Que trouve-t-on dans La Case de l’oncle Tom, ce feuilleton anti-esclavagiste paru en 1852 ? Ouvrons-le au hasard….
On est au chapitre neuf. Assis dans son fauteuil, les pieds dans ses pantoufles neuves, l’honnête sénateur Bird, un élu du Kentucky du milieu du XIXe siècle, attend l’heure du souper. Par son éloquence, ses discours de raison, son « humanité » et sa fermeté, il a fait voter un délit de solidarité qui punit de prison quiconque aide un esclave qui tente de s’échapper de sa plantation.
C’est alors qu’intervient Mme Bird, sa femme, d’habitude indifférente aux affaires de son mari, mais que cette loi révolte, et qui le fait comprendre. « Vous devriez avoir honte, John ! ces pauvres créatures, sans toit, sans asile ! Oh ! la loi honteuse, sans entrailles, abominable ! Je la violerai dès que j’en aurai l’occasion… et j’espère que je l’aurai, cette occasion… » (p. 120). « — Allez-vous vous lancer dans la politique ? » lui répond son mari, qui trouve cocasse qu’une femme donne son avis, et que des émotions puissent diriger une réflexion législative.
Une illustration de l’édition originaleTout est là. Avec La Case de l’oncle Tom, une femme, Harriet Beecher-Stowe, comme Mme Bird, donne son avis, fondé non pas sur des calculs politiques, mais sur une bonne dose de piété et d’empathie. Les méchants sont d’abord méchants par sécheresse d’âme, comme le marchand d’esclaves, Haley : « Haley en était arrivé à ce point de perfection chrétienne et politique que certains ministres et certains hommes d’État du Nord ne cessent de nous prêcher, et qui consiste à étouffer toute faiblesse et tout préjugé humain. Son cœur était ce que le vôtre et le mien deviendront sans doute un jour, grâce à cette culture » (p. 186).
Elle, H. Beetcher-Stowe, quelle politique prêche-t-elle en retour ? Celle de la famille d’abord, car l’éclatement familial est son premier reproche à l’esclavage. La scène obsessionnelle, dans La Case de l’oncle Tom, est celle du marchand d’esclave qui vend à deux clients différents une mère et son enfant ; aussi bien « le petit enfant est le seul vrai démocrate » (p. 249). Mais l’autrice n’oublie pas maintes autres injustices, et les six cent pages du roman dressent un panorama impressionnant des crimes esclavagistes.
On s’agace aujourd’hui du caractère redondant des épisodes de ce roman, des points de suspensions utilisés partout comme de simples virgules, des sermons… Surtout, le sacrifice christique du vieil esclave Tom en fait un personnage servile jusqu’au ridicule ; encore aujourd’hui, aux États-Unis, on dit « faire le Tom » pour parler de quelqu’un qui fait du zèle auprès de ses chefs. Il ne faudrait surtout pas prendre ce roman pour un récit éducatif utile à la jeunesse…
On peut dire néanmoins que voilà un récit tout entier tendu vers l’efficacité, appelant à la libération universelle des esclaves, à l’autonomie de leurs peuples et de leurs pays : « à notre époque, une nation se crée en un jour », lance avec optimisme l’ancien esclave George Harris (p. 590), qui décide de partir vivre au Libéria. Et ce feuilleton n’est pas pour rien dans la décision de l’abolition.
Sur la blogosphère, voir : la lecture récente de Mistikrak, un résumé de la réinterprétation que propose Malcolm X du roman par eplume, ainsi qu’une analyse de séquence de l’adaptation cinématographique du roman de 1927 chez litsossk.
Harriet Beecher-Stowe, La Case de l’oncle Tom, Les Classiques de Poche, 1986 [1852], 642 p., 6, 90€.