Encore et toujours une histoire de famille (promis, après ce billet, on fait une [courte] pause), au menu de cette journée. Un roman qui nous plonge dans les affres d'une famille de la bourgeoisie biarrote frappée par un drame terrible. Un drame qui va en fait être le détonateur de cette histoire, faisant exploser cette famille en mille morceaux. Lorsqu'on entame "les Garçons de l'été", de Rebecca Lighieri (en grand format chez P.O.L. et disponible dans quelques jours en poche chez Folio), on s'attend à découvrir les répercussions de l'accident initial, mais certaines pas aux révélations qu'il va entraîner et à la descente aux enfers de ces gens bien comme il faut... Et lorsque l'on se dit que Claude Chabrol aurait adoré ce livre et aurait pu en faire un film bien noir et sarcastique, Rebecca Lighieri remet un coup d'accélérateur pour un final grand-guignolesque du plus bel effet...
C'est l'histoire de la famille parfaite.
Jérôme, le père, est pharmacien à Biarritz, une carrière qui lui permet de vivre sur un train de vie prospère avec sa femme et ses enfants. L'épouse, Mylène, que tout le monde appelle Mi, même ses enfants, aurait pu suivre la même carrière, travailler à l'officine avec son époux. Finalement, elle a choisi une autre voie : élever ses enfants, être une mère au foyer.
Une mère qui a donné naissance à trois beaux enfants, qui font sa fierté. Il y a Thadée, l'aîné, qui fait de brillantes études, qui est beau comme un dieu, qui est un sportif émérite, un jeune homme qui est en couple avec une demoiselle aussi charmante que lui, Jasmine, un physique de top model et l'ambition de devenir médecin, comme son amant.
Il y a Zachée, le cadet d'une année à peine, qui semble sorti exactement du même moule que son aîné. Tout aussi bon élève, tout aussi beau, tout aussi doué en tout, semble-t-il. Peut-être un peu plus introverti que Thadée, mais c'est normal, il est le second, il doit se faire une place dans l'ombre de ce frère irréprochable.
Et puis, il y a Ysé, la petite dernière, née presque une décennie après les deux garçons. Une enfant discrète, secrète, un peu spéciale, quand même, artiste dans l'âme, il faut tout le temps qu'elle dessine, et bien, en plus, même si ses sujets d'inspiration sont un peu... bizarres. Une enfant passionnées par les insectes et les reptiles, entre autres, lubies pré-adolescentes qui lui passeront. Forcément.
Après des concours ratés, Thadée a décidé de prendre une année sabbatique pour souffler. Direction la Réunion, où il va pouvoir s'adonner à sa grande passion : le surf. Quelques mois plus tard, alors qu'il songe à rentrer plus tôt que prévu en métropole, son frère le rejoint avec sa petite amie, Cindy. eux aussi sont des surfeurs plutôt doués et ils ont envie de profiter des spots renommés de l'île.
C'est à cette occasion qu'un drame va frapper cette famille idéale, sans histoire, au bonheur sans nuage. Lors d'une sortie, alors qu'il cherchait à prendre la vague, Thadée a été attaqué par un requin. Sauvé in extremis, il est grièvement blessé à une jambe. A l'hôpital, à Saint-Denis, le chirurgien qui le prend en charge fait son possible, mais ne parvient pas à sauver le membre, bien trop abîmé.
Pour Thadée, c'est sa vie entière qui s'écroule. Il aurait préféré mourir que de se retrouver ainsi diminué. Et il le fait savoir autour de lui, tandis que ses proches et les médecins, que tout le monde, en fait, essaye de le rassurer, de lui dire qu'on peut avoir une vie la plus normale possible avec les prothèses d'aujourd'hui.
Mais, le jeune homme s'enfonce dans la dépression et les idées noires. Et, petit à petit, les masques tombent, comme si cette blessure avait déchiré le costume sous lequel il se cachait. Le garçon parfait, l'aîné idéal disparaît, laissant la place à un tout autre personnage, bien différent, mû par une colère sourde et vindicative...
Dans sa chute, Thadée va entraîner toute sa famille, pas du tout préparée à vivre ce genre d'événement tragique. Tous les repères s'effondrent simultanément et les belles apparences s'effritent. Les vilains petits secrets, les sales petits mensonges sont subitement révélés au grand jour, la cohésion vole en éclats et la famille parfaite n'en est brusquement plus du tout une.
