"Le péché a pénétré entre ces murs. Il n'a pas eu besoin d'entrer par le trou de la serrure. Tout simplement parce qu'il avait la clé".

Les murs en questions sont ceux de Notre-Dame de Paris. Pas la version post-apocalyptique d'Arlette de Bodard dans "la Chute de la Maison aux Flèches d'Argent", mais la version actuelle, entre lieu de culte et site touristique. La cathédrale est en fait le cadre d'une série de polars, assez classiques dans le fond, dont voici le premier tome. Une série qui met en scène un improbable duo : un prêtre (et vous verrez que ce personnage en soi est très particulier) et une jeune substitut du procureur, encore un peu verte. Ils vont se rencontrer pour la première fois dans "La Madone de Notre-Dame", d'Alexis Ragougneau (en poche aux éditions Points), autour d'une enquête délicate et d'un suspect un peu trop parfait. Entre Notre-Dame, le palais de justice et le 36, quelques centaines de mètres tout au plus, sur une île de la Cité qui réunit pouvoir terrestre et pouvoir spirituel. Mais, dans les deux cas, le mot important, c'est le pouvoir...
En ce lundi 16 août, qui s'annonce particulièrement chaud, la cathédrale Notre-Dame de Paris se prépare à accueillir une foule importante. D'un côté les fidèles, qui se presseront aux différents offices ; de l'autre, et ils sont de loin les plus nombreux, les touristes qui entendent visiter ce monument incontournable de la capitale.
Il faut donc que tout soit parfait à l'intérieur du bâtiment pour que chaque personne en franchissant le seuil profite au mieux de sa visite. Mais, le personnel se prépare aussi à une dure journée, au cours de laquelle il faudra recadrer quelques touristes un peu trop bruyants ou oubliant la nature du lieu dans lequel ils sont entrés.
Il est encore tôt, ce matin-là, les surveillants ont encore la possibilité de plaisanter, le plus gros de la fréquentation quotidienne n'est pas encore arrivé. L'un d'eux prévient son collègue qu'il a repéré "une bombe" dans le déambulatoire, à hauteur de la chapelle Notre-Dame-des-Sept-Douleurs. Dans leur jargon, pas très fin, il faut le reconnaître, il s'agit d'évoquer une ravissante visiteuse.
Et, effectivement, devant la chapelle, se trouve une jeune femme en train de prier. Sa posture contraste avec sa tenue : une robe blanche, certes, mais peut-être un peu trop courte pour un lieu de culte. Mais l'image est attendrissante, elle pourrait inspirer n'importe quel peintre voulant réaliser le portrait d'une madone.
Mais, soudain, alors qu'une autre fidèle s'assoit à ses côtés, l'orante bascule et s'écroule au sol. Hurlement de la touriste américaine et stupeur générale... La "bombe" vient d'exploser : la jeune femme est morte, et il semble bien que Dieu ne l'ait pas rappelée à lui alors qu'elle le priait, mais qu'elle ait trépassé suite à un acte bassement humain.
Etranglée. Et installée dans cette macabre mise en scène au mauvais goût certain. D'autres détails sont découverts lors de l'examen médico-légal qui donnent la nausée... La demoiselle a été victime d'un meurtre et son assassin a profané son corps. En pleine cathédrale... Le genre d'histoire qui, même en cette période habituellement très calme de la mi-août, devrait mobiliser tous les médias...
Sur place, la substitut du procureur Claire Kauffmann, flanquée de deux policiers, le commandant Landard et le lieutenant Gombrowicz. Ils n'ont pas eu un long chemin à faire pour arriver sur les lieux du crime, puisque le palais de justice et le 36, quai des Orfèvres se trouvent à deux pas, sur la même rive de l'île de la Cité.
A eux de mener l'enquête avec tact et discrétion, mais aussi avec rapidité car, personne n'est dupe, quelques précautions que l'on prenne, l'information finira forcément par fuiter et par atterrir sur les desks de toutes les rédactions de la capitale. Un meurtre à Notre-Dame, ça devrait faire de l'audience et faire vendre du papier, coco !
Claire Kauffmann est une jeune magistrate, encore inexpérimentée, qui se retrouve face à son premier dossier d'envergure. Mais l'inexpérience n'exclut pas l'ambition et elle sait très bien que cette affaire sera un test très important pour sa carrière à venir. Plutôt petite, avec un physique qui fait penser aux actrices blondes des films d'Alfred Hitchcock, elle reste marquée par un drame personnel intervenu dans sa jeunesse.
