Papa, maman, le genre et moi, de Michela Marzano, Albin Michel, 2017, 207 pages
L’histoire
La question du « genre » embrase et divise depuis quelques années la société française. D’un côté, ceux qui voient dans cette question une idéologie visant à détruire les fondements de la famille et donc de la société. De l’autre, ceux qui font de la lutte contre les discriminations une priorité absolue. Mais si le sujet cristallise toutes les passions, de quoi parle-t-on réellement ?
La philosophe Michela Marzano décrypte la question en dénonçant les nombreuses confusions des militants et des intellectuels entre : différence des sexes, identité de genre, orientation sexuelle, pratiques sexuelles. Elle rétablit, avec une intelligence fine et lucide, la vérité sur un enjeu de société.
Note : 2/5
Mon humble avis
Une amie m’a offert ce livre parce qu’elle en avait entendu parler dans une émission et qu’elle sait bien à quel point je suis intéressée par les questions du genre. J’étais étonnée et ravie qu’un livre sur le sujet semble s’adresser au grand public, contrairement à certains livres plus académiques que j’ai pu croiser jusqu’ici. Bon, j’ai compris, assez rapidement à la lecture que les choses étaient loin d’être parfaites.
La démarche de Michela Marzano est intéressante : malgré son éducation et sa foi catholique, elle s’intéresse aux luttes des personnes homosexuelles et LGBTQ* en général, et aux questions du genre. En tant que philosophe, elle entend expliquer et prouver à ses confrères et consœurs que le genre n’a rien de dangereux. Son livre est intéressant puisqu’elle part des bases, pour que tout le monde puisse comprendre de quoi il en retourne, du contexte des revendications et des crises qui ont pu toucher ces questions, comme la Manif pour Tous et la théorie du genre. Elle commence d’ailleurs par expliquer certains mots de vocabulaire, ce qui me paraît tout à fait judicieux.
On ne choisit pas d’être homosexuel ou hétérosexuel ; on ne choisit pas non plus d’être transsexuel. Le choix ne touche que les pratiques sexuelles qui, comme nous le verrons, n’ont rien à voir ni avec l’identité de genre, ni avec l’orientation sexuelle. p. 17
Sa démarche est également féministe, elle appelle d’ailleurs à éduquer les gens et à faire de la prévention pour contrer des phénomènes sociaux néfastes, comme la culture du viol.
En conséquence, le problème qui se pose en terme de prévention est double : il faut apprendre à chaque femme que sa propre valeur ne dépend pas des attentions parfois obsessionnelles qu’un homme peut lui porter. Mais il faut apprendre aux hommes que leur identité masculine n’est pas remise en question par l’autonomie des femmes, voire par la possibilité qu’elles doivent pouvoir garder de les quitter (et réciproquement). p. 111
Malheureusement, certaines choses m’ont fait grimacer et me semblent problématiques. Du coup j’en viens à me questionner si cela vaut vraiment le coup de lire un tel livre quand on ne connaît rien au sujet, puisqu’on risque d’absorber un vocabulaire problématique et des idées qui ne vont pas assez loin, voire qui sont déjà obsolètes. Attention, je ne suis pas du tout spécialiste des études de genre et de ces questions, mais j’ai le sentiment d’avoir suffisamment lu sur ce sujet, de la part de personnes militantes ou académiques et souvent directement concernées, pour repérer ce qui ne va pas. Pourtant, le travail de Michela Marzano est sourcé, les notes de bas de page renvoient vers les différents ouvrages et articles qui traitent de la question. Mais peut-être s’agit-il de recherches déjà trop vieilles.
Pour illustrer mon propos, une des choses qui m’a dérangée est la question de la maternité pour les femmes.
Il y a encore aujourd’hui des femmes qui pensent qu’une vie sans enfants n’a pas de sens. Et elles en ont parfaitement le droit. […] Mais aujourd’hui, il y aussi des femmes qui veulent se consacrer entièrement à leur carrière, à leur succès personnel et qui regardent les enfants comme un poids ou une responsabilité trop grande. […] Enfin, il y a des femmes qui voudraient bien devenir mère, mais qui n’y arrivent pas et qui sont obligées de composer avec ce manque. p. 58
Voici un des passages qui aborde le sujet, et je trouve que la formulation est dérangeante. Formulé ainsi, on pourrait croire que la seule raison pour qu’une femme ne désire pas d’enfant soit son obsession pour sa carrière. Pour les femmes qui ne parviennent pas à avoir d’enfants, de manière biologique j’imagine, il n’est jamais mentionné qu’elles puissent adopter. Dans un autre passage, le rapport à la maternité est longuement évoqué, sans jamais parler de la difficulté qu’ont les femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfants, à faire entendre ce choix.
Certes, cela ne semble pas être grand-chose. Mais mon plus gros problème avec ce livre touche au traitement de la transidentité et des personnes trans. D’abord, parce que les termes utilisés ne sont pas les bons : « transsexuel » est utilisé tout du long et le glossaire le décrit même, mais il s’agit en fait de la définition du terme transgenre (avec une dernière phrase problématique) !
