Mondo Reverso (Dominique Bertail – Arnaud Le Gouëfflec – Editions Fluide Glacial)
Et si les femmes se comportaient comme des hommes et les hommes comme des femmes? C’est comme ça que ça se passe dans l’Ouest américain imaginé par les auteurs de « Mondo Reverso ». Dans ce western féministe (ou transgenre, ça dépend des points de vue), les rôles sont totalement inversés: les « cow girls » font la loi à coup de flingue et ne pensent qu’à boire et s’entretuer, tandis que les hommes sont des êtres sensibles (et un peu nunuches, il faut bien le reconnaître), habillés de robes aux décolletés plongeants. Dans cet univers inversé, on suit les trajectoires de deux personnages: une femme et un homme. Cornelia est une desperadette solitaire dont la tête est mise à prix. C’est une sorte de Clint Eastwood au féminin. Une vraie dure à cuire, qui jure et qui crache, mais qui n’est pas aussi insensible qu’elle veut le faire croire. Cornelia cherche à échapper à Hatchet, la pasteure chasseuse de primes et psychopathe qui est à ses trousses. Du coup, elle est obligée de se déguiser en homme. Autrement dit, mettre une robe et se dessiner une petite moustache. Dans sa fuite, la « cow girl » croise la route de Lindbergh, un homme au foyer qui a sauté d’un train en marche parce qu’il s’ennuyait ferme auprès de sa riche épouse femme d’affaires. A l’inverse de Cornelia, lui s’est déguisé en femme pour passer inaperçu. Commence alors une course-poursuite sanglante à travers les plaines de l’Arizona. Obligés de faire équipe, Cornelia et Lindbergh vont devoir affronter tour à tour Hatchet, l’effrayante pasteure-chasseuse de primes, Mumu, une gangstere sans coeur qui est en train de changer de sexe après avoir bu un philtre indien à son insu, et Camille, un homme qui autrefois était une femme et qui est sur le point de se retransformer dans le sens inverse… Une belle brochette de cinglé(e)s!
Pré-publiée par épisodes dans le magazine « Fluide Glacial », la BD « Mondo Reverso » s’appuie sur une excellente idée de départ. Faisant preuve d’un humour potache communicatif, Arnaud Le Gouëfflec et Dominique Bertail s’amusent comme des gamins à détourner les codes très marqués du western. « C’est un genre hyper sexué, donc j’étais assez curieux de voir ce qui pourrait se passer si on inversait les rôles », explique le scénariste. « Et je n’ai pas été déçu, parce que tout est sexué finalement, des fringues aux rôles qu’on nous attribue, les métiers, les attitudes. » Effectivement, c’est très drôle de découvrir à quel point le récit imaginé par Le Gouëfflec renverse les clichés et les idées reçues, en se moquant gentiment des stéréotypes machistes véhiculés par le western. Mention spéciale aux dialogues, qui sont particulièrement réussis parce que l’auteur s’applique à mettre tous les termes masculins au féminin et vice versa. Un clin d’oeil amusant au récent débat sur l’écriture inclusive. Malheureusement, au-delà de cette bonne idée de départ, l’histoire en elle-même peine parfois à convaincre. On ne peut pas s’empêcher de penser qu’il y avait sans doute moyen de faire mieux avec un tel matériau de base. D’autant plus que les dessins en sépia de Dominique Bertail, réalisés avec du brou de noix (« c’est facile à utiliser et ça ne coûte rien », dit-il), sont vraiment magnifiques. Autrement dit, ce premier épisode de « Mondo Reverso » vaut clairement la peine d’être lu, ne fût-ce que par curiosité, mais on compte sur Le Gouëfflec et Bertail pour transformer définitivement l’essai dans leur album suivant. Cela tombe bien: ils y travaillent déjà. Selon eux, ils sont loin d’avoir fait le tour du sujet!