La descente aux enfers a commencé. Et le pire est encore à venir...
J'évoquais Claude Chabrol en préambule, c'est vraiment à lui que j'ai pensé pendant une grande partie du livre, devant cette famille idéale en apparence, trop pour que cela ne cache rien, appartenant à une bourgeoisie de province où le statut prime sur tout le reste, soutenue par une hypocrisie qui est bien souvent une convention sociale parmi d'autres...
Très tôt, d'ailleurs, le vernis craque : Jérôme et sa double vie, Mylène et son caractère irascible, sous lequel affleure vite un racisme que n'explique pas le choc subi à l'annonce de l'accident de son fils aîné. Sa visite à la Réunion brise d'emblée l'image de la mère calme et bienveillante pour lui donner des airs de harpie.
D'ailleurs, c'est elle qui est au coeur de cette histoire, en raison de la fascination qu'elle a pour ses deux garçons. Elle les idéalise, les idolâtre, les a placés sur un piédestal : ils sont beaux, intelligents, sportifs, séduisants, sans défaut... Parfaits, on y revient. Alors, quand le requin frappe Thadée, elle explose, comme toute mère le ferait, sans doute, mais cela ne va qu'augmenter son aveuglement.
Je ne vais pas trop entrer dans le détail, car "les Garçons de l'été" est un roman qui repose aussi sur la série de révélations que l'on découvre au fil des chapitres. Mais, il est difficile, tout de même, de ne pas dire un mot de la relation entre les deux frères, si proches, si unis, s'entraînant l'un l'autre dans une saine émulation qui touche tous les domaines de leur existence.
Encore un aspect de ce roman pour lequel il faut se méfier des apparences. Là encore, l'image fabriquée (consciemment ou non) par Mylène, soutenue de bon coeur par Jérôme, prime sur une réalité bien plus contrastée. Entre émulation et concurrence, il n'y a qu'un pas, mais la différence est énorme. Tout comme entre admiration et jalousie...
Rebecca Lighieri joue les habiles marionnettistes pour amener ses personnages à déchirer la toile originale représentant la famille parfaite et faire apparaître, tel le visage de Dorian Gray, une réalité nettement moins belle, nettement moins glorieuse. Et dans ce but, elle opte pour une narration chorale qui s'avère particulièrement efficace.
En donnant la parole aux différents acteurs, les deux frères en particulier, mais aussi Mylène et Jérôme, elle permet de faire apparaître des points de vue très différents, d'évoquer des anecdotes ou des moments qui appartiennent à la mémoire familiale, mais qu'on a quelquefois mis soigneusement de côté, de porter des jugements différents les uns sur les autres.
La parole se libère, et ce sont les autres membres de la famille qui dressent les portraits des uns et des autres, sans forcément se rendre compte qu'il esquissent en même temps leur autoportrait, bien loin des photos si sages qu'on place sur la cheminée ou de l'image que l'on renvoie à la société, immaculée, bien policée.
Tous se révèlent, dans leurs petits travers, mais aussi sous des jours beaucoup plus sombres pour certains, à commencer par Thadée. Stop, n'allons pas plus loin, la chronique chabrolienne de la bonne bourgeoisie biarrote prend alors un tour différent, moins sournois, plus violent, et d'autres personnages vont alors entrer dans la danse.
Cindy, l'amie de Zachée, et Ysé, la benjamine de la famille, toutes les deux très en retrait jusque-là, vont prendre la main. D'elles, on a d'abord une image très particulière, à travers le prisme des frères et des parents. Elles n'ont pas droit à la brosse à reluire, mais plutôt au gant de crin, et leur portrait en fait des personnages qui ne peuvent se fondre dans cette famille idéale. Elles ne peuvent que détonner.
Toutes deux, elles vont s'imposer dans cette histoire qui tourne au vinaigre (et du costaud, pas du balsamique), s'y inventer un rôle alors qu'on a tout fait, jusque-là, pour les laisser en dehors, voire carrément les écarter. Cette histoire, c'est aussi la leur et elles vont chacune y laisser une empreinte indélébile et très singulière.
"Les Garçons de l'été" n'est pas un thriller façon "Point Break" ou dans la lignée des romans de Kem Nunn. La surf et la culture qui l'entoure tiennent une place importante dans ce roman, c'est vrai, car c'est bien ce sport qui va être au coeur des rebondissements les plus importants (à commencer par son point de départ).
