La reprise du procès de Julien Coupat, le 13 mars 2018, fait à nouveau parler de l’inénarrable affaire Tarnac, et donne une publicité opportune au dernier roman de Mazarine Pingeot (mais si, rappelez-vous, la fameuse fille cachée…). Magda, paru il y a deux mois, raconte en effet les affres d’un procès en « terrorisme » visant deux jeunes anarchistes d’une collectivité agricole en Lozère — cadre idéal pour un polar. Toute ressemblance avec des faits réels…
On peut admirer, chez Pingeot, une fluidité narrative toute classique, une maîtrise du rythme qui nous garde en haleine deux cent cinquante pages pour retourner radicalement notre point de vue dans les quarante dernières — comme chez Cécile Coulon, mais sans le lyrisme rustique qui fait le charme des romans de Coulon. Magda est un roman normal comme il y a des présidents normaux, un page-turner de bonne tenue. Le propos général est un stéréotype de la littérature conservatrice d’aujourd’hui (qu’on pense à Alice Ferney) : l’on ne ferait que répéter inconsciemment la vie de nos ancêtres. La mère de l’inculpée a, elle-même, commis un attentat anarchiste dans sa jeunesse. Tout s’explique par cette chute décevante, et la révolte n’est jamais que le fruit d’une mauvaise éducation. On pardonnera peut-être à Pingeot ces stupides axiomes : après tout, ses romans sont prenants. Même en tant que romancière, elle déçoit pourtant dans le détail. Eh ! quoi, elle aurait pu se renseigner, on voit bien qu’elle n’a jamais vu de près une femme d’extrême-gauche : quelle anarchiste écouterait, pour se détendre (p. 194), « radio classique », possédée Bernard Arnault, quatrième fortune mondiale ?
À l’épaisseur de Magda (312 pages) s’oppose la légèreté de Tomates, de Nathalie Quintane (144 pages, 2010). Mais Tomates se lit lentement et avec soin, beaucoup plus de soin qu’on n’en mettra jamais à lire Mazarine Pingeot. D’abord, sur l’affaire Tarnac, Quintane a beaucoup à dire, comme elle l’a démontré, il y a deux jours, dans Le Monde. Elle y voit la preuve que des révoltes littéraires et politiques sont solidaires. C’est un exploit de désobéissance littéraire qui ouvre ce livre puisqu’elle rapporte, pages 13 à 16, la recette des purins d’ortie biologiques, recette qu’il est interdit de vendre ou de diffuser en France depuis une sale loi de 1988. On lira aussi dans cet essai-poème quelques réflexions sur les émeutes de banlieue, que condamne un vieil existentialiste de ses amis avec qui elle tente un dialogue de sourds, ou encore un éloge argumenté de Blanqui, qu’on lit trop rarement, et qui est (ridiculement) le nom du chien dans Magda, de Pingeot.
« Pourquoi l’extrême-gauche ne lit plus de romans ? », se demande Nathalie Quintane dans Les Années 10. Mazarine Pingeot est certainement une partie de la réponse. Le roman, conçu comme tour de passe-passe narratif, dont on attend qu’il nous surprenne seulement dans la mesure où cette surprise même ne nous surprend pas, est un genre mort. Même avec le plus élégant des styles (je pense au regrettable roman de Karine Henry, La Danse sorcière, 2017) , il est d’avance raté si son but n’est que de démontrer sa virtuosité à seulement varier sur un thème imposé. Autrement dit, et pour donner à Tomates le dernier mot : « notre littérature a glissé (non point opté mais insensiblement glissé) vers une restauration, à tout le moins le rôle d’un conservatoire de la langue, tant le zèle et ses excès ravagent une société par tous les bouts en la forçant au chagrin commémoratif » (p. 42).
D’autres avis à propos de Tomates, par des camarades de la blogosphère, sont disponibles sur Interlignes et Le Journal de Jane. Diacritik propose une intéressante interview de l’autrice. Allez voir la très surprenante chronique de Bouche à Oreilles concernant Que faire des classes moyennes, de la même Quintane : elle vaut le coup d’œil.
Mazarine Pingeot, Magda, Julliard, 2018, 312 p., 20€. Nathalie Quintane, Tomates, « Poésie », Points, 2014 [P.O.L., 2010], 144 p., 6,90€.