"Mon nouveau patron est un aventurier. Un vrai, comme-dans-les-films mais en vrai, qui passe sa vie à sillonner le globe en quête d'actions grandioses, d'emmerdes invraisemblables et d'émotions fortes".

Si vous jetez de temps en temps un oeil aux publications de ce blog, vous avez certainement noté que l'éclectisme y est prisé. Dans le fond et la forme, dans les variations autour de thèmes proches qui inspirent des écrivains très différents et dans des univers éloignés. Nouvelle preuve avec notre billet du jour. Après Charlotte Delbo, nous allons évoquer un autre écrivain, mais qui s'est fait connaître dans un tout autre domaine. Un écrivain au succès fulgurant, à partir de la deuxième moitié des années 1980, l'incarnation de l'aventurier, du baroudeur, un écrivain voyageur, car on peut le ranger dans cette case, un personnage très particulier que l'auteur du livre a côtoyé et très bien connu. Dans "Zykë, l'aventure" (paru aux éditions Taurnada), Thierry Poncet revient sur la période pendant laquelle il a été le secrétaire de Cizia Zykë, auteur de best-sellers qui a arpenté les cinq continents en quête de ces moments si spéciaux où l'adrénaline gicle dans les veines, où le danger n'est jamais loin, où il y a du risque, mais aussi du cash, de la drogue, du sexe... Un drôle de numéro, et je pourrais même mettre l'expression au pluriel, car Poncet n'est pas mal non plus. Un étonnant récit, entre souvenirs et hommage, qui va vous faire voyager, mais pas dans des 5 étoiles...
En 1984, Thierry Poncet rêve de devenir écrivain, mais pour le moment, il doit vivre comme il peut, en signant des textes écrits au kilomètre pour des revues, des éditeurs... Il vit dans une mansarde à Paris et on a un peu l'impression de revivre la Bohême, avec une machine à écrire et du papier au lieu de toiles et de pinceaux.
Une Bohême destroy, parce que le jeune Thierry, c'est plus un punk qui voudrait écrire à la façon de San Antonio qu'un garçon de bonne famille portant du velours côtelé et citant Marguerite Duras... Je revendique absolument cette série de clichés, on est aussi dans un exercice de style qui se revendique de la littérature populaire, nous y reviendrons.
Alors qu'il tire le diable par la queue, il apprend par une amie qu'un homme qui vient de rentrer de voyage cherche un secrétaire afin de l'aider à rédiger le récit de ses aventures. Curieux, Thierry accepte de rencontrer ce personnage, avec qui il a rendez-vous dans un PMU de la capitale (un commerce qui fait office de bureau pour celui qui sera bientôt son patron).
Et là, premier choc : "Blouson de cuir. Gueule bronzée. Cheveux ras noirs. Moustaches. Cou de buffle. Une énorme pépite d'or brut en pendentif sur la poitrine. D'autres pépites en bracelet à son poignet gauche. En dessous, tatouée, une feuille de ganja. Sauvage, auréolé de menace". Cette description apparaît dès la première page, souvenir d'un premier regard marquant.
Le balèze qui attend Thierry en jouant aux courses, c'est Cizia Zykë. Le livre n'est pas sa biographie, on en saura un peu plus sur lui au fil du récit, en particulier dans la dernière partie du roman, quand il décidera de renouer avec ses racines paternelles, en Albanie. Donc, si vous ne le connaissez pas, renseignez-vous, ou laissez-vous porter.
Zykë, comme il veut qu'on l'appelle, rentre du Costa Rica et veut mettre sur le papier le récit de cette aventure hors norme. Pour cela, il a besoin d'un secrétaire qui prennent note de ces souvenirs et les mettent en forme avant de les soumettre à un éditeur. Thierry a apporté une des nouvelles qu'il a écrites et, après lecture, il est embauché.
Un deal ultra-rapide qui s'accompagne de quelques conditions : Zykë n'est pas du genre à vivre en ville, à respecter les horaires de bureau, à s'asseoir derrière une table plusieurs heures par jour. Il lui faut de l'espace, des lieux à explorer, des situations précaires qui peuvent basculer, du risque, du danger... Bref, un endroit où il ressent le souffle de l'aventure...
Dès le lendemain de son embauche (pas de contrat, une poignée de main suffit), Thierry a quitté Paris. Dans une Merco pourrie, avec Zykë et un certain Flaco, qui l'a accompagné dans ses dernières aventures, il prend la direction du sud. Barcelone, puis Gibraltar. Et, déjà, sa petite vie pépère vole en éclats au contact de ces deux durs à cuire au mode de vie aux antipodes du sien.
