Porno Manifesto, d’Ovidie

Porno Manifesto, d’Ovidie Porno Manifesto, d’Ovidie

Porno Manifesto, dOvidie, Flammarion, 2002, 223 pages.

L’histoire

« Je suis une « travailleuse du sexe », comme diraient mes consœurs américaines. Et cela, beaucoup de journalistes qui ont écrit des articles sur moi ou m’ont invitée sur des plateaux de télévision semblent l’avoir oublié. Les médias ont beaucoup parlé de mon « discours intellectuel », de ma démarche, parfois de mon féminisme, et trop souvent de mes études de philosophie. Comme s’ils s’étaient raccrochés à des choses rassurantes qui leur permettaient d’oublier ce qui les gênait vraiment et ce qu’ils ne parvenaient pas à comprendre : j’étais, je suis, une femme qui fait des films porno devant et derrière la caméra. »

Note : 4/5

Mon humble avis

La nouvelle session du club de lecture « Une chambre à nous » tourne autour de la sexualité et plus particulièrement des travailleur·euse·s du sexe, dont Porno Manifesto fait partie ! Comme j’avais déjà découvert et apprécié le travail d’Ovidie dans Libres ! Manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels fait avec Diglee, mais aussi dans un autre médium avec son documentaire Là où les putains n’existent pas, j’étais fort partante pour en découvrir plus.

Je ne me suis jamais trop penchée sur le milieu du cinéma pornographique, et Ovidie explique clairement ce qu’il en est, et surtout, ce qu’il n’est pas. Elle déconstruit ainsi de nombreux préjugés et fait part de son expérience, en tant qu’actrice ou en tant que réalisatrice. Même si elle cite parfois quelques sources, pour s’y appuyer ou pour les démonter point par point, Porno Manifesto reste un récit d’expériences (au pluriel puisqu’elle y intègre des entretiens avec d’autres acteur·rice·s) et une remise en contexte plus qu’un essai sociologique ou une recherche approfondie.

Ainsi, Ovidie relie tout au long de son livre la pornographie à sa conception du féminisme. Parfois, ses propos me semblent beaucoup trop tranché voire fallacieux, mais au moins cela amène à réfléchir. Je pense qu’il est aussi important de garder à l’esprit que ce livre a été écrit il y a plus de quinze ans et que depuis, je n’en doute pas, le féminisme d’Ovidie a lui aussi changé.

Je n’ai ni télévision, ni four micro-ondes, ni voiture. Je n’ai pas honte de ne pas faire partie de ces femmes modernes qui ne sont même plus capables de cuisiner elles-mêmes une marmite de soupe. p. 38

Par exemple, elle répète à plusieurs reprises que le féminisme qui promeut l’émancipation des femmes grâce à l’électro-ménager n’a rien de féministe. Je suis tout à fait d’accord pour dire que l’invention du micro-ondes n’a donné ni liberté ni égalité aux femmes, mais déjà je trouve la manière d’exprimer les choses bien condescendante (comme si avoir une voiture faisait d’une femme une mauvaise féministe) voire hypocrite (se lancer des fleurs parce qu’on n’a pas de télévision… quand on fait des films… permettez moi de tiquer). De plus, si Ovidie mentionnait le lave-linge quelques paragraphes plus tôt, comme exemple d’électro-ménager dont il ne fallait pas se féliciter puisque cela ne changeait rien à l’oppression des femmes, bizarrement, elle ne se vante pas de ne pas en avoir. Je trouve qu’il est très facile de reprocher ce que l’on veut aux inventions technologiques, sans admettre qu’elles ont fait gagner un temps fou aux femmes d’alors, pour qu’elles fassent autre chose que de frotter du linge.

Le vrai féminisme considère qu’avoir le doit pour une femme à l’ascension sociale, à consommer « librement », à devenir ministre, militaire, ou grande bourgeoise, ne témoigne en rien d’une libération. p. 97

Dans la même veine, l’autrice a tendance à énoncer ce qui est pour elle le « vrai féminisme » avec beaucoup d’aplomb et je ne suis pas d’accord avec ce qu’elle avance : si pouvoir être nommée au poste de ministre et pouvoir devenir cheffe d’entreprise n’est pas une libération totale, ce n’est certainement pas une libération nulle.