Il permet en bien beau voyage, de la côte atlantique, en France, mais aussi au Portugal, à Nazaré, où, dit-on, on voit les plus hautes vagues au monde, jusqu'à l'île de la Réunion. De plages en spots pour surfeurs chevronnés, on découvre de magnifiques paysages et le surf, ses codes, son jargon, son mode de vie, parfois complètement opposés à celui de la famille, sont un outil de rébellion soft, une manière de s'affirmer.
Au fil des chapitres et des événements qui se produisent, alors que la famille n'en finit plus de se disloquer, que les parents semblent perdre de plus en plus de leur substance, de leur assurance, on se dit que tout cela ne peut que mal se terminer. Que seul un nouveau drame pourra mettre un terme à cet engrenage.
On penche vers quelque chose de très noir, de terrible, pourquoi pas voir triompher le mal dans une orgie de violence qui vienne en finir avec cette famille qui n'est qu'un mensonge. A moins que la vengeance ne se glisse dans l'intrigue, ce bon vieux thème littéraire, si rebattu et pourtant propice aux histoires qui se finissent mal en général (enfin, tout dépend du point de vue, remarquez)...
Mais, Rebecca Lighierie n'a pas eu envie d'entrer dans ce jeu-là. Ou plus exactement, si, elle a bien rassembler tous ces ingrédients, mais a choisi de les cuisiner de manière bien peu traditionnelle. Soudainement, ce livre, entre roman noir, chronique de la bourgeoisie ordinaire et des haines quotidiennes, bascule dans tout autre chose, prenant même une dimension quasiment irrationnelle.
J'ai vu passer une critique qui faisait référence à Stephen King, et c'est vrai qu'on y pense un peu, comme si soudain, Biarritz devenait un Derry basque, avec des monstres qui se cachent dans chaque recoin, dans chaque ombre... La romancière joue avec les codes du fantastique et de l'horreur, mais là encore, elle prend un peu de recul, elle fait un pas de côté.
Son final prend alors des allures de spectacle grand-guignolesque, un délire qui peut surprendre, dérouter même, mais qui, pour ce qui me concerne, m'a énormément amusé, en particulier par le côté complètement absurde qui s'en dégage et fait des personnages, que l'on a connu si lisses, si rangés, des freaks ayant définitivement perdu tout contrôle, toute raison.
Oui, j'ai ri, j'ai un peu honte de l'avouer, car ce n'est guère charitable, mais j'ai ri, et de bon coeur, en plus. Brusquement, la peinture, certes acide, de cette famille bien tranquille passe d'un impressionnisme de bon aloi à une version digne d'un tableau de bacon, tout en ténèbres et en sang, dans un chaos qui semble s'emballer et ne plus vouloir cesser.
Rebecca Lighieri (références à Daphné du Maurier et Dante ? Un mélange qui pourrait coller assez bien aux "Garçons de l'été") est un pseudonyme utilisé pour la deuxième fois par Emmanuelle Bayack-Tam, dont les romans sont également édités par P.O.L. Ce serait amusant, d'ailleurs, de savoir pourquoi cette romancière ressent le besoin de signer des livres sous un autre nom.
Peut-être parce qu'elle se permet ainsi de casser son image littéraire, de se créer un double (comme les personnages du roman, d'ailleurs) en offrant des romans se jouant du politiquement correct, usant d'un certain cynisme, jouant avec les codes des mauvais genres, polar, fantastique et horreur en tête. En tout cas, c'est une lecture qui mène de surprise en surprise, difficile de savoir où l'on nous emmène.
Mais, j'ai trouvé intéressante et assez amusante la mise en abyme qui se met en place : c'est comme si toute la famille à son tour était attaquée par un requin voulant la déchiqueter, arrachant un membre, laissant ce corps social se vider petit à petit de sa substance jusqu'à perdre son apparence humaine et devenir un cadavre social.
"Les Garçons de l'été" (référence à un poème de Dylan Thomas cité en exergue et qui plante bien le décor de ce qui va suivre) est une charge féroce, une satire aiguisée d'un certain milieu qui a couvé en son sein une vipère. Il serait intéressant de proposer une histoire alternative de cette famille, où le requin aurait passé son chemin et Thadée aurait gardé sa jambe. Mais la bombe était amorcée, quoi qu'il arrive...
