Prologue
La pluie martelait les pavés grisés, inondant les travées d’un mince filet ruisselant autour de moi, trempant mes chaussures de toiles. Ça aurait dû être une belle journée, les oiseaux auraient dû chanter, les fleurs rayonner sous un soleil de plomb, illuminant la colline de leurs milles couleurs. Au lieu de cela, l’ombre terne des nuages faisait écho à la douleur sourde qui me comprimait la poitrine, la pluie répondait à mes larmes comme elle l’avait toujours fait.
L’averse les avait tous fait fuir, ils avaient écourté de beaux adieux pour retrouver la chaude quiétude d’un abri, tandis que moi, incapable du moindre mouvement, j’étais restée figée à la même place, fixant le carré de terre fraîchement retourné comme si mon acharnement pourrait changer le passé. J’étais pourtant l’une des mieux placé pour savoir qu’il n’y avait rien de plus faux. La mort était immuable, inéluctable, sans aucun retour possible, même pour nous.
J’avais encore tellement de chose à lui dire, tellement de secrets à lui confier et sa disparition brutale m’empêchait de faire mon deuil, m’empêchait de partir pour me mettre à l’abri, empêchait mes larmes de se tarir. Je lui en voulais tellement, de m’avoir fait croire qu’il était éternel, de ne pas m’avoir préparer à cette éventualité, de ne pas m’avoir attendu avant de partir. J’étais tellement en colère que je l’avais jeter en pâture au papier que je tenais dans la main, mince feuille à l’encre diluée par les gouttes d’eaux tombant en continu. Une bourrasque m’arracha la lettre des mains et je regardai mes mots et ma colère s’envoler portés par l’orage.
Cette colère, c’était tout ce qui me restait, tout ce qui me permettait de ne pas céder, de ne pas tout envoyer balader maintenant et me murer dans mon chagrin. Je le voyais d’ici, me scrutant de ses petits yeux sombres, sa moustache blanche frétillant de bienveillance me caresser doucement la tête en me disant : « Un peu de nerf ma Valkyrie, tu es plus forte que ça, je le sais. Redresse-toi, montre leur qui tu es. ». Cette fois-ci, il me faudrait un peu plus de temps. Je le ferai, comme toujours, je mériterai ce quolibet idiot dont il m’avait affublé depuis ma plus tendre enfance et lui dirai adieu à jamais.
Une fois de plus, la mort avait frappé, durement, brisant mon équilibre, détruisant ma normalité que j’avais tenté d’instiller à ma vie. Elle finissait toujours par venir, par nous rattraper, quoi que l’on fasse, qui que l’on soit, même ses propres serviteurs. C’était sa dernière leçon, le dernier enseignement et probablement le plus douloureux. Personne y échappe, tôt ou tard, on finit par rejoindre ses grands bras décharner et sombrer à jamais dans l’inconnu. J’espérais simplement qu’il ait trouvé une forme de paix, où qu’il soit, je crois que c’est ce que l’on doit penser dans ce genre de circonstances.
Renversant la tête en arrière, j’admirai le ciel, pâle reflet de ma colère, laissant la pluie balayer les larmes. Fixer la tombe pendant des heures ne le ramènera pas, contempler l’abîme ne m’amènera pas à prendre de bonnes décisions, le marbre froid et poli ne m’apprendra rien que je ne sache déjà : à Loan Kincaid, 5 mai 1935 — 29 juin 2016, mari, père et grand-père aimé et regretté.
