Juste un peu de temps par Caroline Boudet

Par Lebloglitteraire @BlogLitteraire_
Juste un peu de temps par Caroline Boudet, 270p., Éditions Stock, 19,00€

« La charge mentale. La foutue charge mentale. Qui ressemble de plus en plus à une charge explosive qu’elle ferait volontiers sauter… Quelque chose a claqué en elle. Sophie ne voulait pas rentrer, ne pouvait pas. Elle ne voulait plus de cette vie-là. Ses pieds n’avaient tout simplement pas pu prendre le chemin de la gare, ses doigts avaient d’eux-mêmes éteint son portable, et son instinct maternel — je suis
indispensable, je suis coupable, ils ne sont rien sans moi — s’est mis en mode silencieux pour la première fois depuis sept ans.
Un silence absolument, pleinement, intensément reposant. »


Caroline Boudet est journaliste multimedia, chargée de communication éditoriale au Conseil régional d’Île-de-France. Mère d’une fille atteinte de la trisomie 21, elle a écrit un livre témoignage La vie réserve des surprises.


Pourquoi avoir inventé Google alors qu’il existe déjà les femmes et les mères pour répondre à toutes vos questions: où sont mes habits? On fait quoi ce week-end? C’est à quelle heure le restau déjà, demain? La boulangerie, c’est ouvert jusqu’à 19 ou 20 heures? Ils sont où, mes crayons de couleur? C’est quel jour, le rendez-vous de la petite chez le médecin déjà? Tiens, la femme de ménage a dit de noter qu’on n’a plus de produit pour les vitres. Je vais faire les courses, tu me fais une liste? Il est où, mon doudou? Qu’est-ce que je ne devais surtout pas oublier, déjà? (La meilleure, celle-là).

Juste un peu de temps est un livre qui m’a interpellée par ce que semblait sous-entendre son titre, la confirmation de ce sous-entendu dans le résumé, ainsi que par sa très jolie couverture, simple, discrète et épurée. Qui ne souhaite pas d’avoir un peu de temps rien que pour soi dans une société où nous sommes sans cesse sur le qui-vive, fin prêts à anticiper la prochaine tâche à réaliser, se tracassant à l’avance d’avoir pu oublier quelque chose?

Juste un peu de temps, c’est l’histoire de Sophie, mariée à Loïc, 3 enfants – Yann, Maëlle et Inès. Entre préparer le petit déjeuner, les habits pour toute la famille, penser aux goûters, amener les enfants à l’école, travailler, prévoir les rendez-vous chez le pédiatre et le dentiste, penser à prendre rendez-vous chez le coiffeur… la liste des tâches à faire est longue chaque jour et d’ailleurs les listes, Sophie, ça la connaît. Elle gère d’une main de fer sa vie de mère de famille, d’épouse et d’employée jusqu’au jour où elle finit par craquer et disparaître. Elle a laissé un mot à Loïc disant qu’elle sera de retour dans quelques heures. « Juste un peu de temps. Merci. » Mais son absence finira par se prolonger et les heures finiront par se transformer en jours… Où est-elle? Que fait-elle? Le portable coupé, Sophie va enfin s’accorder ce « jute un peu de temps ».

Sophie, c’est chacune d’entre vous. C’est chaque femme traversant le 21ème siècle. Comment font-elles pour tout gérer, tout mémoriser, penser à chaque détail? Ou finissent-elles toutes par craquer un jour, comme Sophie?

Je lis et j’entends partout qu' »une bonne organisation est la clé pour réussir à concilier harmonieusement vie professionnelle et vie familiale ». Dans quel monde les gens qui écrivent ce genre de conseils vivent-ils? Je n’ai même pas de boulot salarié et j’ai l’impression de me noyer chaque jour dans plusieurs carafes d’eau.

Vous l’aurez bien compris, ce roman traite principalement de la charge mentale des femmes et en le lisant, vous vous surprendrez à ricaner et vous vous reconnaîtrez, ou une personne de votre entourage, dans au moins un trait de chaque personnage. Caroline Boudet nous entraîne immanquablement avec sa plume vivante, rythmée et bourrée d’humour, qui rend le texte dynamique et très accrocheur. Un énorme coup de coeur pour ma part à la lecture duquel je me suis ré-ga-lée!

Elle lève les yeux pour découvrir un Loïc aux traits tirés, mal rasé, en jogging, en tee-shirt fripé. L’homme qu’elle aime, qui l’agace, qui l’horripile, qui l’étouffe, celui qui ne remplace jamais le sac quand il sort les poubelles, qui lui fait l’amour comme aucun autre, qui pousse des gloussements d’ado devant des crânes de zombies éclatés à la télévision, qui la traite comme une princesse délicate quand elle a une gastro, qui lui reproche de laisser des traces de dentifrice dans le lavabo, qui est un atroce mauvais joueur, qui console ses enfants apeurés à 3 heures du matin quand elle-même dort du plus lourd sommeil, l’homme qu’elle rêve souvent de faire changer, celui qui reste le même, l’homme qu’elle aime.



Je vous remercie d’avoir choisi de lire cette chronique. À bientôt!