Un gentil jeu de massacre pour exorciser les tourments des carcans familiaux trop serrés et de l'hypocrisie des apparences. Les mensonges, ce que l'on invente pour les autres, ceux que l'on se fabrique soi-même, sont au coeur de ce livre, et la vérité est brutale, violente, même. Le brillant des photos s'effacera alors pour laisser la place aux "vraies" personnes...
Tellement moins parfaites qu'à l'origine...
C'est l'histoire de la famille parfaite.
Jérôme, le père, est pharmacien à Biarritz, une carrière qui lui permet de vivre sur un train de vie prospère avec sa femme et ses enfants. L'épouse, Mylène, que tout le monde appelle Mi, même ses enfants, aurait pu suivre la même carrière, travailler à l'officine avec son époux. Finalement, elle a choisi une autre voie : élever ses enfants, être une mère au foyer.
Une mère qui a donné naissance à trois beaux enfants, qui font sa fierté. Il y a Thadée, l'aîné, qui fait de brillantes études, qui est beau comme un dieu, qui est un sportif émérite, un jeune homme qui est en couple avec une demoiselle aussi charmante que lui, Jasmine, un physique de top model et l'ambition de devenir médecin, comme son amant.
Il y a Zachée, le cadet d'une année à peine, qui semble sorti exactement du même moule que son aîné. Tout aussi bon élève, tout aussi beau, tout aussi doué en tout, semble-t-il. Peut-être un peu plus introverti que Thadée, mais c'est normal, il est le second, il doit se faire une place dans l'ombre de ce frère irréprochable.
Et puis, il y a Ysé, la petite dernière, née presque une décennie après les deux garçons. Une enfant discrète, secrète, un peu spéciale, quand même, artiste dans l'âme, il faut tout le temps qu'elle dessine, et bien, en plus, même si ses sujets d'inspiration sont un peu... bizarres. Une enfant passionnées par les insectes et les reptiles, entre autres, lubies pré-adolescentes qui lui passeront. Forcément.
Après des concours ratés, Thadée a décidé de prendre une année sabbatique pour souffler. Direction la Réunion, où il va pouvoir s'adonner à sa grande passion : le surf. Quelques mois plus tard, alors qu'il songe à rentrer plus tôt que prévu en métropole, son frère le rejoint avec sa petite amie, Cindy. eux aussi sont des surfeurs plutôt doués et ils ont envie de profiter des spots renommés de l'île.
C'est à cette occasion qu'un drame va frapper cette famille idéale, sans histoire, au bonheur sans nuage. Lors d'une sortie, alors qu'il cherchait à prendre la vague, Thadée a été attaqué par un requin. Sauvé in extremis, il est grièvement blessé à une jambe. A l'hôpital, à Saint-Denis, le chirurgien qui le prend en charge fait son possible, mais ne parvient pas à sauver le membre, bien trop abîmé.
Pour Thadée, c'est sa vie entière qui s'écroule. Il aurait préféré mourir que de se retrouver ainsi diminué. Et il le fait savoir autour de lui, tandis que ses proches et les médecins, que tout le monde, en fait, essaye de le rassurer, de lui dire qu'on peut avoir une vie la plus normale possible avec les prothèses d'aujourd'hui.
Mais, le jeune homme s'enfonce dans la dépression et les idées noires. Et, petit à petit, les masques tombent, comme si cette blessure avait déchiré le costume sous lequel il se cachait. Le garçon parfait, l'aîné idéal disparaît, laissant la place à un tout autre personnage, bien différent, mû par une colère sourde et vindicative...
Dans sa chute, Thadée va entraîner toute sa famille, pas du tout préparée à vivre ce genre d'événement tragique. Tous les repères s'effondrent simultanément et les belles apparences s'effritent. Les vilains petits secrets, les sales petits mensonges sont subitement révélés au grand jour, la cohésion vole en éclats et la famille parfaite n'en est brusquement plus du tout une.
La descente aux enfers a commencé. Et le pire est encore à venir...
J'évoquais Claude Chabrol en préambule, c'est vraiment à lui que j'ai pensé pendant une grande partie du livre, devant cette famille idéale en apparence, trop pour que cela ne cache rien, appartenant à une bourgeoisie de province où le statut prime sur tout le reste, soutenue par une hypocrisie qui est bien souvent une convention sociale parmi d'autres...
