptation de soi. Elle est en quête d'estime de soi, alors qu'elle entre dans la dernière partie de son existence. Pardon d'évoquer son âge, mais c'est sa croix. Ce vieillissement est l'un des éléments qui la minent, son adversaire, c'est le temps, qui avance, inexorable, qui la broie et qui l'érode, à la fois...
Cinq visions du monde et de l'existence, et tant d'autres encore. Cinq destins qui se jouent en quelques instants. Et la confrontation du rêve et de la réalité. Le rêve, quand l'homme relève la tête vers les étoiles, et la plus brillante d'entre elle. La réalité qui enferme, inhibe, écrase, et dont il faut aussi chercher à se libérer...
La ville de Malargüe se trouve en Argentine, au pied de la Cordillère des Andes, tout au sud de la province de Mendoza. C'est là qu'est installé l'observatoire Pierre-Auger, un centre scientifique international où des chercheurs du monde entier travaillent sur les différents rayons cosmiques et étudient, entre autre, le soleil.
Vadim, taciturne, discret, est un spécialiste de la physique des particules et amateurs de death metal (il en a d'ailleurs le look) ; Alexandre, séducteur et macho, mais brisé par une récente rupture avec une femme qu'il aimait sincèrement, a présidé à l'installation les 1600 panneaux solaires de l'observatoire ; Wolfgang, le poissard qui a appris à vivre avec sa malchance proverbiale, étudie les rayons cosmiques d'ultra-haute énergie.
Ces trois scientifiques de grande valeur doivent prendre un avion, ce jour-là. Ils se sont donc levés tôt pour pouvoir préparer leurs bagages, prendre un petit-déjeuner et faire le long trajet en voiture jusqu'à l'aéroport de Mendoza, à plusieurs centaines de kilomètres de là. Et pas au bout d'une autoroute, mais d'une longue piste, digne d'un rallye-raid.
Un quatrième homme les accompagne : il s'appelle Simon et il est venu jusqu'à Malargüe afin d'écrire un article de vulgarisation scientifique pour le magazine du CNRS. Sa visite à l'observatoire s'achève et il va rentrer au pays, avec les informations qu'il a collectées. Et auxquelles, il faut bien le dire, il ne comprend pas grand-chose, mais ce sujet est vraiment cool !
Il détonne un peu, au milieu de ces trois grosses têtes, lui qui est superficiel, fan de Clint Eastwood qu'il interroge avant de prendre chaque décision, sans cesse branché sur son smartphone ou sa tablette, immortalisant sur les réseaux sociaux chaque moment de sa vie susceptible de lui rapporter des "likes". Une vie virtuelle, par procuration, presque plus importante à ses yeux que sa vie IRL.
Les voilà donc en route pour Mendoza, Vadim au volant du 4x4, et une ambiance particulière dans cet habitacle. Comme si chacun vivait dans son propre monde, s'abîmait dans ses propres pensées et qu'il ne pouvait les partager avec les autres. Quatre univers distincts sans aucune intersection, quatre vies qui se sépareront naturellement lorsqu'ils seront arrivés à l'aéroport.
Dans ce décor somptueux, près de la Lagune du Diamant et du volcan Maipo qui la surplombe, dans ce désert qui ne semble pas avoir de limite, Vadim se laisse emporter par ses rêveries, griser par la vitesse. Et soudaine, une ornière, une courbe, un dévers, il n'en sait rien, il perd le contrôle du véhicule qui sort de la piste et part en tonneaux...
L'accident est très spectaculaire, très violent... La voiture est complètement détruite et, à l'intérieur, les passagers ont souffert. A des degrés divers. Et les voilà mal en point, au milieu de nulle part, le long d'une route très peu fréquentée, avec ce soleil, objet de toutes leurs attentions habituellement, qui pourrait devenir un problème supplémentaire...
Comment vont-ils réagir dans cette extraordinaire situation ?
Il nous faut parler de Mathilda, la cinquième protagoniste de ce roman, malgré elle. A près de 60 ans, elle a envoyé balader sa vie en Afrique du Sud, sa famille, un mari, des enfants, son métier de chirurgien-dentiste qui lui sortait par les yeux. Du jour au lendemain, elle a tout plaqué et s'est envolée pour l'Alaska.
