Mon frère - Daniel Pennac ****

A propos de son frère Bernard à qui il dédie son livre Mon frère, Daniel Pennac écrit en quatrième de couverture (touchante à l'image de l'oeuvre) : "Je ne sais pas qui j'ai perdu. J'ai perdu le bonheur de sa compagnie, la gratuité de son affection, la sérénité de ses jugements, la complicité de son humour, la paix. J'ai perdu ce qui restait de douceur au monde. Mais qui ai-je perdu ?".  A défaut de répondre à cette question existentielle, je répliquerai : " Gros. Monsieur Pennac, vous avez perdu gros... vous avez même perdu le gros lot !"

Mon frère par Pennac

Image captée du site Babélio

La surprise de ce roman revient à sa forme : on s'attend à une succession d'anecdotes de ce frangin/fils préféré (dans cette fratrie de quatre garçons touchée par la maladie), la sagesse familiale compilée en un être... qui forcément manque. On se retrouve face à une dualité de personnages : Bernard d'un côté, Bartleby de l'autre (héros un brin autistique de Melville). Les deux B enlacés avec le côté neurasthénique en commun emportent avec eux leur(s) secret(s), notamment celui de leur personnalité complexe. Daniel Pennac tente une comparaison qui s'arrête là où commence l'humanité, l'attention et l'empathie de son aîné pour le reste du monde, ce dont Bartleby est incapable.
D'anecdotes du sieur B., il y en a peu mais elles sont remarquables et dévoilent un être très conscient du monde qui l'entoure, facétieux sous son air sérieux et quelqu'un de profondément humain et intelligent : on n'oubliera pas de sitôt le steak à partager, le salaire indigent, les vols en avion ou bien le touriste allemand. Monsieur Bernard, personnage taiseux, ne parle qu'à bon escient et ses phrases deviennent des flèches bien lancées. Plus qu'une biographie, Mon frère ressemble davantage à une hagiographie... même si Daniel Pennac n'oublie pas les manques, le mal-être de ce mari si malaimé (doté d'une qualité à l'image de son épousée... amère). 
Et puis, il y a une autre œuvre à (re)découvrir, celle qu'a montée Daniel Pennac, celle qui lui a permis de survivre au deuil : Bartleby le scribe d'Herman Melville.  Le romancier français s'efface face à la prose exceptionnelle de l'écrivain américain, renforcée par l'excellente traduction de Pierre Leyris. C'est beau de laisser une telle place : parler de soi et de son travail (l'artiste Pennac ne s'oublie pas), oui mais, apprendre à louer aussi, peut-être à raison car les mots de Melville emportent tout sur leur passage : l'inventivité, l'angoisse distillée, le questionnement, l'absurde... Les extraits filtrés avec parcimonie de Bartleby le scribe (œuvre non lue) ont captivé mon attention et mettent en valeur le reste et en particulier l'image fraternelle.
Alors oui, Daniel Pennac en parlant de son frère a composé une œuvre hybride, un joli roman attachant, un très beau passage à témoin...dont nous sommes les héritiers. Alors merci, monsieur P. !

Éditions Gallimard

Parution en avril 2018
Lu grâce à ma belle-maman à qui j'ai offert un exemplaire de Mon frère et qui, enthousiaste, m'a fortement conseillée de le découvrir !
Et un de plus pour le challenge de Philippe Dester : son en "è" (grâce à frère)

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