INTERVIEW – Kid Toussaint et Virginie Augustin: « Nos influences se situent clairement plus dans le cinéma que dans la BD »

INTERVIEW – Kid Toussaint et Virginie Augustin: « Nos influences se situent clairement plus dans le cinéma que dans la BD »

Lui est l’un des jeunes scénaristes qui montent, avec des séries à succès telles que « Magic 7 » et « Holly Ann » et une dizaine d’albums prévus pour 2018. Elle est une dessinatrice pleine de talent et a marqué les esprits il y a deux ans avec le fabuleux « Monsieur désire? », l’un des meilleurs romans graphiques sortis en 2016. La première collaboration de Kid Toussaint et de Virginie Augustin ne pouvait donc que déboucher sur quelque chose d’intéressant. C’est effectivement le cas, puisque leur série « 40 éléphants » (aux éditions Grand Angle), qui raconte l’histoire d’un gang de femmes criminelles dans le Londres des années 1920, est une franche réussite, avec un savant mélange d’action, d’émotion et d’humour. Alors que le deuxième tome « Maggie passe-muraille » vient de sortir en librairie, nous en avons profité pour poser quelques questions à Kid Toussaint et Virginie Augustin.

Comment est né ce projet?

Kid Toussaint: Il est tout simplement né d’un fait réel. Le gang de filles des 40 éléphants a vraiment existé. J’ai été emballé par cette idée d’un gang exclusivement féminin. Je voulais surtout explorer en quoi son fonctionnement pouvait être différent d’un gang masculin.

Comment avez-vous découvert l’existence de ce gang?

Kid Toussaint: Grâce à la magie de l’Internet. A la base, je suis tombé sur des photos de gangs féminins, mais c’étaient des faux. Il s’agissait juste de filles déguisées. Cela dit, en lisant les commentaires en-dessous des photos, je suis tombé sur la vraie histoire du gang des 40 éléphants, sur lequel j’ai commencé à faire des recherches. C’est comme ça qu’est née la série.

Et ensuite? Comment le projet est-il arrivé chez Virginie?

Virginie Augustin: Par le biais de ce qu’on appelle un mariage d’éditeur. Un éditeur avec qui j’avais travaillé m’a proposé le scénario de Kid, en me disant: « je pense que votre association devrait bien marcher ». Il ne s’est pas trompé, parce que j’ai effectivement été emballée par le scénario. J’ai donc travaillé sur quelques premières planches. A mon sens, le résultat était tout à fait satisfaisant mais par la suite, une personne plus haut placée dans la maison d’édition a dit « non, on ne le fait pas ».

Kid Toussaint: En gros, il nous a dit de trouver un autre éditeur. C’est comme ça qu’on a atterri chez Grand Angle, dont les responsables ont été vraiment emballés par le projet.

C’était exactement le même projet? Vous n’y avez rien changé?

Kid Toussaint: C’était tout à fait le même projet. On avait bien accroché et donc on n’avait vraiment pas envie de l’abandonner.

Virginie Augustin: La meilleure preuve que c’était un bon projet, c’est que plusieurs éditeurs se sont montrés intéressés lorsque nous les avons contactés.

Kid Toussaint: Mais c’est Grand Angle qui a réagi avec le plus de rapidité et le plus d’enthousiasme. Comme nous étions tous les deux intéressés de travailler avec cette maison d’édition, dont on avait entendu dire beaucoup de bien, on a dit oui.

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Est-ce que « 40 éléphants » sera une série au long cours? Vous êtes partis sur un grand nombre d’épisodes?

Kid Toussaint: En tout cas, il y a de quoi faire, parce que l’histoire est très riche. J’ai d’ailleurs déjà des pistes en tête pour les épisodes 4 et 5. Le principe, c’est que chaque album se focalise sur un personnage différent. Le tome 1, c’était Florrie. Le tome 2, c’est Maggie et le tome 3, ce sera Dorothy, la gentille tueuse. C’est vrai que jusqu’à présent, le fil rouge de la série a surtout été Florrie. Mon idée était que celle-ci permette au lecteur de faire connaissance avec le gang. Mais par la suite, on va aussi s’intéresser à d’autres personnages. Et bien sûr, des nouveaux personnages vont faire leur apparition.

Graphiquement, comment avez-vous procédé pour imaginer le physique de toutes ces femmes différentes?

