Libres pensées...
1852, 2007, 2098.
Le récit se tisse autour de ces trois périodes, et de trois personnages, William, George et Tao. En 1845, William est pris par les engagements de sa vie de famille, alors qu'il voudrait se consacrer à la recherche en apiculture, et mettre au point une ruche inédite.
En 2007, George, apiculteur, est frappé de plein de fouet par la disparition progressive des abeilles, et la décision de son fils de ne pas reprendre l'exploitation familiale.
En 2098, alors que les abeilles ont disparu, Tao passe ses journées à polliniser les fleurs, une activité exercée par des milliers d'employés comme elle. Un jour, son fils tombe inexplicablement dans le coma.
Contrairement au roman d'Emily Fridlund, il est donc vraiment question d'abeilles dans le texte de Maja Lunde (difficile de ne pas sourire au prénom de l'auteur, il est décidément difficile d'échapper au destin).
Et l'on se prend étrangement au jeu ! Je ne vous cache pas qu'il m'a fallu quelques pages pour me repérer, et comprendre les enjeux et le contexte correspondant à chacun des trois protagonistes, me demandant bien entendu s'il existait entre eux le moindre lien, exception faite de la place accordée aux abeilles dans leur vie, ainsi qu'à leurs fils.
Le récit est bien structuré, rend à la fois les personnages attachants, et crée des attentes, l'envie de savoir ce qu'il va advenir de chacun.
L'auteur parvient, à mon sens habilement, à ancrer chacun dans son époque, à le rendre tributaire de l'Histoire de son temps : William est obsédé par la volonté d'impressionner son fils Edmond, et ne voit pas auprès de lui Charlotte, qui est une fille, mais qui présente des dispositions évidentes pour partager sa passion et ses recherches.
George est aussi soucieux du lien qui l'unit à son fils, soucieux de lui transmettre le travail de son existence, de lui confier les obstacles rencontrés pour trouver avec lui les solutions qui lui manquent.
Quant à Tao, elle donne l'occasion à l'auteur de s'essayer au style futuriste, en peignant une version possible du monde sans abeilles, révélant l'importance cruciale de ce qui semble aujourd'hui acquis et naturel, ce dont on pourrait penser qu'il n'y a aucun risque qu'on le perde. L'exercice est ici différent, mais réussit à sensibiliser le lectorat au rôle essentiel des abeilles dans la prolifération de la flore, et aux conséquences que pourrait avoir leur disparition.
Il ne m'est pas possible de vous parler de la précision scientifique, de la crédibilité des thèses avancées par l'auteur : j'ai appréhendé cette dimension comme une béotienne, c'est pourquoi je vous parler plutôt du traitement littéraire, et de l'impact du roman sur la conscience collective, sans mettre en question la probabilité qu'un scénario proche de celui relaté se produise réellement. Et, sur ces deux pans, mon sentiment est qu'Une histoire des abeilles est un livre réussi, bénéficiant d'une trame efficace et bien menée.
Pour vous si...
- Vous vous demandez bien en quoi l'hypothétique disparition des abeilles pourrait ennuyer qui que ce soit, après tout, ce sont surtout de sales bêtes qui piquent.
Morceaux choisis
"Elle avait raison. Je faisais toute une histoire d'un problème qui n'en était pas un. La neige ne resterait pas, nous avions déjà eu plusieurs journées chaudes, le soleil cognait et tout ruisselait. Cette chute de neige n'était qu'un dernier petit pet de l'hiver, elle aurait fondu d'ici à la fin de la semaine."
"_J'aurais tant voulu. Mais c'est juste que... comme vous, professeur, le comprendrez certainement... le temps me manque.
_Que voulez-vous que je vous dise ? Que je le conçois pleinement ?
Il se leva.
_Que je conçois que vous ne répondiez pas à mes attentes ?
Il s'avança vers moi et me sembla plus grand encore. Il me dominait de toute sa hauteur.
_Que je trouve parfaitement admissible que vous n'ayez toujours pas écrit le moindre article ? Que les étagères de votre bibliothèque soient remplies de livres jamais ouverts ? Que je vous aie consacré tout ce temps et que vous n'ayez pas été capable de faire autre chose dans la vie que de vous reproduire, comme un vulgaire verrat ?"
Note finale3/5(cool)