Et de là, elle s'est lancée dans une incroyable aventure : rejoindre le point le plus haut sud du continent américain, au fin fond de la Terre de Feu, équipée seulement d'un vélo... Pourquoi ce défi qui semble surhumain ? Elle ne saurait sans doute même pas l'expliquer, il s'agissait juste de se fixer un but dans l'existence...
Voilà comment, ce matin-là, Mathilda s'est retrouvé sur une route argentine, entre Mendoza et Malargüe, en direction du sud. Voilà comment, ce matin-là, elle a croisé la voiture conduisant Vadim, Alexandre, Wolfgang et Simon à l'aéroport, sans savoir ce qui allait se passer quelques instants plus tard, sans prêter une grande attention à ce véhicule.
Ce contact uniquement visuel a duré quelques secondes à peine, le temps pour la cycliste de regarder passer le 4x4 et de se retrouver enveloppé par un nuage de poussière, le temps pour les passagers de la voiture de remarquer cette femme, dont la présence en pleine pampa leur a semblé certes incongrue, mais qu'ils ont vite oubliée ensuite...
Pourtant, cette fugace rencontre va influer sur le destin des uns et des autres, sans même qu'ils en aient conscience. Exactement comme les rayons du soleil viennent nous réchauffer, et on poursuit ce que l'on est en train de faire, et exactement comme d'innombrables autres particules dont nous ignorons tout viennent nous frapper, parfois sans effet, et parfois avec des conséquences...
Une sorte d'effet papillon à l'échelle de l'infiniment petit... Et une réflexion sur ces particules d'humanité que nous nous échangeons sans en avoir conscience et qui, dans la plus parfaite discrétion, changent nos existences, parfois pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Parce que les relations entre les êtres n'ont pas besoin d'être visibles pour bousculer nos destins...
Après les voyages au long cours et les souvenirs des quatre coins du monde qui étaient au coeur du "Goût du large", Nicolas Delesalle nous invite à une lecture très différente, car, même si le cadre de la pampa argentine est majestueux et dépaysant à souhait, il est l'unique cadre de cette histoire. Et, d'une certaine manière, entre la voiture et cette piste interminable et très peu fréquentée, on est proche du huis clos.
En effet, nos personnages sont livrés à eux-mêmes et ne peuvent compter que sur leur sang froid, leur bon sens. Peut-être aussi sur leur chance, même si, dans de telles circonstances, on hésite à l'évoquer... De leurs réactions dépendra la suite de leur existence, une existence qui va, de toute manière, changer de trajectoire après les événements de ce jour.
De même, l'unité de temps : quelques secondes pour que se noue le drame, façon "les Choses de la vie", une journée pour que l'action se déroule. C'est à la fois long, vous comprendrez pourquoi, et court, à l'échelle de nos existences et plus encore, à celle du temps. Tout est relatif, on y revient sans cesse, à ce constat...
Entre les êtres humains et ces particules gorgées d'énergie qu'étudient les scientifiques de l'observatoire Pierre-Auger, le parallèle est alors saisissant. Nous aussi sommes porteurs d'une énergie qui influe, consciemment ou non, sur ceux que nous rencontrons, par hasard ou non, ou que nous croisons simplement.
Au coeur de cette nature sauvage, imposante, mais qui peut vite se montrer hostile, ces personnes vont toucher à l'essentiel. Les préoccupations qu'ils ressassaient pendant ce voyage vont s'envoler et ils vont se rendre compte de la fragilité de l'existence, de ce qui la rend précieuse et de ce qu'il faut savoir apprécier.
La Laguna del Diamante et le volcan Maipo.
Comme le pense Simon, "il faut se montrer plus modeste, accepter l'évidence et arrêter de vivre plus haut que son cul". Bon, c'est formulé de manière un peu brusque, ça colle parfaitement au jeune journaliste, il faudrait sans doute imaginer des variantes plus... modérées pour les autres, mais c'est valable pour tous, y compris Mathilda.