La destination finale de ce voyage, c'est le désert, le plus emblématique au monde, le Sahara. C'est au Maroc que Thierry Poncet commence sa mission littéraire auprès de Cizia Zykë, dans des conditions précaires qui seront la norme durant toute la période où il travaillera pour lui. Avec un rythme de vie très spécial, également, entre périodes de désoeuvrement et de frénésie.
Zykë raconte, Thierry prend note, puis tape sur une antique machine à écrire, retravaille, réécrit avec l'aval du patron... Ensemble, ils donnent vie à cet embryon de texte sur lequel Thierry va passer bien des nuits, entre corrections et rewriting... Quelques semaines à peine, dans un coin perdu près d'Essaouira, et va naître le premier carton signé Cizia Zykë : "Oro".
Pour une première expérience littéraire, c'est quelque chose ! Avec un succès énorme au rendez-vous, des millions d'exemplaires vendus, dit-on, aussi bien en grand format qu'en poche. De quoi s'offrir de nouvelles virées à travers le monde, à la recherche de nouvelles aventures, de nouvelles rencontres, de nouvelles découvertes...
La relation entre Zykë et Thierry Poncet va s'étaler sur une petite décennie et va correspondre à la période faste de cette aventure (oui, le mot revient très souvent, mais difficile d'en trouver un autre) littéraire. Sans Poncet, pas de Zykë, mais sans Zykë, qui sait ce que serait devenue Poncet en tant qu'écrivain ?
Ce que l'on découvre, c'est cette alliance de l'aventurier et de son porte-plume, une alchimie qui va changer le plomb de l'encre en or. Sauf que, si tout cela se cantonnait à un bureau et à des séances de brainstorming, ce ne serait guère passionnant. L'aventure littéraire de Cizia Zykë et de Thierry Poncet, c'est aussi une aventure humaine, aux quatre coins du monde.
Le jeune homme aux airs de rat de bibliothèque, le Parigot bon teint pour qui passer le périph' représentait déjà un voyage au long cours va, au contact de Cizia Zykë, connaître une vie bien différente. Il va surtout être contaminé par cette passion pour l'aventure, l'inconnu, les destinations lointaines. Et plus encore, lors de ce premier séjour, par la folie du désert...
"Zykë, l'aventure", c'est le récit de cette relation, tant personnelle (oserais-je dire amicale ?) que professionnelle entre deux hommes qui n'ont pas grand-chose en commun (a priori, en tout cas). C'est surtout d'abord une tranche de la vie de Thierry Poncet, car il n'est pas en permanence avec Zykë, il cherche même parfois à prendre ses distances, mais une vie influencée par Zykë.
Du Maroc à l'Indonésie, de l'Australie au Sud de l'Espagne, de la Thaïlande au Bénélux, de la Birmanie au Mali, la liste n'est pas exhaustive, Poncet ne va plus cesser de voyager, dans le sillage de Zykë ou, lorsqu'il ne l'accompagne pas, selon ses propres envies, mais toujours en nomade, en globe-trotter et loin des sentiers battus.
L'invitation au voyage musclée de Zykë va devenir un véritable mode de vie pour Thierry Poncet, routard et débrouillard, délaissant ses ambitions littéraires personnelles pour découvrir bien d'autres choses . A commencer par des pays fascinants, des personnages étonnants, parfois pittoresques, d'autres fois dangereux, avec cette sensation inégalable qui doit ressembler à la liberté.
Que dire de Zykë ? Il est fidèle à la première impression de Thierry Poncet. Un aventurier à l'ancienne, le baroudeur à la Bob Morane, qu'on pourrait prendre pour un mercenaire de prime abord. Un homme qui, bien que n'étant pas originaire de la pampa, s'avère souvent rude, mais également courtois. Le plus souvent. Sinon, un bourre-pif !
Cizia Zykë, ce n'est pas un gentilhomme. Fils de légionnaire, il a cette raideur militaire et cette autorité naturelle qu'on ressent en permanence. On pourrait le qualifier de brut(e), et il assumerait certainement le mot, avec ou sans e. Un bloc, qu'il vaut mieux ne pas chercher. Une tête brûlée, au sang froid impressionnant en toutes circonstances.
Un grand bandit devenu écrivain, ce n'est pas moi qui le dit, c'est lui-même qui se présente ainsi. Comme Poncet ne revient pas sur la vie de Zykë, il ne raconte pas non plus les livres sur lesquels il va travailler, dont les trois récits autobiographiques que sont "Oro", "Sahara" et "Parodie", puis les romans, fictions inspirées par d'autres aventures, véritablement écrites à quatre mains.