Le commandant Landard est un vieux de la vieille du 36, un flic à l'ancienne, comme on n'en fait plus. Et c'est vrai qu'il semble sorti d'un vieux roman de gare corné de partout pour avoir été trimbalé dans trop de poches. Et Landard, aussi, comme le dirait la chanson. Fumeur invétéré, plein de préjugés, raciste et homophobes, toujours si sûr de lui, il fait honneur à sa réputation, celle d'être le plus mauvais flic de Paris...
Dans son ombre, Gombrowicz est un jeune lieutenant qu'on remarque à peine à côté de son truculent supérieur. On ne peut pas dire qu'il ait tiré le meilleur des mentors... Mais, n'est-ce pas justement pour cela qu'il se fait si discret ? Pour mieux conserver son indépendance et son libre arbitre et envisager les faits avec un recul et une intuition qui font cruellement défaut à son chef ?
Voilà pour la loi et l'ordre, comme dirait Dick Wolf. Mais ces trois-là ne sont pas les seuls concernés par cette histoire. Qui dit cathédrale, dit clergé, et, avec le personnel de surveillance de la cathédrale, les prêtres étaient en effet aux premières loges au moment du drame. En particulier le père Kern, qui disait la messe dans une chapelle voisine.
Là encore, voilà quelqu'un qu'on ne doit pas remarquer tout de suite, malgré sa tenue d'ecclésiastique. Et pour cause : avec son 1m48 et ses 43 kilos, le père Kern est un tout petit bonhomme. Ce gabarit s'explique par un traitement médical suivi dans l'enfance qui a interrompu sa croissance. Il souffre d'un mal incurable qui se manifeste par des crises très violentes et seule la pratique de l'horlogerie semble l'apaiser, lui et ses démons intérieurs.
Mais le père Kern n'est pas seulement un homme qui doute et un prêtre à l'écoute de ses ouailles. C'est aussi quelqu'un d'intelligent et de curieux, épris de justice. Se sentant concerné directement par le meurtre de cette femme, il va fureter et chercher à comprendre comment on a pu tuer une jeune femme dans la cathédrale sans que personne ne remarque rien.
L'enquête officielle va vite mettre des éléments importants en évidence : la victime s'était fait remarquer la veille, lors de la procession de l'Assomption. Un comportement provocant, d'une sensualité qui collait mal avec l'ambiance pieuse du moment. Une attitude qui n'a pas plu à un jeune homme, qui a expulsé la fauteuse de trouble manu militari du cortège.
Pour Landard, le voilà, le principal suspect ! Ce jeune homme, là, qui a fait la police au milieu de fidèles avec un zèle évident. Quand le garçon s'avère être un fanatique carrément illuminé et obsédé par l'image de la Vierge, il passe direct du rôle de suspect à celui de coupable. Alléluia, les machines judiciaires et médiatiques vont pouvoir s'emballer, le tueur de Notre-Dame sera vite sous les verrous !
Une thèse qui semble un peu trop simple pour le père Kern. Le jeune homme est peut-être complètement cinglé, mais il ne lui semble pas avoir le profil d'un meurtrier. Et puis, d'autres éléments ne collent pas aux yeux du prêtre, qui est persuadé que la police, que ce bon vieux Landard fait fausse route et court à la catastrophe...
Dans cette série, Alexis Ragougneau met donc en scène une jeune magistrate et un prêtre retors pour mener l'enquête. Mais, on n'est pas à Grantchester dans les années 1950. Non, c'est à Paris de nos jours que ces deux-là, que rien ne semble rapprocher, vont devoir apprendre à travailler ensemble dans un contexte bien délicat.
Dans "la Madone de Notre-Dame", c'est le père Kern qui a la main, Claire Kauffmann semblant un peu en retrait. Il faudra que je lise la seconde enquête disponible, "Evangile pour un gueux" (en attendant que d'autres paraissent ?) pour voir comment ce tandem s'organise et évolue, ainsi que la place qu'occupe les policiers (mais n'en disons pas plus à ce sujet).
Un personnage dont le physique m'a fait penser à celui de l'enquêteur imaginé par Pierre Lemaître, Camille Verhoeven. Deux personnages de petite taille, qui paraissent sans doute insignifiant dans ce monde où le paraître règne en tyran, mais qui compensent ce handicap par une intelligence et une intuition aiguës.
