Une longue impatience de Gaëlle Josse aux éditions Notabilia
Anne est morte d’inquiétude. Son fils, Louis n’est pas rentré et la nuit tombe. Il ne rentrera pas ce soir, ni le soir d’après.
Nous sommes dans les années 50 en Bretagne. Après avoir vécu deux ans seule avec son fils, suite à la disparition de son mari en mer, Anne cède aux avances d’Etienne, le pharmacien, qui l’aimait depuis l’enfance. Ils se marient. Etienne accueille Louis. Deux autres enfants naissent de cette union et le comportement du mari change vis-à-vis de son beau- fils. Un soir, Etienne corrige Louis à coups de ceinture. Le lendemain Louis ne rentre pas.
Commence alors pour Anne une interminable attente. Elle cherche son fils partout.
« Je le cherche comme n’importe quelle mère cherche son enfant et ne cessera d’errer, de renifler toutes les traces possibles comme un animal. J’ignorais abriter en moi, au creux de mon corps de mère, autant de place, autant de replis, d’interstices que la douleur pouvait irriguer d’un flux sans fin. »
Anne apprend que son fils s’est engagé sur un cargo malgré ses seize ans. Tous les matins elle se rend sur la côte pour guetter un éventuel retour. Par tous les temps on peut la trouver, là, scrutant l’horizon. Ce n’est plus qu’une moitié de mère, qu’une moitié de femme. Elle ne rentre que pour accomplir ses tâches, préparer les repas, s’occuper de ses deux autres enfants. Comme Pénélope guettant le retour d’Ulysse, sa vie ne devient qu’attente. Elle écrit à son fils lui promettant pour son retour un festin digne de celui du fils prodigue dans la Bible. Elle s’accroche à l’espoir du revoir Louis.
« Je m’invente des ancres pour rester amarrée à la vie, pour ne pas être emportée par le vent mauvais, je m’invente des poids pour tenir au sol et ne pas m’envoler, pour ne pas fondre, me dissoudre, me perdre. Toutes ces choses ténues, dérisoires, je m’y accroche pour repousser le prénom qui cogne à mes tempes, à mon cœur, à tout mon corps, pour tenir à distance ce halo d’ombre qu’il agite autour de moi. J’invente tout ça pour me protéger de la houle qui arrive en traître, de côté, qui donne de la gîte à ma pauvre embarcation. Et ma tête tourne, ivre de tant d’absence, de mon Louis volatilisé, disparu, perdu. Et rien, jamais rien pour me rassurer, pour m’aider à accélérer le passage des jours, à escalader les nuits, à compter les mois, les années, les siècles, l’éternité. Rien pour m’aider à ne pas perdre pied, pour résister au champ magnétique du Trou du diable et de toutes les sirènes de brume. Et chaque jour je retourne sur le chemin. »
Avec ce nouveau roman, poignant, puissant, Gaëlle Josse m’a une fois de plus subjugué. Son personnage de mère déchirée, dévastée mais toujours debout m’a bouleversé. Il est porté par la plume pleine de force et de sensibilité de l’auteure. Des phrases rythmées, musicales qu’on se prend à lire à voix haute. Anne restera gravée dans ma mémoire. Je ne peux que vous recommander cet énorme coup de cœur.
Gaëlle Josse est rédactrice de site internet et organise des ateliers d’écoute musicale et d’écriture pour adultes et adolescents. Elle est entrée en littérature par la poésie. En 2015 son roman Le dernier gardien d’Ellis Island obtient le Prix de Littérature de l’Union Européenne.
Les romans de Gaëlle Josse chroniqués sur le blog :
Le dernier gardien d’EllisIslandLes heures silencieusesNoces de neige Nos vies désaccordées