Aurélie est issue du milieu ouvrier. Elle a grandi et a toujours vécu à Grenoble, auprès de parents qui ont tout fait pour lui permettre d'accéder à une bonne situation, ne comprenant pas toujours ses lubies d'adolescente, mais s'employant à la soutenir dans ses projets.
Alejandro, pour sa part, est colombien, et a tout quitté pour mener l'expérience européenne, étudier et vivre loin de son pays où la facilité et le confort lui ouvraient les bras, découvrir et explorer le vieux continent. Mais, parachuté à Grenoble, le quotidien chiche qui l'attend ouvre le champ de ses désillusions.
Aurélie et Alejandro vivent un amour passion, jusqu'à ce qu'Alejandro déménage à Lyon pour poursuivre son cursus universitaire. Blessée, Aurélie décide de partir à son tour, pour Paris. Elle est confrontée à une existence de privations, de contraintes, simplement pour parvenir à joindre les deux bouts et vivre dans la capitale. Lorsqu'ils se recroisent, des années plus tard, leurs ambitions ont changé, eux aussi, à l'épreuve des choix qui les ont modelés, et du constat que le rêve français ne s'adressait pas à eux.
Le roman de Marion Messina parlera bien sûr aux trentenaires d'aujourd'hui. Mais il devrait rencontrer un écho plus large encore. Avec talent, et un regard sociologique acéré, l'auteur retrace la condition des enfants issus des milieux ouvriers, qui ont cru à la promesse de l'ascenseur social, de la méritocratie, des lendemains qui chantent, parce que la génération de leurs parents avait peut-être bénéficié de possibilités jusqu'alors inédites, et qui se sont heurtés à une réalité bien moins favorable.
Le style accroche, on avance de constat sévère en désillusion, les punchlines désenchanteresses abondent, renvoyant aux espoirs véhiculés par les films, la littérature, l'école aussi, qui ont induit en erreur.
Marion Messina nous parle d'une génération et d'une extraction sociale, de jeunes invisibles qui passent au travers du récit national et se retrouvent exclus sans que rien ne leur soit vraiment dit. Faux départ illustre par une histoire ce que nous dit Franck Lepage des inégalités sociales actuelles dans ses conférences gesticulées.
Alors, bien sûr, Faux départ laisse une amertume, une lassitude après la lecture, parce que l'on y reconnaît les accents de la vérité, et qu'il y a à travers l'histoire d'Aurélie et Alejandro la cohorte de ceux qui ont rêvé de mieux, et qui n'avaient pas la moindre chance.
Avec ce premier roman, on a affaire à la littérature qui bouscule, mais qui est aussi d'intérêt public.
"En réalité, l'égalité des chances revenait à dire que le lièvre et la tortue disposaient des mêmes chances sur la ligne de départ" (déjà entendu quelque part :) ).
"Etre citoyen du monde, c'était bon pour ceux qui parlaient la même langue depuis des siècles, une langue qui évolue naturellement, ceux qui connaissent la vie de leur pays sur deux millénaires, qui ont un patrimoine composé de châteaux, de marbres, de tapisseries, de tableaux et d'esquisses. Citoyen du monde, c'était le caprice ultime du peuple repu qui se déplace sans risquer sa vie."
"Elle aimait attraper leur regard, arriver à la minute à laquelle les étudiants confessent étudier sans envie, les cadres reconnaissent ne pas mériter leur salaire, les professeurs s'avouent dépassés, les informaticiens admettent contribuer à un monde qu'ils n'aiment pas et dont ils sont malgré eux devenus dépositaires."
" "La vie nous a semblé difficile parce qu'on essayait d'imiter nos parents, dans une époque qui avait trop changé pour qu'on y parvienne.[...] Il faut inventer autre chose, chercher une place ailleurs, dans d'autres lieux, d'autres corps de métier, d'autres décors. Il faut tout recommencer, Aurélie. Tout. On ne va pas rester ici à s'emmerder pour avoir une pâle copie de la vie au rabais de nos vieux. Il va falloir qu'on trouve notre place quand eux avaient un parcours tout désigné. Il faut arrêter de se lamenter de vivre moins bien que nos parents. [...] Il faut faire le deuil de l'opulence, le deuil de Paris, le deuil de la France, le deuil du plein emploi. Et surtout, il ne faut plus jamais se laisser marcher sur les pieds.""