Virginie Augustin: Je me suis basée sur des photos biométriques de la police de Sydney, qui datent des années 20. Ces photos, sur lesquelles on voit des hommes mais surtout beaucoup de femmes, sont ressorties il y a quelques années à l’occasion d’une exposition. Ce sont des images qui ont un intérêt photographique évident, dans la mesure où les femmes sur ces photos ont des physionomies très marquées. Clairement, on sent qu’elles n’ont pas toutes eu des vies très sympathiques. Beaucoup d’entre elles ont d’ailleurs été arrêtées pour des crimes qui, aujourd’hui, ne seraient plus considérés comme des crimes. La polygamie, par exemple. Ces photos m’ont donné accès à un lot de femmes avec des têtes très particulières. En bande dessinée, les personnages ont souvent un peu le même physique. Ici, c’était l’occasion de faire quelque chose de très différent. Au final, ces photos ont servi de base à plus d’une quinzaine de personnages de la série. Le problème, c’est que Kid se débarrasse régulièrement de quelques-uns de ses personnages, ce qui signifie que je vais devoir trouver un nouveau vivier. Heureusement, j’ai une autre belle source d’inspiration en prenant régulièrement le métro! (rires)

Il n’existe pas de photos des vraies membres du gang des 40 éléphants?

Kid Toussaint: Quelques-unes, mais très peu. On peut notamment trouver des photos d’Alice, la reine des éléphants, sur laquelle un livre a d’ailleurs été écrit, mais il y a très peu d’images des autres membres du gang. De toute façon, je ne me suis pas basé sur l’histoire réelle de ces femmes parce que je ne suis pas biographe. Et puis, il faut bien reconnaître que la plupart des journalistes qui ont écrit sur les 40 éléphants ont énormément fantasmé dans leurs articles, ce qui signifie qu’il est difficile de démêler le vrai du faux. Autant donc créer mes propres personnages plutôt que de me baser sur les inventions des autres.

Malgré tout, est-ce que l’histoire de la BD se base sur certains éléments réels?

Kid Toussaint: Je me suis effectivement basé sur quelques faits divers qui ont vraiment eu lieu, notamment la razzia dans un grand magasin semblable à Harrods. Je me suis inspiré aussi de certains crimes qui se sont vraiment produits. Mais dans l’ensemble, j’ai inventé la plupart des éléments de la BD. Sinon, ça aurait été trop contraignant.

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Est-ce que ce n’est pas trop compliqué d’animer autant de personnages différents?

Virginie Augustin:  Je pense que c’est un risque à prendre. Il est vrai que c’était une inquiétude au début, notamment de la part de l’éditeur, car il se disait que le lecteur allait oublier de qui on parle. Pour éviter ça, on a essayé de fonctionner comme dans le film « Huit femmes » de François Ozon, avec des physionomies très particulières et des codes couleurs vestimentaires pour chacun des personnages principaux, un peu dans comme un jeu de cartes. Personnellement, je trouve aussi que certains personnages de la série sont plus marquants que d’autres, ce qui permet de ne pas perdre le fil.

Kid Toussaint: Moi en tout cas, je ne les confonds pas. Même si le lecteur ne fait peut-être pas toujours tous les liens, je pense qu’il capte bien les grands enjeux. Bien sûr, cela peut arriver qu’il oublie le nom de l’un ou l’autre personnage secondaire, mais ce n’est pas si grave étant donné que ce sont précisément des personnages secondaires.

Etes-vous toujours d’accord entre vous sur la suite à donner à la série?

Virginie Augustin: Oui, absolument. Dans l’ensemble, on peut dire que nous sommes vraiment sur la même longueur d’ondes, même si je dois bien avouer que j’ai une petite tendance à pousser Kid à aller vers des choses un peu plus sombres.

Selon vous, « 40 éléphants » est une série qui s’adresse à qui?

Virginie Augustin: Avant tout aux adultes, je pense.

Kid Toussaint: Oui, je dirais aux adultes et aux jeunes adultes. C’est une série dans laquelle on met de plus en plus d’humour noir, parce qu’on adore tous les deux ça, mais on se situe clairement dans le registre du polar. Cela dit, nous ne montrons rien d’insupportable pour les yeux. Dans « 40 éléphants », il y a du crime, mais nous ne voulons pas aller vers quelque chose d’ultra-violent comme dans « Millenium », par exemple.

Virginie, est-ce que vous allez continuer à travailler sur d’autres BD en parallèle ou est-ce que vous vous consacrez pleinement à « 40 éléphants »?

