Salim Zarrouki
Ce dimanche 6 mai vont se tenir les élections municipales en Tunisie. L'occasion idéale pour présenter cette bande dessinée satirique sur les "Arabes" et les moyens plus ou moins naturels de les éliminer!
Mordant et réussi, l'album de moyen format est l'œuvre de Salim Zerrouki, un artiste Algérien vivant à Tunis depuis une bonne dizaine d'années. "100 % bled, comment se débarrasser de nous pour un monde meilleur" (Encre de nuit, 64 pages) est un pur concentré de méchanceté joyeuse se posant sur une observation fine d'une société, doublé d'une fascinante autodérision amenant aux bonnes questions. Sur les pratiques mises en avant et sur leurs critiques venant du monde occidental.
(c) Encre de nuit.
Cette BD est l'occasion de rappeler qu'on peut rire de tout mais sans doute pas avec n'importe qui. Car Salim Zerrouki frappe juste mais fort. Très fort. Tire-t-il contre son propre camp? Bien sûr que non. Son deuxième degré est décapant mais épatant. Tous ceux qui sont passés par la Tunisie reconnaîtront les habitudes de vie ou de société décrites ici au picrate. Et en rigoleront. Que peut-on faire de plus?(c) Encre de nuit.
(c) Encre de nuit.
Divers travers bien observés de la société maghré-bine sont tour à tour épinglés.Le quotidien, code de la route, travail étatique ou non, mais aussi le cérémonial des fêtes de mariage et la religion à petite dose. Enorme, la charge peut paraître déconcertante au premier abord mais le côté désopilant prend vite le dessus. Et ne dit-on pas "Qui aime bien châtie bien"? Sans oublier la formule de Socrate "Connais-toi toi-même" ("γνώθι σαυτόν"), valable pour tous, même les Maghrébins.
(c) Encre de nuit.
Salim Zerrouki commence son album par un mode d'emploi illustré:"Cet album est un guide pratique qui s'adresse exclusivement aux Occidentaux. Chaque page de l'album offre une solution pour se débarrasser des Arabes. Important: le mot "Arabe" fait référence au nom donné par le colon pour désigner les autochtones du Maghreb et non l'"Arabe" du Moyen-Orient. L'humanité vous remerciera."
On ne pourra pas dire que le lecteur n'a pas été prévenu!
Le code de la route. (c) Encre de nuit.
On apprend au fil des pages que la mocheté est génétique, les garçons étant défoncés par leurs pères et les filles interdites de se marier ailleurs que chez elles. Que les trottoirs servent à tout sauf aux piétons. Que le code de la route est sujet à interprétation personnelle comme le Coran. La plupart des séquences se terminent par une conclusion. Voici celle qui illustre le code de la route: "Les Arabes s'entre-tueront pour un sens interdit mal interprété." Le passage pour piétons vaut aussi son pesant de dattes locales, tout comme le parking, l'urbanisme, les espaces verts...
L'expérience vécue transpire des dessins expressifs et donne lieu à de formidables idées pour diminuer le nombre d'Arabes, idée qui est, rappelons-le, le fil rouge de l'album. C'est féroce mais terriblement drôle. Surtout, les propos remettent les pendules à l'heure tant du côté arabe dont les manières sont moquées que du côté occidental dont les idées reçues en prennent pour leur grade.
Le sport. (c) Encre de nuit.
Toutes les observations sur le Maghreb sont justes, du sourcil non ou trop épilé au goût pour le football et au dégoût pour la lecture, possiblement utile pour préserver les plages, en passant évidemment par les femmes, l'amour et la sexualité, les enfants et leur éducation, sans oublier bien entendu la nourriture. Il y a beaucoup à dire et Salim Zerrouki le dit clairement dans un rapport texte-images très réussi. Indéniablement, "100 % bled, comment se débarrasser de nous pour un monde meilleur" est un album indispensable pour tous ceux qui s'intéressent à l'Afrique du Nord. Pour rire beaucoup et réfléchir (l'album est diffusé en Belgique par Interforum; il est aussi désormais en vente en Tunisie).
Avec cet album, Salim Zerrouki n'en est pas à son coup d'essai.
Nabila. (c) Salim Zerrouki.
(c) Salim Zerrouki.
C'est lui qui a créé et fait vivre entre 2011 et 2014 le petit person-nage extra de Yahia Boulahia, un salafiste autoproclamé aux ambitions explicites: "Tous les jours une nouvelle fatwa pour nettoyer la société de toutes créatures impures, femmes et animaux". Effectivement, Yahia, cliché du salafiste "vendeur à la sauvette en face d’une mosquée", petit barbu bête qui ignore qu'il est drôle, a enchanté ses fans sur Facebook. On s'est délecté de ses fatwas à tout-va et de l'humour noir de son créateur.(c) Salim Zerrouki.
La toile a ensuite vibré avec les blagounettes de ta7richa, des dessins d'humour campés sur les objets du quotidien qui nous interrogent et ont donné lieu à une exposition en 2016. L'ironie toujours présente se teintait de poésie dans un graphisme nettement plus doux.Depuis lors, Salim Zerrouki, venu de la pub, se consacre à temps plein à une carrière artistique. Il participe notamment au LAB619, un collectif de BD tunisienne expérimentale.