Adrien Simon Fréderic Mehdi Bergen, 33 ans, célibataire, est un « temple de courtoisie », un homme aux contours lissés par une mère institutrice aimante mais sévère. Cet employé modèle laisse peu de place aux hasards dans sa vie, tant son quotidien est rythmé par des tâches répétitives et rassurantes : avaler rapidement son petit-déjeuner, saisir toujours de la même main sa mallette en cuir de vachette , sortir les poubelles sur le trottoir, puis prendre le bus 74 qui le mène jusqu’au bureau installé au 4ème étage de la société des Eaux de la Ville, la société AquaPlus. Il assure dans la journée quelques déplacements, comme le prévoit sa fonction d’agent de liaison au département relation client. Il passe ensuite ses soirées seul, sans amis, sans activité particulière, « se sentant plus spectateur qu’acteur de sa vie », comme le personnage immobile d’un tableau (…) « ignorant que l’on pouvait ajouter des couleurs à sa vie. » Ces couleurs, cette palette d’éclats de rire, c’est Louise, une cliente chez qui il sonne pour la prévenir d’une coupure d’eau dans la rue, qui les lui apporte généreusement, comme un cadeau sur un plateau.
A l’instant précis où Adrien accepte de prendre un café, sa vie va basculer. Louise, en effet, est une bourrasque ; un être fantasque, loufoque, excentrique; une femme unique, insaisissable et adorable. Louise est déjantée, bien barrée, très haut perchée. Louise est peintre, appelle son chien Le-Chat et donne des prénoms aux choses. Louise est nulle en cuisine et dessine des plats sur les murs à défaut de se mettre aux fourneaux. Louise choisit au matin venu une voyelle par laquelle devront se terminer toutes les phrases de la journée. Louise mélange chaque jour son dentifrice à un colorant différent dont Adrien doit deviner la couleur. Louise est presque folle mais Adrien adore ça et ne la quittera plus. Adrien le sage, Adrien le fade, se sent comblé, shooté à la dinguerie de cette femme. Ces deux contraires qui voient leurs vies bouleversées par leur rencontre deviennent complémentaires. Adrien s’abreuve de l’imagination de Louise, et celle-ci trouve en lui l’ordre et la sagesse dont elle a besoin.
Au bout de dix ans de vie commune, une maladie va toutefois venir ternir ce tableau idyllique : Louise a un cancer des poumons. A l’annonce du verdict, Louise, fidèle à elle-même, ne se démonte pas, elle prend le « truc » à la force de son sens de l’humour et de l’absurde pour lutter contre ses «Honey Pops », ses cellules atteintes. Même dans une période aussi difficile, sa verve magique transforme les moments lourds en bulles de savon légères et colorées. Et c’est épaulé d’Adrien, qu’elle luttera contre la maladie. Plus elle faiblira, et plus il devra puiser dans sa propre imagination pour la faire rire et rêver.
Au même moment que l’apparition du cancer de Louise, a lieu une restructuration dans l’entreprise. Adrien, du jour au lendemain, se trouve alors assigné à travailler dans un nouveau bureau qui se trouve être une niche sombre, sans téléphone, sans ordinateur : un placard qui ne dit pas son nom. Après quelques absences non remarquées, il décide purement et simplement d’arrêter de travailler pour s’occuper de Louise, lui faisant croire qu’il est en congé sabbatique jusqu’à sa guérison.
En parallèle à l’histoire d’amour qui nous est contée, on suit le procès de cet abandon de poste, où un Adrien un peu lunaire répond aux questions du juge Albert Vaxe pour avoir perçu un salaire pendant un an, sans ne s’être jamais présenté à son bureau.
La lecture de ce roman a été un moment magique, tout en grâce, poésie et légereté. Tout comme son personnage féminin, l’auteur maquille, elle aussi, de toutes les couleurs la réalité pour décrire l’amour et la maladie, pour dépeindre les absurdités du monde du travail et celui de l’hôpital. J’ai adoré l’écriture vive, inventive, les jeux de mots et les dialogues cocasses.
Et si ce roman en évoque d’autres (L’écume des jours ou En attendant Bojangles) , il n’en reste pas moins que cette histoire d’amour m’a profondément touchée car Louise et Adrien sont uniques. De l’un et de l’autre, on en apprend un peu plus au cours du récit par les blessures et les fêlures de leur enfance. Le mensonge des adultes et la chute d’une mère ont transformé Louise à 7 ans en «ouvrière qualifiée de l’imaginaire » ; un père enfui et une mère coupant tout différend par des « je t’aime mon chéri » ont transformé Adrien en « observateur atone, mal assuré.»
Les déraisons est un roman coup de coeur, pétillant et insolite qui nous invite aussi à laisser jaillir ce petit grain de folie que l’on porte tous en nous mais que notre éducation et que notre peur du regard des autres retiennent en otage. Peut-être suffirait-il alors d’une rencontre ou d’un événement pour que « la Louise » qui sommeille en nous se libère soudain.
Je finirai par une citation du livre qui m’a beaucoup fait sourire (connaissant Adrien) et qui donne une idée de la contagion de la douce folie de Louise sur son mari : «A d’étranges égards, on aurait dit les Alpes, mais sans altitude, sans sapin, sans neige, ni rocher. N’importe quoi ! se dit-il. Je pense comme Louise.»
Description
- Parution : 10/01/2018
- Prix : environ 18€
- Format : 140 x 200
- Environ 220 pages
- ISBN : 979-10-329-0039-0
Odile d’Oultremont est scénariste et réalisatrice. Les Déraisons est son premier roman.