Mais, à travers le triptyque des mémoires, on comprend que Zykë a fréquenté des voyous un peu partout dans le monde, avec des ambitions différentes, des chercheurs d'or aux joueurs de poker, des contrebandiers et trafiquants divers, aux mafieux... Un dur à cuire, on vous dit, même s'il est difficile de savoir quelle est la part exacte de vérité dans tout cela.
Un voyou, donc, au grand coeur, parfois, mais qui sait aussi se montrer violent. Un homme affranchi de toute loi, de toute règle, à part celles qu'il édicte et impose à ses proches (et gare à qui prendra trop de liberté avec elles), capable de se battre, y compris avec des armes, de se montrer très provocateur, aussi. Un "outlaw" pour reprendre un terme de western.
La vie aux côtés de Zykë, c'est sexe (tarifé), drogues (douces ou dures, selon les arrivages), mais pas beaucoup de rock'n'roll (la question de la musique est quasiment un running gag). C'est aussi, à partir des premiers succès, une vie de bamboche sans fin où l'on claque l'argent comme s'il en pleuvait, un luxe éphémère, souvent, quand la fièvre de l'aventure retombe un peu.
Cette période, qui est au coeur du livre de Thierry Poncet, c'est celle de l'opulence. Zykë roule en Rolls, se pose dans des endroits paradisiaques en choisissant de belles baraques, organisent des fêtes limite orgiaques, entretient sa famille (eh oui, le baroudeur est marié et père !), finance ses passions nouvelles (la boxe thaïe, par exemple) et ses ambitions artistiques.
Car, et c'est aussi ce qui rend ce personnage (qu'on peut parfaitement trouver beauf, caricatural, antipathique, tout ce que vous voudrez) très intéressant, c'est que Poncet le rencontre à un moment de sa vie où Zykë a décidé de devenir non seulement écrivain, mais également cinéaste ou encore grand reporter et de réussir dans tous ces domaines...
On pourrait se demander si ce besoin de reconnaissance, cette volonté de marquer son époque et de faire son trou dans la vie intellectuelle est une manière de lutter contre certains complexes. C'est fort possible, car l'orgueil de Zykë est aussi considérable que le nombre de livres qu'il a vendus... Mais, il ne réussira vraiment que par ses livres, essuyant d'autres échecs cuisants...
Des échecs cuisants, mais qui, pour le lecteur que nous sommes, donne lieu à des épisodes absolument formidables et désopilants, relatés par Thierry Poncet : le tournage d'un film à la gloire de Zykë champion de boxe thaïe ou encore une série de reportages embarqués sur le Paris-Dakar, lorsque le rallye raid se déroulait encore en Afrique.
Reste cette ambition de dépasser la simple image de l'aventurier, de la grosse brute basse du front qui ne saurait que bourlinguer, se bagarrer, se défoncer... Et cette ambition, Zykë la formule très clairement : il veut "se tailler une vraie place dans la littérature française", devenir "le roi de la littérature po-pu-lai-re" et vivre "l'aventure éditoriale la plus extraordinaire qu'on pourra jamais vivre".
Ces mots, ce sont ceux que relaie Thierry Poncet qui est partie prenante. Certes, sur les couvertures, sur les contrats d'édition, dans la presse, seul apparaît le nom de Cizia Zykë, mais ces livres sont le fruit de la collaboration et de la complicité des deux hommes, c'est clairement défini par Zykë lui-même, personnage généreux et réglo en affaires.
Cet aspect est, pour moi, très important : Zykë a une idée très claire de ce qu'il cherche à faire, de la trace qu'il entend laisser. "En France, les écrivains de l'élite font chier le peuple et ceux qui s'adressent à la masse prennent des gens pour des cons", dit encore Zykë. Lui se rêve en auteur populaire, au bon sens du termes, proposant des histoires originales, sans prise de tête, mais pas non plus écrites au lance-pierre.
On est dans les années 1980, il est vrai que ce que l'on classe alors en littérature populaire n'a pas bonne presse (souvent à juste titre). L'expression roman de gare est définitivement devenue péjorative et les romans de genre, de l'espionnage à la SF, en passant par certains polars, sont considérés comme des sous-genres à la qualité douteuse (ce que certains traînent encore aujourd'hui, à tort, car les choses ont évolué).