Chapitre 1
J’avais pris l’habitude de finir ma journée en écrivant dans mon journal les péripéties de la journée, cela me permettait de lutter contre la dépression qui s’était installée durablement en moi depuis que j’avais appris la mort de mon grand-père. Une fois certaine que personne ne viendrait me déranger, je m’installai dans cette chambre bien trop luxueusement décorée, dans cet internat qui serait ma prison jusqu’à ce que j’obtienne mon diplôme d’études supérieures, — soit, pas avant cinq bonnes années —, et je tâchai de noir le carnet que mon père avait eu la gentillesse de m’offrir après avoir mis mon grand-père, l’homme qui m’avait aimé bien plus que mes parents, en bière. « Ainsi, tu pourras toujours lui raconter tes malheurs », m’avait-il dit. Comme si un simple journal pouvait remplacer l’amour de Loan Kincaid. Cependant, je devais bien admettre qu’il m’avait été d’un précieux secours, ces deux derniers mois, entre le décès et mon déménagement, mon quotidien avait été grandement perturbé.
Irillium était une métropole comme beaucoup d’autres, on y trouvait des bars, des restaurants, une faune et une flore des plus intéressantes, des personnes plus ou moins fréquentables, des lieux de perdition, des infrastructures diverses et le prestigieux internat Valandryss où je venais d’être acceptée. Une ville comme beaucoup d’autres, donc, à ceci près qu’elle se situait dans une dimension étrangère à celle où j’avais toujours vécu. Autant dire que le changement était drastique. Il y avait une différence majeure entre, savoir que l’on venait d’un autre monde et devoir y retourner après l’assassinat d’un membre de sa famille.
Valandryss, ou la prison dorée des jeunes mages comme j’aimais l’appeler, était l’institution la plus renommée en matière d’Études Magiques des Sept Mondes : les meilleurs professeurs, les cours les plus prestigieux et les rejetons des plus grandes familles rassemblés au même endroit durant les cinq ans qui nous permettront de nous former dans nos domaines d’expertise. Pour les enfants, c’était l’occasion de passer les cinq meilleures années de leurs vies et d’avoir l’assurance d’un bon emploi à la clef. Pour les parents, la certitude de créer des alliances plus que fructueuses avec d’autres grandes familles. Cette école était la plus grande agence matrimoniale du monde magique.
On pouvait compter sur mon grand-frère pour avoir déjà exploré cette partie des avantages, un certain nombre de fois. Je n’avais jamais vu une fille résister au charme de Thaddeus Kincaid, mais en tant que nouveau professeur, il allait devoir calmer ses ardeurs, les relations avec les élèves, étant, pour des raisons évidentes, proscrites.
Quelques heures plus tôt, j’avais dit au revoir à mes parents et rejoint ma nouvelle maison accompagnée de la secrétaire personnelle de la directrice. Thad et moi étions pour l’instant les seuls à être arrivés, la rentrée n’ayant lieu que le lendemain, les futurs élèves passaient leurs derniers instants de libertés avec leurs parents. Pas nous. Mon père s’était comme toujours renfermé dans le travail et ma mère avait profité de cet interlude pour retourner dans sa famille quelque temps. Je m’en accommodais, cela me laissait un peu de temps pour me faire à l’idée que mon téléphone et mon ordinateur ne me serviraient à rien ici.
L’on m’avait donc installé dans une de ces grandes suites, réservées aux hautes familles. Pas de dortoirs communs dans cet institut. Lorsque l’on avait les moyens d’assurer à ses enfants une scolarité à Valandryss, on s’attendait à ce que ces derniers aient tout le confort qu’ils jugeaient nécessaire. Je partageais donc un petit salon avec une autre jeune femme, mais la chambre et la salle de bain étaient grandes et privatives, ces dernières étant assignées pour les cinq années minimales que duraient nos études, elles étaient décorées selon nos goûts. Je n’étais pas du genre exubérant, je m’étais contentée d’une décoration dans des tonalités sobres, comme le taupe ou le rose poudré. Le lit pouvait accueillir une équipe de rugbymen au complet, sur le bureau, on pouvait apercevoir les livres et tout le nécessaire pour les cours, l’uniforme de l’école était étendu sur le devant de la penderie, les autres vêtements déjà soigneusement rangés, y compris des robes de soirée et mes propres vêtements civils. La salle de bain regorgeait à présent de produits en tout genre. Bref, je n’étais pas prête de manquer de quoi que cela soit, sauf, peut-être de ma vie.
