Voilà un moment que je voulais faire cet article. Mais encore faut-il trouver le courage de commencer à l'écrire, de se mettre devant son clavier comme je le fais à l'instant présent et de trouver les mots justes, sans trop en dire, sans se laisser submerger. Cette fois-ci je le commence, je le termine et je le posterai.
Au moment où sera posté cet article nous serons le 20 Avril 2017. Pour vous ce n'est peut être qu'une date comme une autre, un simple chiffre, un simple mois. Pour moi c'est tout autre chose. C'est bien plus. Aujourd'hui, voilà deux ans que ma grand mère a succombé à un cancer. Aujourd'hui, je prends mon courage à deux mains et j'en parle, je brise la glace.
Tout au long de l'article, j’emploierais le "tu", je m'adresserai à elle puisque c'est son histoire.
Tout a commencé il y a environ 3 ans et demi, au moment où l'on a découvert ta maladie. A vrai dire ce n'est pas réellement à ce moment-là que tout a commencé. Nous l'avons su après mais voilà déjà un moment que tu étais malade, que ça n'avait pas été détecté. Un cancer ne pardonne pas, encore moins un cancer des ovaires.
Le cancer des ovaires a la particularité d'être très difficile à détecter. Souvent confondu avec un kyste, dans la plupart des cas il est découvert dans une des dernière phases et malheureusement pour le ou la patiente, on ne guérit pas. On survit.
Pour revenir à toi, mamie, voilà un moment que tu étais malade. Je m'en souviens encore, le jour où j'ai appris que tu étais malade. Fatigue, douleur au ventre qui ne passe pas. Et le pire, c'est que si on ne me l'avait pas dit je ne l'aurais pas su. Tu ne te plaignais jamais. Même le dernier jour, je ne t'ai pas entendu te plaindre. Jamais.
Je venais de rentrer du lycée, mes parents étaient dans le salon, ma mère assise à table, triste, elle pleurait et je ne savais pas pourquoi. Lorsque j'ai demandé ce qu'il se passait je revois encore son visage devenir encore plus triste pour m'annoncer que tu avais un cancer. En effet, tu avais été envoyée d'urgence à l’hôpital la veille ou dans la journée je ne sais plus trop. Après 4 visites chez le médecin, le quatrième étant un différent du précédant, il t'avait fait hospitaliser d'urgence. Sur le moment je n'ai pas bien réalisé je crois, j'avais seulement 14 ans, 15 peut être, dans ma tête d'adolescente je ne réalisais pas encore ce que tout cela voulait dire.
Les signes avant coureur ? De l'eau dans l'abdomen, une quantité non qualifiable de se que j’appellerais "eau" mais qui devait sans doute être un autre liquide que je n'ose pas imaginer. Au moment de ton hospitalisation, ils ont retiré 8 litres. Je vous laisse imaginer 8 bouteilles d'eau d'un litre alignées par terre.
A alors commencé un bal de rendez-vous chez le médecin, à l’hôpital, en chimiothérapie et j'en passe. Toujours plus de piqûres, de prises de sang, d'analyses, de tout, de rien. Et pourtant la vie continuait, je venais te voir tout les mercredi, voir plus, comme avant, tu t'affairais à tes taches, ta couture, tu passais ton temps à ça. Coudre, tricoter, broder, tu savais tout faire de tes mains. Après une période d'hospitalisation dans une "maison de repos" tu es enfin rentrée chez toi, la vie a repris son cour, et tu ne te plaignais jamais, pourtant, tu souffrais.
Heureusement, il y avait tes filles pour te soutenir, te remonter le moral lorsque tu baissais les bras, notamment ma marraine "Aller maman, tu baisses pas les bras, tu vas t'en sortir d'accord ? Tu vas t'en sortir et on va le tuer ce putain de cancer". Je crois que c'est grâce à ça que tu as réussi à tenir un peu plus d'un an et demi. Tu avais l'espoir. Et l'espoir fait vivre, ça n'a jamais été aussi vrai.
C'est étrange à dire, mais je crois que cette boule de poil t'a aussi donnée de l'espoir. Dès que j'arrivais avec la chienne dans les bras, elle sautait et allait directement se mettre sur tes genoux, pour ton plus grand bonheur.
Il y avait des rituels. Le petit beurre au goûter, une gamelle de pâte lorsqu'on venait manger le mercredi midi. Des petites choses qui te mettaient en joie, on ne te les aurait enlevées pour rien au monde.
Les animaux sont bien plus intelligents que nous. Elle aussi savait que tu n'allais pas bien. La veille de ton départ, c'est à peine si on arrivait à te l'enlever des bras, elle ne voulait pas te quitter. Elle savait ce qui se passait, ne voulait pas t'abandonner.
