Viktor Lazlo.
Editions Grasset.
336 pages.
En librairie le 10 janvier 2018.
Résumé:
Une grande fresque romanesque sur cinq générations et trois continents, qui nous fait traverser la guerre de 1870, celle de 14-18 et celle de 39-45, et qui tresse, au hasard de l'histoire et du destin des personnages, deux des plus grandes tragédies du XIXème et du XXème : celle de la traite négrière et celle de la Shoah. D'un côté, la lignée de Yamissi, née en 1850 sur les rives du fleuve Oubangui, arrachée aux siens, vendue comme esclave dans l'île de Gorée au Sénégal, elle traverse l'Atlantique dans les cales du dernier bateau négrier à destination de Cuba.
Rachetée à Santiago par l'exécuteur de la vente lui-même, un polonais du nom d'Ephraïm Sodorowski, tombé amoureux d'elle, les soubresauts de la guerre d'indépendance vont les ramener ensemble en Europe... De l'autre, la lignée d'Izaak Wotchek, juif polonais originaire du petit village de Bialystock, qui va connaître les utopies politiques (Bund, mouvements anarchistes, etc.) et toutes les tragédies qui vont décimer les familles juives de la Mitteleuropa. Dans un bordel de Dantzig, en 1906, le fils d'Izaak, Samuel Wotchek, et Josefa, fille de Yamissi, vont se rencontrer et s'aimer. Tous deux croient possible de refaire leur vie en Martinique... mais peut-on durablement tourner le dos à la souffrance des siens à l'autre bout du monde ?Mon avis:
Viktor Lazlo est une femme très connue puisqu'elle est à la fois actrice, chanteuse et auteure, mais chose étrange moi je n'en avais jamais entendu parler. Cependant son dernier roman paru en ce début d'année chez Grasset m'a interpellé parce qu'il réunit deux thèmes que j'aime retrouver en littérature la ségrégation et l'antisémitisme. Je remercie donc la maison d'Edition pour l'envoi de ce titre qui m'a enfin permis de la découvrir.
C'est un roman on le comprend tout de suite qu'on ne lit pas d'une traite, il faut prendre son temps pour bien comprendre l'histoire puisque l'on va suivre deux familles sur deux continents différents à des époques différentes, mais qui vont cependant finir par être liées. Je remercie d'ailleurs l'auteure d'avoir pensé à insérer un arbre généalogique au début du livre qui m'a beaucoup aidé, car il y a énormément de retours en arrière et il est donc assez difficile au début de suivre le fil de l'histoire. Ce sont les grands événements de la fin du XIXème siècle jusqu'au milieu du XXème siècle en Pologne, en Centre-Afrique et à Cuba que l'auteure retrace dans son roman.
On suit tout d'abord en 1880 Ephraïm un polonais qui a quitté son pays quelques années plus tôt après un attentat auquel il avait participé lors de l'insurrection polonaise, et qui suite à cela est venu se réfugier à Cuba, mais également Yamissi une africaine qui est enlevée et vendue comme esclave dans cette même ville. Puis, quelques années plus tard l'auteure nous plonge en 1906 où l'on rencontre le jeune Samuel un polonais qui fuit son pays en plein conflit indépendantiste, et qui sur sa route va faire la rencontre de Josefa la fille de Yamissi et Ephraïm qui deviendra sa femme. Tous deux vont par la suite finir par s'installer en Martinique où ils vont avoir une petite fille Fleur. C'est Fleur qui en 2010 à l'aube de ses 100 ans nous raconte l'histoire de ses ancêtres à travers ses mémoires qu'elle écrit avant de mourir, pour pouvoir transmettre à sa descendance le récit de ce passé tumultueux mais très riche.