Parmi ceux qui hérissent le poil de Zykë, on en croise un qui en prend pour son grade dans le livre de Thierry Poncet : un certain Gérard du Bidet, qu'on reconnaît facilement... Eh oui, Zykë, c'est l'anti-Gérard de Villiers, ce qu'il écrit, il l'a vécu de près, il en a été l'acteur ou le témoin direct, il n'est pas un rat de bureau, mais un voyageur, un vrai, qui entend faire partager son expérience à ses lecteurs.
Ah, on est dans des luttes d'écoles, presque, entre les écrivains voyageurs qui visitent le globe sous toutes ses coutures, et les écrivains adeptes des voyages immobiles, pour lesquels l'imaginaire vient remplacer l'expérience du terrain... Des visions irréconciliables, du moins, du point de vue de Zykë. Et qui donnera lieu à un beau bras de fer éditorial avec Gérard de Villiers (vite perdu par ce dernier).
Ce billet, j'aurais parfaitement pu l'appeler "Littérature et confiture", une formule qui devient une espèce de devise commune à Zykë et Poncet. Ce qui est troublant, dans "Zykë, l'abenture", c'est que la limite entre récit et fiction est toujours un peu floue. Les souvenirs de Zykë sont remis en forme par Poncet pour être plus accrocheurs, et les fictions signées Zykë s'inspirent largement d'histoires vraies.
Cela vaut aussi sans doute pour le travail de Thierry Poncet, qui peut désormais écrire sous sa propre identité. L'aventure avec Zykë s'est arrêtée il y a une vingtaine d'années, Poncet a depuis mené des projets personnels, mais la mort de son alter ego littéraire, en 2011, l'a aussi libéré de son rôle de porte-plume, lui permettant de raconter cette étonnante période de sa vie.
Je l'ai dit plus haut, dans ce livre, il y a Zykë et il y a l'aventure. Plusieurs fois, Poncet prend ses distances, lorsqu'il entreprend de traverser le Sahara, expérimentant par lui-même ce que Zykë lui a raconté, mais avec un peu plus de maladresse, lorsqu'il décide d'aller pêcher des perles à Bali, ou lorsqu'il rencontre de manière totalement inattendue le grand amour...
Thierry Poncet sait ce qu'il doit à Zykë, et il le lui rend dans ce livre, sans en faire une hagiographie. Pas question de tout édulcorer, de passer sous silence les moments délicats, les erreurs, les mésententes, les trahisons. Pas question non plus de ne pas évoquer certains défauts de Zykë, sa personnalité un brin tyrannique et ses lubies, ses erreurs d'appréciation...
Le tout, servi par un style très personnel, pas du tout académique, où l'on retrouve l'influence d'un San Antonio dans la capacité à travailler la langue, à la malmener quelquefois, à la détourner. Et le coup de génie de Zykë, c'est d'avoir saisi en quelques minutes, juste en lisant une nouvelle, que cette manière d'écrire collerait parfaitement à ses histoires, à sa personnalité.
J'ai parlé d'alchimie, et c'est vraiment cela : l'écriture de Poncet, qui aujourd'hui a retrouvé son indépendance, s'est mise au service de la démesure de Zykë pour faire un succès, un succès immense mais éphémère, qui est retombé comme un soufflé, comme si les envies, les goûts avaient évolué et qu'on attendait, au milieu des années 1990, autre chose...
Là encore, je me doute qu'il y aura des lecteurs qui n'adhéreront pas à cette manière d'écrire, exactement comme on peut ne pas apprécier le personnage de Zykë. Mais d'autres, je pense, apprécieront le mariage entre cette écriture sans fioriture, usant de l'argot, d'un vocabulaire qu'on ne peut qualifier de soutenu, mais très visuelle, très riche, très efficace, et de cette tranche de vie tout à fait hors norme.
C'est une lecture qui laisse des souvenirs, car les "moments de gloire" y sont nombreux. Des scènes qui font frémir ou, au contraire, qui font sourire (enfin, avec le recul), mais qui, toutes, nous dépaysen et nous font voyager. L'histoire d'un attelage improbable entre deux hommes tellement différents qu'ils en étaient complémentaires.
Ceux qui connaissent les livres de Cizia Zykë auront certainement des impressions de déjà-vu en lisant "Zykë, l'aventure". Ils retrouveront la genèse des livres qu'ils ont lu et découvriront celui qui oeuvrait dans l'ombre. Pour les autres, dont je suis, c'est une porte d'entrée très intéressante, car, après cette lecture, l'envie d'aller ouvrir un ou plusieurs livres signés Cizia Zykë se fait sentir.