Par rapport aux transgenres, il est intéressant de remarquer que les féministes politiquement correctes réclament une égalité des hommes et des femmes. Là où les féministes pro-sexe expliquent qu’il est difficile voire faux de diviser le genre humain en deux, d’un côté les hommes de l’autre les femmes. p. 99

J’étais agréablement surprise que les personnes transgenres soient mentionnées, mais une fois encore, c’est finalement pour dénoncer ce qu’elle considère comme un « faux féminisme », le féminisme « politiquement correct », dont je trouve la dénomination fallacieuse par ailleurs. Après, nul doute cela part-il d’une bonne intention d’Ovidie qui préfère parler de ce qu’elle connaît, et donc de son expérience de femme cisgenre. Mais faire des raccourcis en disant que les féministes pro-sexe renient tou·te·s la binarité du genre me semble facile, et faux.

Les cassettes pédophiles qui existent sont tournées dans la plus grande illégalité. Elles relèvent de la clandestinité, vers un public marginal. Le milieu du X est au contraire un milieu réglementé qui fait son beurre en vendant ses films au grand public et aux télévisions. Ce sont deux mondes qui n’ont pas plus de connexion que le milieu de la mode et celui des marchands de tomates. p. 47

Pour revenir au sujet de la pornographie, Ovidie précise dans sa conclusion qu’elle parle bien tout au long de son livre de cinéma pornographique, qu’elle oppose au matériel pornographique.

J’insiste donc sur le fait que la plupart des arguments que j’ai pu développer concernent le cinéma pornographique. Je ne conteste pas que certains types de matériel pornographique puissent être dégradants et puissent, pour être produits, exploiter des êtres humains. Mais là n’est absolument pas mon propos, puisque n’étant que très peu en contact avec ce type de milieu, je ne peux nullement prétendre le connaître ni émettre aucun avis sur le sujet. p. 210

Pour moi ce propos aurait été bien mieux placé en début de livre, en introduction plutôt qu’en conclusion, puisque je n’ai pas arrêté au cours de ma lecture, de me dire que justement, elle ne faisait pas état de la pornographie dégradante. Bon, je n’ai toujours pas vraiment compris ce qui fait que de la pornographie est plus un matériel que du cinéma selon Ovidie, mais ça m’a au moins éclairé sur ce point. Il me semble qu’il faut également resituer le livre à l’époque de son écriture où Internet était nettement moins répandu, alors qu’aujourd’hui, toutes sortes de pornographies dégradantes sont disponibles d’un clic…

En travaillant dans ce milieu, je me suis rendue compte que beaucoup d’actrices étaient plus émancipées que la plupart des femmes. L’apitoiement sur les pauvres victimes exploitées dans les films porno ne se justifiait pas et n’était pour moi qu’un prétexte pour ghettoïser encore plus un milieu qui n’avait vraiment pas besoin de ça. p.19

Comme je le précisais plus haut, Ovidie entend défaire les stéréotypes de la pornographie, dont le fait que les actrices soient des victimes qui n’auraient pas le choix ou pas l’envie de faire ce travail. Elle explique très bien que c’est parfaitement infantilisant et condescendant de penser que les actrices ne sont que des victimes, alors qu’Ovidie explique qu’elles sont tout à fait consentantes et maîtresses de leur corps.

Ce jugement de dégradation ne vient donc pas des personnes concernées, mais de quelques militants en mal d’auto-accomplissement qui ne connaissent ni les travailleurs du X-business, ni les films ou photos pornographiques. Qui a le droit de juger à notre place si nous sommes victimes ? Nous classer dans une catégorie de victimes, c’est nier l’existence de nos propres moyens d’action. Nous ne sommes plus des enfants, et demeurons les seules capables de juger si nous sommes dégradées ou non. p. 73

Le passage que j’ai le plus apprécié du livre est probablement celui des interviews de trois acteur·rice·s de cinéma pornographique, qui présentent les réalités des situations et de leurs expériences. En tant qu’homme, Titof peut également témoigner que ce n’est pas simple pour autant, particulièrement parce qu’il accepte sa bisexualité et que ce n’est pas chose facile dans ce milieu (pour un homme).

Ovidie : Tu as déjà eu des problèmes pour travailler à cause de ta bisexualité ?
Titof : Je crois qu’il y a des filles qui ne veulent pas tourner avec moi à cause de ça. Elles, elles ont le droit de coucher avec des filles. Mais moi je n’ai pas le droit de coucher avec des hommes. Les filles peuvent être bisexuelles, mais pas les hommes dans ce milieu. p. 189

Cette lecture était donc très enrichissante, en partie parce que je n’étais pas toujours d’accord avec la façon que l’autrice a de présenter le féminisme, mais surtout pour l’éclairage que cela donne sur le milieu du cinéma pornographique.