L'indolente, Françoise Cloarec

Par Sara
Françoise Cloarec est psychanalyste, peintre et écrivain. Son dernier ouvrage conjugue ces trois domaines, puisqu'elle part à la recherche de Marthe Bonnard, et tâche de percer son mystère. 

Libres pensées...
Derrière Marthe Bonnard, l'épouse discrète du célèbre peintre post-impressionniste, se cache Maria Boursin, de son vrai nom, une jeune fille qui a fait table rase de son identité et de son passé lors de sa rencontre avec celui qui allait devenir son mari, et qui ne s'est jamais retournée.
Marthe et Pierre Bonnard vont vivre toute leur vie ensemble, jusqu'à la mort de Marthe, après quoi, par souci de facilité, Pierre crée un faux testament (il a alors plus de soixante-quinze ans et est assez isolé, les deux époux n'ayant pas eu d'enfant) pour ne pas affronter la montagne administrative qui l'attend pour pouvoir continuer à jouir de ses biens, qui est dénoncé à sa propre mort, lorsque la famille de Marthe, avec laquelle elle n'avait plus de contact depuis des années, se manifeste pour hériter.
La démarche de Françoise Cloarec n'est pas évidente : elle se fixe sur le personnage de Marthe Bonnard, déterminée à en percer le mystère, alors que la matière qu'elle récolte est bien maigre. Des tableaux de Marthe, elle en trouve à la pelle, ils pavent l'oeuvre de Bonnard. Mais sur l'identité, les pensées, les motifs réels de Marthe, elle ne peut que spéculer.
Elle exhume la correspondance, les quelques éléments qui ont survécu au temps, et il apparaît que la vie de Pierre et Marthe a été tout ce qu'il y a de plus rangé, de plus simple, loin des feux de la rampe et de la vie dissolue d'autres peintres de la même époque.
A ses côtés, on s'interroge sur ce qui a poussé Marthe à s'imaginer aristocrate déchue, orpheline de surcroît, lorsqu'elle croise Pierre Bonnard et qu'elle est encore toute jeune fille, les raisons qui ont pu l'éloigner de sa famille à ce point. Passé sordide ? Rêve d'ascension sociale ? Passion amoureuse exclusive ?
L'auteur ne peut guère nous apporter de réponses, mais dresse un portrait avec ce qu'elle possède, explore ce que nous disent les tableaux de Bonnard de l'intimité du couple, du regard de Pierre sur Marthe, de celui de Marthe sur Pierre, alors même que leur vie de couple a connu des remous par moment (Pierre s'étant fendu de quelques infidélités).
L'indolente est donc un récit volontaire, qui peine à bâtir du fait du manque de matière, mais qui essaie consciencieusement, qui creuse, explore, envisage, et a le mérite de prendre pour sujet la muse, la femme, faite de courage et de fragilités.
Pour vous si...
  • Vous êtes toujours curieux de découvrir la femme derrière l'artiste.
  • Vous vous demandez comment on peut être l'un des plus grands artistes du XXe siècle, et négliger un truc aussi élémentaire que son testament (comme quoi, la phobie administrative, ça ne date pas d'hier). 

Morceaux choisis
"Cette solitude avec Marthe, pour ne pas être étouffante, il la confie aux autres grâce à la peinture. Il la libère. Le quotidien enferme, la peinture ouvre. Il nous raconte la vie banale, répétitive, monotone, avec beauté. Grâce à des tons originaux, un point de vue et une composition décalés, une lumière travaillée, il se rassure, il nous rassure.
Il nous livre son monde connu, le sublime, en fait une oeuvre.
Qu'est-ce qu'un couple ?"
"Seul, âgé, Bonnard peint, toujours dépouillé de toutes les passions qui ne sont pas la peinture. Il se délivre du noir intérieur dans la couleur."
Note finale3/5(cool)