Comment expliquer à ses amis qu’ils n’auraient plus jamais de nouvelles de moi à partir du moment où les études supérieures commenceraient ? Je n’en avais pas eu le cœur, j’avais simplement disparu de la circulation, supprimant tous mes comptes sur les réseaux sociaux un à un, changeant de numéro de téléphone, puis j’ai rejoint Irillium, comme mon frère, mes parents, grands-parents, arrière-grands-parents et toutes les autres générations avant la mienne. Pourquoi ? Parce que telle était notre mission, nous étions les Gardiens des Âmes et une telle charge nécessitait une formation digne de ce nom. D’autant plus, lorsque notre mission nous octroyait des droits que peu de mages possédaient, même au sein des familles royales.
Dieux de la mort, divinités psychopompes, Shinigami, Ankous, Valkyries, Chamanes, Faucheurs, peu importait le nom que l’on nous donnait, ils étaient toujours synonymes de mort, d’âmes, de souffrance et de soulagement. Nous étions les collecteurs, les éradicateurs, célèbre caste de guerriers, la personnification même de la mort et un tel pouvoir avait tendance à effrayer le commun des mortels. Même les Hauts Mages avaient peur de nous, c’était d’ailleurs pour cela qu’ils nous honoraient de la sorte. Soit proche de tes amis et encore plus de tes ennemis, disait l’adage. Ils n’avaient pas idée à quel point cela pouvait être vrai. Nous ne répondions aux ordres de personnes, nous ne vivions que pour notre charge. Enfin… Jusqu’à ce que mon père choisisse d’épouser une Haute Mage des Eaux, une Nymphe de surcroît, donnant à ses enfants la double tâche de satisfaire, non seulement les Gardiens, mais aussi la famille Royale.
Les Gardiens étaient le lien entre les mondes, une entité nécessaire au bon déroulement de la vie en communauté, d’où que l’on puisse venir, la mort finissait toujours par frapper à notre porte. Mais les Sept Mondes avaient leurs lois et leur organisation, propre. Il y avait Prior, le monde sans magie où la technologie avait pris sa place, là d’où vient toute ma famille. Les Kincaid, étaient les faucheurs les plus importants sur Terre, une famille large, ayant tout pouvoir sur la mort. Il y avait Lumiae, la république où se trouvait Irillium et son prestigieux internat, maîtresse de l’Esprit et Freior sa jumelle maléfique, république des renégats, des mercenaires, chasseurs et tueurs en tout genre, gardienne de l’Ombre. Toute personne ayant un minimum de bon sens s’en tenait à l’écart pour des raisons évidentes. Puis, nous avions les Quatre Royaumes : Les Eaux, les Feux, les Terres et les Airs. Pas besoin d’être doté d’une intelligence folle pour comprendre ce qu’il en était.
Je reposai mon porte-plume et fermai mon carnet. Rien à faire, je ne parvenais pas à me vider la tête, à peu près tout ce que je voyais me ramenait à mon grand-père, aux choix que j’allais devoir faire et à cet institut de malheur. Dès demain, les élèves allaient affluer, venant de tous les Mondes.
Seule rescapée de Prior, j’étais l’une des rares à ce pas avoir pu exercer ma magie, alors que les autres étaient déjà tous rompus à l’exercice. Je partais avec un handicap majeur en plus d’une étiquette de Croquemort, je n’avais pas le talent de mon frère pour se faire des amis et nullement l’envie de frayer avec la Haute Société. Et pour couronner le tout, mon manque de connaissances pratiques sur Lumiae ou les Royaumes allait forcément me porter préjudice, malgré ma mise à niveau express effectuée durant l’été.
Je sentais déjà la migraine poindre le bout de son nez.
