Mais en enquêtant sur elle (Dora), l'enquêteur s'auto-analyse et analyse son passé, et on bascule du côté mâle de l'histoire (la petite et la grande). On découvre à quel point le climat de l'époque nauséabond et malsain a rendu certains hommes pitoyables : c'est vrai pour le père qui préfère embrigader son jeune fils pour une vulgaire dispute de pension, alors que lui-même a connu les tourments de la garde à vue.
Et puis, il y a la langue de Monsieur Modiano : simple, propre, précise, sans faute. Et il y a ce dernier paragraphe remarquable, exceptionnel, dédié à l'héroïne absente, qui lui laisse la place qu'elle mérite, dit le tout et nous laisse sans voix :
page 735 de la collection Quarto Gallimard « J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, l'Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler.»
Voilà, Dora Bruder : un livre à découvrir tout simplement, une ode à la mémoire. Éditions Gallimard Collection Quarto Gallimard (merci à mon ami C. de m'avoir offert ce Quarto) Du même auteur : Rue des boutiques obscures
Souvenirs dormants