Transgenre : refusant toute opposition binaire homme/femme, les personnes transgenres ne veulent pas choisir à quel genre appartenir et échappent donc à tout dispositif institutionnel, y compris le langage. Transgenre est « homme et femme », « ni homme ni femme ».
Transsexuel : personnes dont les sentiments profonds, précoces et durables d’appartenir à l’un ou l’autre genre ne coïncident pas avec sa propre conformation génitale et son propre apparat chromosomique ; changer de sexe pour les personnes transsexuelles signifie résorber la fracture entre soma et psyché, sexe et genre. p.190
Tandis que toute la définition du terme transgenre, mentionné seulement dans le glossaire si je ne m’abuse, décrit des personnes qui ne s’identifient ni en tant qu’homme ni en tant que femme et qui renient ces identités. Ce serait donc plutôt « non-binaire ». Parce que oui, en plus, ce livre reste tout de même dans la binarité homme / femme, sans parler d’identités genrées autres ou de fluidité du genre.
Nous savons aujourd’hui que l’éducation ne peut pas changer le sentiment d’appartenance à un sexe ou à l’autre, ce sentiment étant précoce, enraciné à l’intérieur de chacun de nous et permanent (c’est ce qu’on appelle l’identité de genre). p. 36-37
Quand les personnes trans sont mentionnées, c’est généralement pour faire part de leur « souffrance ». Pas seulement parce que la société ne les accepte pas – ce qui serait légitime – non, non, parce qu’iels sont « prisonnier·e·s » de leur corps. Et cette rhétorique est affreusement problématique, parce que toutes les personnes trans n’ont pas de dysphories et beaucoup vivent très bien dans leur corps sans jamais se faire opérer : elles peuvent vivre leur genre sans modifier leur corps si elles le souhaitent. Mais je ne doute pas que cela pose problème à la société qu’une personne s’identifie comme femme alors que son corps ne correspond pas à ce que la société attend de ce genre, et inversement. Le pire dans tout ça ? L’autrice appelle les lecteur·rice·s à écouter les personnes trans (ce que visiblement, elle n’a pas fait elle-même) :
Pour les comprendre, peut-être faudrait-il faire l’effort, au moins une fois, d’écouter les personnes transsexuelles. Et entendre leur souffrance. Il s’agit de personnes qui ressentent dès le début qu’il y a quelque chose dans leur vie qui ne va pas, qui ne tourne pas rond. Il y a des garçons qui ont très vite le sentiment d’être prisonniers d’un corps qui ne leur correspond pas, qui ne correspond pas à leur esprit : à l’intérieur d’eux-mêmes, ils sont convaincus d’être des filles ; et il y a des filles qui ressentent aussi qu’elles sont prisonnières d’un corps qui ne leur correspond pas, qui ne correspond pas à leur esprit : à l’intérieur d’elles-mêmes, elles sont convaincues d’être des garçons. p. 117-118
Encore une fois, parler de « garçons [qui] sont convaincus d’être des filles » est incorrect : il s’agit de filles qui ont été assignées garçons à la naissance. Si je ne m’abuse, les termes utilisés sont les suivants : AFAB (Assigned Female at Birth : assigné femme à la naissance) et AMAB (Assigned Male at Birth : assigné homme à la naissance). Cela permet de comprendre que ces personnes n’ont jamais été le genre que la société prétend : cela leur a été imposé à la naissance. Mais encore une fois l’autrice utilise des termes qui, il me semble, sont obsolètes maintenant et ne sont plus utilisés par les militant·e·s : MtF (Male to Female : homme devenu femme) et FtM (Female to Male : femme devenue homme) ce qui pose vraiment problème puisqu’une personne assignée femme à la naissance qui s’identifie comme homme n’a jamais été femme. Cela lui a été assigné, imposé par la société, mais cette personne n’est pas devenue homme : elle l’a toujours été.
Enfin, certaines choses ne sont pas évoquées ou sont passées sous silence alors qu’il aurait été très important d’élaborer le sujet et d’aller plus loin dans la réflexion. Par exemple, les mensonges perpétués derrière les chromosomes « XX pour le sexe féminin » et « XY pour le sexe masculin » alors qu’il n’y a pas que ces deux combinaisons et que les choses sont bien plus complexes. Si l’autrice mentionne les personnes intersexes, il me semble qu’elle ne le fait qu’en note de fin et dans le glossaire (à la fin du livre donc), ce qui est assez représentatif de l’importance qu’elle porte à l’intersexualité dans son livre
[L]a différence sexuelle s’inscrit dans le corps de chacun, homme et femme ayant des différentes caractéristiques chromosomiques (XX pour le sexe féminin, XY pour le sexe masculin) et morphologiques (le vagin, par exemple, pour le sexe féminin, le pénis pour le sexe masculin)11. p. 60
11. Il y a aussi, comme nous allons le voir, des individus chez lesquels coexistent des caractères sexuels mâles et femmes, on parle alors d’intersexualité (jadis on utilisait le terme « hermaphrodite »).
Bref, il m’aura fallu écrire cette chronique pour me mettre d’accord avec moi-même : je ne recommande pas ce livre. Nul doute qu’il y a des ouvrages plus à jour qui sont plus actuels et justes, mieux vaut se tourner vers ceux-là.