Mais, Kern n'est pas flic, justement. Il est prêtre et sous son costume noir et son col romain cohabitent un homme et un ecclésiastique, deux personnalités qui ne sont pas forcément toujours sous la même longueur d'ondes. Le père Kern est un personnage tourmenté, en souffrance, en quête de quelque chose qui ressemble fort à une rédemption. A un pardon.
Est-il alors prêtre par sincère vocation ou parce que c'est la meilleure voie pour trouver l'impossible apaisement dont il a besoin ? Là, je vais sans doute un peu loin. Mais, en se muant en enquêteur, en travaillant sur un crime sordide qui a profané ce lieu qu'il respecte et aime tant, peut-être a-t-il trouvé une nouvelle manière de calmer le mal qui le ronge.
Et puis, il y a ce personnage incontournable qu'est Notre-Dame. Un tel bâtiment est forcément plus qu'un simple décor. Qu'on croie ou pas, ce site en impose et il représente quelque chose de très particulier, par son histoire, par son historique, par son architecture et par tout ce qu'il renferme. Ailleurs, cette histoire aurait une tonalité, un retentissement forcément différents.
Cet aspect-là m'a un peu laissé sur ma faim, mais peut-être parce que je m'attendais à ce que la cathédrale, les légendes qui l'entourent, son côté imposant soient un peu plus utilisés dans l'intrigue. Qu'on flirte peut-être avec l'irrationnel, le mystique. Alexis Ragougneau a choisi une autre voie (que je ne vais évidemment pas évoquer ici), plus terre à terre. Plus humaine.
Plus largement, j'ai trouvé que ce roman, très court (même pas 220 pages dans sa version poche) manquait un peu de gras. On va à l'essentiel, droit au but, et cela donne un roman efficace qu'on lit d'une traite. On est dans la lignée du roman populaire, de ce que j'appelais plus haut le roman de gare, mais sans le côté péjoratif qu'on y accole.
Les personnages sont très intéressants, ceux que j'ai évoqués, mais d'autres aussi qui valent le coup d'oeil et participent à la mécanique de l'intrigue. C'est sans doute le point fort de ce polar, Alexis Ragougneau jouant volontiers avec les archétypes, s'approchant tout près du gouffre pouvant le précipiter dans la caricature. Il joue les funambules, mais ne chute pas.
Il leur donne une vraie humanité, de ceux qui inspirent le plus l'empathie du lecteur aux plus agaçants. Bien sûr, la brièveté du livre empêche d'aller au fond des choses, mais il semble évident que les personnages appelés à prendre part aux différentes enquêtes gagneront en profondeur au fil des histoires. A commencer par Claire Kauffmann et le père Kern.
Ce premier volet repose sur une mécanique de polar très classique, mais qui va permettre aux deux personnages centraux de prendre la main. Pour la jeune substitut, de faire ses preuves dans un contexte hostile et mouvementé, et donc d'asseoir son autorité à venir ; pour le prêtre, outre sa quête personnelle, de se placer en auxiliaire viable en cas de nouvel incident aux alentours de la cathédrale.
Il y a un moment que j'avais envie de découvrir cette série, car l'idée de prendre Notre-Dame comme cadre et de faire enquêter un prêtre me semblait original et assez ambitieux. Sans être une révolution dans le genre ou un chef d'oeuvre incontournable, j'ai apprécié ce divertissement qui reste aussi ce qui n'est jamais évident à mettre en place : l'entame d'une série.
Il faudra poursuivre l'expérience pour voir l'évolution des personnages, leur organisation dans de futures intrigues, mais aussi la nature de ces intrigues, car, malgré tout, Notre-Dame de Paris reste un cadre à la fois limité, mais offrant pourtant un large champ des possibles. Si la série se prolonge au-delà du deuxième tome, il faudra se renouveler.
Alexis Ragougneau ne s'y consacre toutefois pas entièrement. Il travaille en parallèle sur d'autres projets, comme ce fut le cas pour le dernier roman qu'il a publié, "Niels", qui lui a valu d'apparaître sur la première liste du dernier prix Goncourt. Mais, Kauffmann et Kern sont des personnages qu'on a envie de retrouver en action. Tout comme ces flics si mal assortis qui les accompagnent.