L'homme n'est pas le centre de l'univers, faut-il encore le rappeler ? Pour ces hommes, le rappel est brutal, sept tonneaux, si je ne me trompe pas... Dans leur comportement, il y a de l'égocentrisme et de l'égoïsme, aussi, à différents degrés. En tout cas, on est bien loin de leurs recherches scientifiques, si profondes, pointues, excitantes. Et même, à leur façon, poétiques.
Chacun, mais ils ne sont pas les seuls, nous sommes tous comme cela, est le soleil de son propre système, une existence qui tourne autour de soi, comme les planètes. Voilà ce qui nous préoccupe principalement, une vision à courte vue à l'échelle de l'univers. Et c'est ce qui nous fait oublier de nous préoccuper des autres, sauf circonstances exceptionnelles.
Chaque personnage de ce roman a une personnalité bien marquée, sensiblement différente de celles des autres, des goûts, des aspirations, des ambitions, des regards différents. En fait, chacun a sa vision du monde, sa philosophie de l'existence, mais une seule vie, fugace, brève, trop pour ne pas en faire quelque chose d'autre qu'un jouet qu'on ne garde que pour soi.
L'altruisme, le désintéressement, des valeurs qui ont tendance à s'effacer dans nos sociétés modernes, sont au coeur de cette histoire. Mais, pour en arriver là, il faut qu'ils se révèlent, et pour cela, il faut que ces êtres soient frappés par ces particules d'humanité à haute énergie, renforcées par d'intenses émotions, encore une fois selon un large spectre.
Il y a beaucoup à apprendre de ce roman, pour le lecteur, qui n'est pas au coeur des événements, mais seulement le témoin. Pour nous aussi, comme pour Vadim, Alexandre, Wolfgang, Simon et Mathilda, cette lecture a des conséquences, doit avoir des conséquences. Nous aussi sommes frappés par ces particules d'humanité émises par ce qui se passe sur cette piste argentine.
Nicolas Delesalle nous met face à nos responsabilités, face à nos existences, face à notre indifférence quotidienne, et nous demande de tirer les enseignements pour notre propre vie, sans avoir à passer par un drame, un choc, une révélation tragique ou existentielle. Oui, à nous d'influer sur nos propres trajectoires, sur celle des particules que nous émettons et qui iront en irradier d'autres, et ainsi de suite...
On passe au cours de cette lecture par de nombreux états d'esprit, du rire aux larmes, selon la formule consacrée. Certains des personnages ont un côté tragique, au contraire d'un Simon, qui incarne le ressort comique (léger, le comique, mais qui apporte un peu de légèreté dans ces moments terribles). On constate les dégâts, on s'inquiète pour eux, on craint le pire...
Quant à Mathilda, je me suis longtemps interrogé à son sujet. Sur ses choix radicaux, sur ce ras-le-bol qui l'a poussée à prendre ses distances et à tout envoyer valser, à se libérer d'un quotidien trop monotone... Que venait-elle faire dans cette histoire ? Elle ne ressemble pas aux autres, à ces quatre hommes enfermés dans leur grosse voiture.
Au contraire des hommes, noyés dans leur quotidien, elle a rejeté son existence, elle a choisi de fuir sa vie. Elle est en quête d'un absolu qui, pour les autres personnages, se limite à leur vie professionnelle. Elle est en quête de quelque chose, un accomplissement, peut-être, dont elle ignore ce qu'il est exactement.
Elle incarne une forme de résilience, d'acceptation de soi. Elle est en quête d'estime de soi, alors qu'elle entre dans la dernière partie de son existence. Pardon d'évoquer son âge, mais c'est sa croix. Ce vieillissement est l'un des éléments qui la minent, son adversaire, c'est le temps, qui avance, inexorable, qui la broie et qui l'érode, à la fois...
Cinq visions du monde et de l'existence, et tant d'autres encore. Cinq destins qui se jouent en quelques instants. Et la confrontation du rêve et de la réalité. Le rêve, quand l'homme relève la tête vers les étoiles, et la plus brillante d'entre elle. La réalité qui enferme, inhibe, écrase, et dont il faut aussi chercher à se libérer...