*
« Bienvenue à tous, à l’Institut d’Études Magiques Valandryss. Je suis très fière d’accueillir, une fois encore, l’élite de la classe magique dans ce prestigieux Institut. Comme beaucoup d’autres avant vous, vous aurez la chance d’étudier dans ce cadre privilégié avec les meilleurs professeurs afin de faire de vous, les mages de demain. »
Madame Valandryss, directrice de l’Institut comme tous les membres de sa famille avant elle, était jeune et séduisante, blonde, son corps aux formes plus qu’appétissantes moulé dans un tailleur couleur crème, elle exsudait la douceur et la gentillesse. Je n’étais pas dupe, l’on ne se hissait pas aussi haut dans la hiérarchie sans être doté d’un certain pouvoir. Haute Mage des Terres, sa famille comme beaucoup d’autres avaient fui le fanatisme qui rongeait les Royaumes, la pureté de la race et du pouvoir était un sujet particulièrement sensible. Les familles Royales non contentes de leur pourvoir, souhaitait le garder pur, aucun métissage ne saurait être accepté dans leurs lignages, la moindre altération se révélant honteuse. Or, de nos jours, peu de mages se souciaient encore de ces règles qu’ils jugeaient archaïques. Comme beaucoup d’autres, les Valandryss s’étaient donc installés à Irillium et avaient fondé le plus grand institut d’études magiques, surpassant même ceux des Royaumes.
Mes connaissances n’étaient pas aussi poussées, mais mon frère s’était amusé à me préparer un carnet qu’il avait intitulé « Guide de survie à Valandryss », dans lequel toutes les petites subtilités de la vie de l’école étaient indiquées : y compris les meilleurs partis et meilleures soirées étudiantes. Ce garçon était incorrigible.
« Cette année, vous suivrez un cursus général d’études magiques avec pour but de vous familiariser avec les différentes fonctions que vous pourriez occuper. Vous pourrez ainsi choisir les modules d’options qui vous seront proposés en fonction de vos aptitudes. Les emplois du temps vous seront fournis lors d’un entretien personnel qui aura lieu plus tard dans la journée, une fois que vous aurez, au préalable, effectué les tests d’aptitudes. »
D’après Thad, les tests d’aptitudes ne présentaient pas grande difficulté. Un questionnaire de culture générale, une épreuve de magie et des épreuves physiques. J’avais révisé tout l’été pour être au point pour les épreuves écrites et mon sang de Valkyrie m’assurait un bon positionnement dans les tests physiques. La magie serait plus compliquée. Tester un dieu de la mort sur ses capacités à faucher les âmes était mal venu, mais rien ne les empêchaient de vérifier mon contrôle des âmes, ma capacité d’exorcisme ou même mon chamanisme, quant à la magie des Eaux, mes talents en la matière étaient particulièrement faibles. Faire de la magie dans un monde qui en était dépourvu s’avérait assez compliqué.
« Ces tests mettront en avant vos mérites et vos faiblesses. Pour chacune d’entre elles, vous vous verrez assignés des cours de rattrapage avec des professeurs particuliers jusqu’à ce que ces derniers estiment que vous êtes à niveau. Les cours commenceront la semaine prochaine, à 8 h dans le grand amphithéâtre pour la répartition des groupes. Le reste des informations pratiques vous sont communiquées dans le guide qui vous a été remis au début de cette réunion. »
Plan de l’institut, résumé des cours, horaires de repas, manuels et matériels obligatoires, sorties, code vestimentaire, règlement intérieur et extérieur, tout y était soigneusement consigné.