Je ne doutais pas que ce roman allait beaucoup me plaire et me toucher parce qu'il traite de sujets très importants et très graves de l'Histoire dont on ne parlera jamais assez à mon sens. Je suis toujours ravie de voir que certains auteurs choisissent d'en faire les sujets principaux de leur livre parce qu'il me semble nécessaire de continuer à en parler, afin de toujours informer et surtout pour ne pas oublier. En ce sens je n'ai pas été déçue concernant les passages traitant de ces deux sujets. J'ai dévoré ceux retraçant la vie de Yamissi en tant qu’esclave, on assiste impuissant à la séparation déchirante entre la jeune femme et sa famille, à la dure traversée de l'océan Atlantique pour rejoindre l'Amérique du Sud dans un bateau de fortune, à la faim et à la soif dont ils souffrent jour et nuit, aux viols et aux châtiments corporels qui leur sont infligés, et enfin à la honte qu'ils ressentent en étant traités comme du bétail et qui finissent par vous enlever tout ce qui fait de vous un être humain.
Ces passages là m'ont bouleversé par leur dureté, comme cela a été le cas concernant ceux de la famille de Samuel en Pologne durant la seconde guerre mondiale, des années pendant lesquelles ils vont vivre l'horreur, l'enfer du ghetto juif polonais puis des camps. J'ai lu énormément de romans traitant du sort des juifs à cette époque et je suis toujours autant émue et bouleversée par tout ce qu'ont pu subir ces pauvres gens. Ce sont ces passages là qui font toute la beauté et la force de ce roman, même si je l'avoue d'autres m'ont moins plu, m'ont moins intéressé, voir même qui m'ont semblé parfois assez longs et ennuyeux comme cela a été le cas concernant les conversations politiques entre certains personnages secondaires par exemple.
De même, la force de ce roman réside également dans ses personnages charismatiques tels que Ephraïm, Yamissi, ou encore Samuel. Ils ont vécu à des époques différentes mais qui n'en sont pas moins aussi complexes et très difficiles. Cependant malgré le contexte historique dans lequel ils vivent, ce sont des personnages que j'ai trouvé extrêmement forts et courageux, qui malgré ce qu'ils traversent, malgré leurs conditions de vie ne baissent pas les bras et arrivent à puiser au fond d'eux même la force de voir au-delà de ce qu'ils sont en train de vivre, ils arrivent à croire et à espérer un monde meilleur, un futur qui semble aujourd'hui impossible. Je suis toujours admirative de voir avec quel courage ils arrivent à continuer à vivre après un tel traumatisme.
Si j'ai donc apprécié la plupart des personnages, je n'ai cependant pas adhéré par contre à certaines de leurs décisions qui m'ont paru en total contradiction avec leurs principes, et qui ainsi ne m'ont pas permis de les comprendre réellement. Je n'ai pas compris par exemple "la double personnalité " d'Ephraïm qui d'un côté est un esclavagiste, mais qui épouse ensuite Yamissi qui travaillait pour lui, je n'ai pas compris non plus le choix de Samuel qui a finalement oublié sa famille pendant des années alors qu'il avait quitté son pays afin de trouver une vie meilleure pour lui et les siens, et enfin je n'ai pas compris non plus le choix de Fleur qui on l'apprend au fil des pages a abandonné un de ses enfants parce qu'il était noir, alors même que sa grand-mère des années plus tôt a connu l'enfer à cause de sa couleur de peau.
Les passagers du siècle n'est donc pas un coup de cœur pour ces raisons là, mais il reste quand même un très beau roman qui traite des différences sociales et raciales et des combats menés par certains parfois au péril de leur vie pour avoir plus de droits, pour l’indépendance de leur pays, ou pour être libres tout simplement.
Pour conclure:
Un roman complexe de part la multitude de personnages et d'époques qui s'entrecroisent, mais qui retrace avec justesse trois événements majeurs de la fin du XIXème siècle jusqu'au milieu du XXème l’esclavagisme en Centre-Afrique et à Cuba , mais aussi les mouvements indépendantisme et l’antisémitisme en Pologne. Malgré quelques longueurs et certains choix incompréhensibles à mon sens de certains personnages, Les passagers du siècle est un roman marquant qui touche, bouleverse, qui est à lire tout simplement.Ma note: 17/20.