Très tôt, d'ailleurs, le vernis craque : Jérôme et sa double vie, Mylène et son caractère irascible, sous lequel affleure vite un racisme que n'explique pas le choc subi à l'annonce de l'accident de son fils aîné. Sa visite à la Réunion brise d'emblée l'image de la mère calme et bienveillante pour lui donner des airs de harpie.
D'ailleurs, c'est elle qui est au coeur de cette histoire, en raison de la fascination qu'elle a pour ses deux garçons. Elle les idéalise, les idolâtre, les a placés sur un piédestal : ils sont beaux, intelligents, sportifs, séduisants, sans défaut... Parfaits, on y revient. Alors, quand le requin frappe Thadée, elle explose, comme toute mère le ferait, sans doute, mais cela ne va qu'augmenter son aveuglement.
Je ne vais pas trop entrer dans le détail, car "les Garçons de l'été" est un roman qui repose aussi sur la série de révélations que l'on découvre au fil des chapitres. Mais, il est difficile, tout de même, de ne pas dire un mot de la relation entre les deux frères, si proches, si unis, s'entraînant l'un l'autre dans une saine émulation qui touche tous les domaines de leur existence.
Encore un aspect de ce roman pour lequel il faut se méfier des apparences. Là encore, l'image fabriquée (consciemment ou non) par Mylène, soutenue de bon coeur par Jérôme, prime sur une réalité bien plus contrastée. Entre émulation et concurrence, il n'y a qu'un pas, mais la différence est énorme. Tout comme entre admiration et jalousie...
Rebecca Lighieri joue les habiles marionnettistes pour amener ses personnages à déchirer la toile originale représentant la famille parfaite et faire apparaître, tel le visage de Dorian Gray, une réalité nettement moins belle, nettement moins glorieuse. Et dans ce but, elle opte pour une narration chorale qui s'avère particulièrement efficace.
En donnant la parole aux différents acteurs, les deux frères en particulier, mais aussi Mylène et Jérôme, elle permet de faire apparaître des points de vue très différents, d'évoquer des anecdotes ou des moments qui appartiennent à la mémoire familiale, mais qu'on a quelquefois mis soigneusement de côté, de porter des jugements différents les uns sur les autres.
La parole se libère, et ce sont les autres membres de la famille qui dressent les portraits des uns et des autres, sans forcément se rendre compte qu'il esquissent en même temps leur autoportrait, bien loin des photos si sages qu'on place sur la cheminée ou de l'image que l'on renvoie à la société, immaculée, bien policée.
Tous se révèlent, dans leurs petits travers, mais aussi sous des jours beaucoup plus sombres pour certains, à commencer par Thadée. Stop, n'allons pas plus loin, la chronique chabrolienne de la bonne bourgeoisie biarrote prend alors un tour différent, moins sournois, plus violent, et d'autres personnages vont alors entrer dans la danse.
Cindy, l'amie de Zachée, et Ysé, la benjamine de la famille, toutes les deux très en retrait jusque-là, vont prendre la main. D'elles, on a d'abord une image très particulière, à travers le prisme des frères et des parents. Elles n'ont pas droit à la brosse à reluire, mais plutôt au gant de crin, et leur portrait en fait des personnages qui ne peuvent se fondre dans cette famille idéale. Elles ne peuvent que détonner.
Toutes deux, elles vont s'imposer dans cette histoire qui tourne au vinaigre (et du costaud, pas du balsamique), s'y inventer un rôle alors qu'on a tout fait, jusque-là, pour les laisser en dehors, voire carrément les écarter. Cette histoire, c'est aussi la leur et elles vont chacune y laisser une empreinte indélébile et très singulière.
"Les Garçons de l'été" n'est pas un thriller façon "Point Break" ou dans la lignée des romans de Kem Nunn. La surf et la culture qui l'entoure tiennent une place importante dans ce roman, c'est vrai, car c'est bien ce sport qui va être au coeur des rebondissements les plus importants (à commencer par son point de départ).
Il permet en bien beau voyage, de la côte atlantique, en France, mais aussi au Portugal, à Nazaré, où, dit-on, on voit les plus hautes vagues au monde, jusqu'à l'île de la Réunion. De plages en spots pour surfeurs chevronnés, on découvre de magnifiques paysages et le surf, ses codes, son jargon, son mode de vie, parfois complètement opposés à celui de la famille, sont un outil de rébellion soft, une manière de s'affirmer.