Virginie Augustin: En réalité, je suis actuellement en train de travailler sur le tome 3 de la série mais dans le même temps, je travaille sur un autre album. Pour l’instant, je dois bien avouer que c’est un peu difficile, mais sur le long terme ma stratégie est que je puisse avancer sur d’autres projets tout en continuant les « 40 éléphants ». Par contre, je ferai peut-être une petite pause entre les tomes 3 et 4.

Vous pouvez nous en dire plus sur cet autre projet?

Virginie Augustin: C’est un « Conan ». Normalement, il devait sortir à peu près maintenant, mais j’ai pris un an de retard. Du coup, il sortira seulement en mai de l’année prochaine. Cet album sera une première pour moi, parce que j’en signe également le scénario. C’est ce qui explique pourquoi ça prend autant de temps. Pour moi, c’est un investissement total et je veux sans doute y mettre trop de choses.

Pourquoi un « Conan »?

Virginie Augustin: En ce qui me concerne, c’était inévitable. C’est un hommage à tout ce que j’ai aimé en bande dessinée et à tout ce qui fait que je dessine aujourd’hui.

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Comment vous êtes-vous retrouvée dans l’Angleterre du début du XXème siècle alors?

Virginie Augustin: C’est vrai que j’aime les super-héros, mais heureusement il y a aussi d’autres choses qui m’intéressent. (rires)

Kid Toussaint: En tant qu’auteurs de BD, on a cette chance de pouvoir passer très facilement d’un univers à un autre.

Quels sont les films ou les séries qui vous ont inspiré pour la création de cet univers-ci?

Kid Toussaint: Il y en a beaucoup. Nos influences se situent clairement plus dans le cinéma que dans la BD. On aime bien les films noirs américains des années 30 et 40, qui sont pour nous une source d’inspiration. Il y a aussi le cinéma muet. Comme l’histoire de notre série se déroule dans les années 1920, j’ai regardé plein de films de cette époque-là, et je crois que Virginie en a fait de même.

Virginie Augustin: Personnellement, la référence que j’ai toujours en tête, ce sont les films de Billy Wilder. Notamment sur le ton, avec des choses qui peuvent être très graves et très drôles en même temps. Un de mes films préférés reste « Certains l’aiment chaud », qui est d’ailleurs aussi une histoire de filles et de gangs…

Kid Toussaint: Oui c’est vrai, je n’y avais jamais pensé!

Virginie Augustin: Une autre référence évidente, c’est l’acteur Charles Laughton. Il y a un film avec lui que j’adore, c’est « Témoin à charge ». Agatha Christie elle-même considérait ce film comme étant la meilleure adaptation d’un de ses bouquins au cinéma.

On parle donc clairement de références plutôt anciennes. Y a-t-il aussi des choses qui vous inspirent dans ce qui se fait aujourd’hui?

Kid Toussaint: Pour vous dire la vérité, je ne regarde pas de séries télé. Donc les références d’aujourd’hui, je ne les ai pas!

Virginie Augustin: Il y a les histoires de gangs quand même, notamment « Peaky Blinders »…

Kid Toussaint: Oui, on me dit souvent que l’histoire des 40 éléphants est une sorte de « Peaky Blinders » au féminin. Mais c’est seulement après avoir écrit le premier épisode que j’ai vu des morceaux de la série. Et j’ai regardé uniquement pour comparer. Cela dit, pour Virginie, je pense que ça peut clairement être utile de regarder cette série, ne fût-ce que pour voir à quoi ressemblait la vie quotidienne dans l’Angleterre des années 1920.

Et pour vous Kid, quels sont les prochains projets?

Kid Toussaint: J’ai 10 albums qui sortent entre février de cette année et février de l’année prochaine. C’est beaucoup trop! C’est plus que Cauvin à sa grande époque! (rires) Ce sont surtout des BD jeunesse. Le seul autre bouquin adulte dans le lot, c’est le quatrième « Holly Ann », qui paraîtra en septembre. J’ai notamment fait un Marsupilami. Ca m’a beaucoup amusé de m’approprier le personnage de quelqu’un d’autre. A un moment donné, je devais également faire un Spirou. Finalement, ça ne s’est pas fait, mais là aussi, j’avais trouvé ça très marrant de me plonger dans tout ce qui avait déjà été fait et de chercher les failles qui n’ont pas encore été exploitées par d’autres.

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