Flannery O’Connor est une bibitte rare. Une malicieuse sorcière. Je m’attendais à tout, sauf à ça avec ces braves gens qui ne courent pas les rues: de l’humour grinçant et de l’espiègle méchanceté, en veux-tu, en v’la. Flannery O’Connor transforme ses personnages en pantins qu’on prend un malin plaisir à voir se démener. On sait que le pire s’en vient pour eux. Mais eux l’ignorent. Tant pis! La mesquinerie et la bigoterie se paient. Il faut dire que dans le Sud profond des années 1950, les esprits sont obtus, hypocrites et racistes.
Qu
’ils soient prédicateur patenté, ignoble vendeur de bibles, centenaire vicieux, petits Blancs racistes, vieilles filles à l’esprit étroits, assassins fous, idiotes ricaneuses, les personnages sont dépassés par le monde qui les entoure. Très souvent, ils ont quelque chose en moins: tantôt un bras, tantôt une jambe, tantôt un boulon au cerveau. Leur bigoterie et leur orgueil les mènent par le bout du nez. Si la campagne est confortable, la ville effraie. Le passé est rassurant alors que le futur angoisse. Lareligion est une béquille solide.Des dix nouvelles qui composent le recueil, j’en retiens particulièrement trois, trois qui se sont avérées un divin moment de lecture.Dans «Les braves gens ne courent pas les rues», une famille part en vacances. La grand-mère voudrait aller dans le Tennessee. Son fils a tranché: ils iront en Floride, même si un tueur rôde sur les routes. Le voyage en voiture est épique (un savoureux moment d’anthologie) et se termine par un accident. Heureusement, une voiture s’arrête pour venir à leur secours. Ils apprendront à leur dépend qu’ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Dans «C’est peut-être votre vie que vous sauvez», l’arrivée d’un jeune homme à tout faire, manchot de surcroît, vient ébranler la monotonie du quotidien d’une vieille femme et de sa fille simplette, sourde et muette. La vieille femme manigance pour offrir sa fille sur un plateau d’argent au nouveau venu. Ce n’était pas une si bonne idée...Dans «Braves gens de la campagne», une jeune philosophe unijambiste noue une idylle sordide avec un jeune vendeur de bibles. Le dénouement est inéluctable, d’une méchanceté corrosive. L’écriture de Flannery O’Connor est d'une rare acuité. Trempée dans le vitriol, le trait est lapidaire, incisif. C’est mordant à souhait et diablement jouissif!Les braves gens ne courent pas les rues,
Flannery O’Connor, trad. Henri Morisset, Folio, 277 pages, 1963 [première édition: 1955].★★★★★