Au fil des chapitres et des événements qui se produisent, alors que la famille n'en finit plus de se disloquer, que les parents semblent perdre de plus en plus de leur substance, de leur assurance, on se dit que tout cela ne peut que mal se terminer. Que seul un nouveau drame pourra mettre un terme à cet engrenage.
On penche vers quelque chose de très noir, de terrible, pourquoi pas voir triompher le mal dans une orgie de violence qui vienne en finir avec cette famille qui n'est qu'un mensonge. A moins que la vengeance ne se glisse dans l'intrigue, ce bon vieux thème littéraire, si rebattu et pourtant propice aux histoires qui se finissent mal en général (enfin, tout dépend du point de vue, remarquez)...
Mais, Rebecca Lighierie n'a pas eu envie d'entrer dans ce jeu-là. Ou plus exactement, si, elle a bien rassembler tous ces ingrédients, mais a choisi de les cuisiner de manière bien peu traditionnelle. Soudainement, ce livre, entre roman noir, chronique de la bourgeoisie ordinaire et des haines quotidiennes, bascule dans tout autre chose, prenant même une dimension quasiment irrationnelle.
J'ai vu passer une critique qui faisait référence à Stephen King, et c'est vrai qu'on y pense un peu, comme si soudain, Biarritz devenait un Derry basque, avec des monstres qui se cachent dans chaque recoin, dans chaque ombre... La romancière joue avec les codes du fantastique et de l'horreur, mais là encore, elle prend un peu de recul, elle fait un pas de côté.
Son final prend alors des allures de spectacle grand-guignolesque, un délire qui peut surprendre, dérouter même, mais qui, pour ce qui me concerne, m'a énormément amusé, en particulier par le côté complètement absurde qui s'en dégage et fait des personnages, que l'on a connu si lisses, si rangés, des freaks ayant définitivement perdu tout contrôle, toute raison.
Oui, j'ai ri, j'ai un peu honte de l'avouer, car ce n'est guère charitable, mais j'ai ri, et de bon coeur, en plus. Brusquement, la peinture, certes acide, de cette famille bien tranquille passe d'un impressionnisme de bon aloi à une version digne d'un tableau de bacon, tout en ténèbres et en sang, dans un chaos qui semble s'emballer et ne plus vouloir cesser.
Rebecca Lighieri (références à Daphné du Maurier et Dante ? Un mélange qui pourrait coller assez bien aux "Garçons de l'été") est un pseudonyme utilisé pour la deuxième fois par Emmanuelle Bayack-Tam, dont les romans sont également édités par P.O.L. Ce serait amusant, d'ailleurs, de savoir pourquoi cette romancière ressent le besoin de signer des livres sous un autre nom.
Peut-être parce qu'elle se permet ainsi de casser son image littéraire, de se créer un double (comme les personnages du roman, d'ailleurs) en offrant des romans se jouant du politiquement correct, usant d'un certain cynisme, jouant avec les codes des mauvais genres, polar, fantastique et horreur en tête. En tout cas, c'est une lecture qui mène de surprise en surprise, difficile de savoir où l'on nous emmène.
Mais, j'ai trouvé intéressante et assez amusante la mise en abyme qui se met en place : c'est comme si toute la famille à son tour était attaquée par un requin voulant la déchiqueter, arrachant un membre, laissant ce corps social se vider petit à petit de sa substance jusqu'à perdre son apparence humaine et devenir un cadavre social.
"Les Garçons de l'été" (référence à un poème de Dylan Thomas cité en exergue et qui plante bien le décor de ce qui va suivre) est une charge féroce, une satire aiguisée d'un certain milieu qui a couvé en son sein une vipère. Il serait intéressant de proposer une histoire alternative de cette famille, où le requin aurait passé son chemin et Thadée aurait gardé sa jambe. Mais la bombe était amorcée, quoi qu'il arrive...
Un gentil jeu de massacre pour exorciser les tourments des carcans familiaux trop serrés et de l'hypocrisie des apparences. Les mensonges, ce que l'on invente pour les autres, ceux que l'on se fabrique soi-même, sont au coeur de ce livre, et la vérité est brutale, violente, même. Le brillant des photos s'effacera alors pour laisser la place aux "vraies" personnes...
Tellement moins parfaites qu'à l'origine...