« Enfin, nous avons aussi le grand honneur d’accueillir deux nouveaux professeurs d’exception cette année. Dans un premier temps, laissez-moi vous présenter Thaddeus Kincaid qui vous apprendra la base du contrôle spiritique ainsi que le combat rapproché et Kieran O’Callagan, il sera le professeur des mages ayant une affinité avec l’eau, il vous en enseignera le maniement et l’utilisation au combat. »
Autour de moi, la plupart des jeunes femmes tombèrent en pâmoison. Il y avait de bonnes raisons, les deux hommes se tenant devant nous étaient des spécimens appréciables. Thad était de taille moyenne, mais possédait une carrure large, ses cheveux bruns coupés courts bouclaient sur les pointes et ses yeux bleus étincelaient de malice. Mais c’était lorsque mon frère se mettait à sourire que son charme faisait son office, personne ne pouvait lui résister. Il était comme cela, en tant que descendant direct des légendaires Nymphes des Eaux, les fondatrices de la Dynastie, le charme faisait partie de ses attributs génériques, tout comme moi. Kieran O’Callagan paraissait bien moins à l’aise que mon frère face à tant d’attention, plus grand et plus carré que lui, ses cheveux cendrés étaient portés mi-longs comme la plupart des guerriers mages, ses yeux étaient si clairs qu’ils paraissaient translucides, il possédait des traits virils et affirmés, ceux d’un guerrier. J’avais entendu parler de lui, c’était le petit-fils du roi des Eaux, et il n’avait plus rien à prouver à personne, son nom suffisait à faire peur. Il devait avoir sensiblement le même âge que Thad, et vu comment ce dernier le charriait, il était même possible qu’ils soient amis.
Après quelques rappels d’usage, notamment concernant la tenue à adopter en public et les horaires du couvre-feu en semaine, nous fûmes congédiés afin de préparer nos tests d’entrée. Toute une tripotée d’élèves sortit dans une cohue générale, j’attendis patiemment de pouvoir m’éclipser en toute discrétion. J’avais une heure devant moi, j’espérais avoir l’occasion de me reposer et pourquoi pas, découvrir qui serait ma colocataire.
— Tiens, mais voilà le Moustique !
— Tiens, mais voilà un emmerdeur de première, répliquai-je sans me retourner.
— C’est comme ça que tu parles à tes professeurs ?
— Non, mais à mon frère, oui. Tu as l’intention d’abuser de ta position pour me mener la vie dure ?
— Tu ne devrais pas me tenter comme ça, petite-sœur.
Thad me serra dans ses bras et je profitai de son étreinte rassurante. Oui, j’étais totalement perdue et il le savait, on en avait suffisamment eu loisir d’en parler tous les deux lorsqu’il avait dû me convaincre de ne pas m’enfuir après la mort de notre grand-père. Son assassinat avait été si soudain, le besoin de vengeance si intense. À ce moment, j’étais prête à me lancer sur la piste du tueur. Aucun des êtres vivants sur Prior, si monstrueux eurent-ils été, n’aurait pu venir à bout d’un Gardien, même sur le déclin. Il s’agissait forcément d’un mage. Et qu’un membre de ma race imagine pouvoir tuer impunément un Kincaid me rendait dingue. C’était aussi l’une des raisons pour lesquels notre départ avait été si soudain après l’enterrement, nous mettre à l’abri avait été la priorité de mon père, avant, — j’imagine —, de partir à la recherche de celui qui l’avait privé du sien.
— Ça va aller, ma puce, je te le promets, murmura-t-il, en me caressant les cheveux. Tu passes à quelle heure ?
— Tu as intérêt d’avoir raison… Dans une heure.
— J’ai toujours raison. Au fait, je te présente Kieran, mon vieux, voici ma petite sœur, Bria.
Le mage s’inclina devant moi et je répondis de la même manière.
— Ne fais pas attention à ses airs guindés, ce mec est encore plus fêtard que moi.
— Ça, je doute que ce soit possible, fis-je en détaillant le guerrier.
De près, il était encore plus impressionnant que lorsqu’il était sur l’estrade. Je pouvais presque percevoir l’appel de l’Eau au travers de lui, comme une douce mélodie qui confortait ma propre magie. C’était étrange, jamais la magie de mon frère, pourtant similaire à la mienne n’avait réagi de cette manière. Kieran était puissant, extrêmement puissant.
— Il a bien fallu qu’il apprenne de quelqu’un, répondit-il le mage avec un petit sourire ironique.
Les deux hommes échangèrent des regards complices.
— Je retrouve des potes à l’Elémental, c’est un bar en centre-ville, rejoins-y moi quand aura terminé tes tests. Bon, je dois aller me préparer, j’ai du pain sur la planche avec toutes ces jolies demoiselles à tester en combat.
— Tu me désespères, Thad. Et ne t’attends pas à ce que je te ménage ! J’ai besoin de me défouler, cet endroit est déjà en train de me rendre dingue.
— Heureusement, ce n’est pas moi que te fait passer tes tests, Moustique. Allez, à toute !
Ils filèrent, mon frère vitupérant sur mon sale caractère et Kieran riant à côté de lui, balançant de temps à autre une pique sardonique. Je récupérai mon sac et pris la direction de la sortie en me plongeant dans le Guide de Survie à Valandryss. J’allais en avoir besoin.
J’étais tellement concentrée sur ma lecture que je ne remarquai pas l’élève plantée devant moi et lui fonçai allègrement dedans.
— Je te trouve bien familière avec les professeurs pour une petite nouvelle, cingla une voix féminine haute perchée. Tu n’es personne ici, alors un conseil, fait profil bas. Il serait dommage qu’il t’arrive quelque chose à ton premier jour de cours.
Je levai la tête de ma lecture et défigurai quelques instants à reine des Abeilles qui me faisait face. Blonde, yeux noisette, plantureuse, elle avait tout de la pimbêche des séries pour adolescents, celle qui était généralement capitaine des pompom girl avec toute sa clique à ses pieds. Encore une qui pensait m’impressionner avec ce genre de menace. Ben voyons.
N’ayant pas la moindre envie de lui faire le plaisir de répondre, je me contentai donc de la contourner et de poursuivre ma lecture. Je n’avais en aucun cas à me justifier, de toute manière mon nom de famille ne saurait bientôt plus un secret pour personne : les divinités, même mineures, passaient difficilement inaperçues, surtout lorsque l’on a Thaddeus comme professeur. Dans sa grande sagesse, ma mère m’avait appris que l’ignorance était le plus grand des mépris, une leçon que j’avais très rapidement assimilée.
— Je te parle, fit-elle, en m’attrapant le bras. Si tu crois pouvoir débarquer de je ne sais où et faire copain-copain avec les deux profs les plus intéressants de l’Institut avec ta tête de petite fille sage, tu te trompes. Ma famille est assez bien placée pour que je puisse prétendre à épouser un Kincaid ou un O’Callagan. Pas la peine d’essayer de te mettre en avant, tu n’as aucune chance.
Je dégageai mon bras d’un geste rapide qui sembla la surprendre et éclatai de rire. Si la course au mariage commençait dès maintenant, les prochaines semaines risquaient d’être particulièrement intéressantes.
— Et tu vas faire comment hum ? Tu vas les séduire tous les deux en même temps, et choisir celui que tu préfères ensuite ? Mauvaise idée. Laisse-moi te donner un conseil à mon tour : Thaddeus saura se satisfaire de toi, une nuit, peut-être deux, tu connaitras le plaisir que l’on ressent lorsque l’on couche avec le descendant des Nymphes et il t’oubliera, comme tant d’autres avant toi. Quant à Kieran, il ne risque pas de mettre sa réputation si durement gagnée en péril pour une élève de l’Institut et encore moins une première année et ce, peu importe son pédigrée familial. Voici donc mon conseil, trouve-toi des proies à ton niveau avant de tenter les gros poissons, fait toi la main, qui sait, peut-être qu’un jour ils te considéreront comme autre chose qu’une petite friandise.
La surprise lui fit écarquiller les yeux et j’en profitai pour partir. Je lui tournai le dos et pris les escaliers pour me rendre à ma suite. À peine arrivée et voilà que je me faisais déjà des amies. Cette année commençait bien.
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