Bien sûr qui dit cancer, dit chimiothérapie, dit perte de cheveux, de poids, de vie. Très vite tu es devenue toute maigre, tu as perdu tes cheveux, tu avais toujours un air fatigué sur le visage. On a voulu faire les choses bien, on t'a trouvée une perruque, qu'on a fait recouper pour qu'elle t'aille comme il faut. Tu avais besoin de retrouver un peu de féminité. Quand j'étais petite, tu mettais toujours du rouge à lèvres ne serait-ce que pour aller me chercher à l'école.
Après plusieurs mois de lutte, de passage à l’hôpital, de chimiothérapie, il y a eu enfin quelques signes d'espoir. La maladie avait l'air de se stabiliser. Tu avais gagné une bataille mais pas la guerre, loin de là. Toutefois, une période d’accalmie avait pris place. Peu à peu tes cheveux ont commencé à repousser. Un fin duvet sur le crâne, pas grand chose mais c'était déjà ça. Nous avions même fêté noël chez toi avec toute la famille, le dernier que nous avons fait ensemble. Et dans ma tête je savais malheureusement que c'était le dernier, je le sentais.
Pendant environs 3 ou 4 mois, tu es allée mieux. Ce n'était pas non plus la grande forme mais c'était déjà ça. Tu reprenais tes activités à la maison, de la broderie, du tricot, ce que tu faisais avant. Comme le printemps, tu reprenais vie peu à peu avec la saison. Mais comme un bourgeon qui est surpris par le gel, cette phase fut bien trop courte.
Très vite tu as commencé à redevenir fatigué. On le voyait sur ton visage, tu étais lasse, tu n'en pouvais plus. Vous avez alors décidé avec mon grand père de partir une semaine dans la famille. Tes dernières vacances avant de revenir à la case départ, sans repartir.
Ta sœur nous avait prévenu "votre maman est très fatiguée". Tu recommençais à avoir mal au ventre, un peu partout d’ailleurs. La nouvelle bataille avait commencé, une bataille que tu gagnerais pas cette fois. Retour chez le médecin, retour à l’hôpital. De nouveau, on t'enlève de "l'eau" de l'abdomen. Ce n'est même plus de l'eau, c'est un liquide jaunâtre, du pus. Définitivement, ça ne va pas. Pas du tout même. Les médecins te prescrivent de nouvelles séances de chimiothérapie. Cette fois pendant plusieurs jours d'affilés, c'était insensé. Personne ne pouvait survivre à de telles séances aussi rapprochées, encore moins en étant aussi affaiblie.
Je m'en souviendrais toujours, nous étions dimanche après midi, toute la famille était réunie dans le salon, toi allongée sur la canapé, affaiblie. Tu avais froid alors qu'il faisait au moins 25 degrés dans la pièce. On t'apporte des couvertures. Et tu essaies tant bien que mal de trouver une position confortable. Cette fois tu as mal partout, jusque dans les os. Ma chienne que tu adorais tant se niche sous tes genoux, roulée en boule et refuse de bouger. Tu devais avoir rendez-vous le jeudi à l’hôpital pour des examens. Je l'ai appris après, tu avais dit à ma tante que tu n'irais pas à ces examens, tu savais que tu ne tiendrais pas jusque là.
Au moment de partir, j'ai du prendre ma chienne dans mes bras pour qu'elle vienne avec nous, elle repartait à chaque fois avec toi, refusant de bouger, elle te veillait. Tu m'as regardée et tu m'as dis "tu viendras mercredi avec June hein ? Vous viendrez toutes les deux ?". Ce à quoi j'ai répondu "oui on viendra mercredi, avec Juju". C'était notre dernier échange, les derniers mots que tu m'as dis et moi dans ma tête j'avais la désagréable impression qu'on ne se verrait pas mercredi.
Le lendemain matin le téléphone a sonné. J'étais encore au lit à ce moment là, je me suis relevée d'un coup, pris d'une décharge d’adrénaline inexplicable. Pourtant ce n'était pas si rare que ça que le téléphone sonne si tôt. Il fallait que ma mère vienne. Vite chez toi. Tu n'allais pas bien, vraiment pas bien cette fois.
Je l'ai appris ensuite, tu étais tombée dans le couloir en te levant le matin. Impossible de te relever, tu n'avais plus de force. Tu ne pouvais plus te tenir. L'infirmière qui venait tout les matins te voir pour te faire tes piqûres est arrivée peu après et a aidé ma tante à te relever, à te mettre sur le lit. Même les pompiers ont eu du mal à te faire descendre l'étage, à te garder un minimum consciente.
Je crois que l'être humain a la capacité de savoir quand les dernières heures d'une personne sont arrivées. Par intuition peut-être. Je n'en sais rien. Du moins, étrangement je savais que c'était la fin. Ce fut la pire journée de ma vie mais également la plus longue.
Le soir venu, nous avions quelques nouvelles. Tu avais repris connaissance mais ce n'était pas ça quand même. Tes filles étaient venues te voir, tu étais consciente, tu tenais une conversation. Pourtant tu souffrais, et même là tu ne t'es pas plainte. Jamais. La seule chose que tu as demandé, c'est ton réveil, toi qui avait toujours l'heure au poignet. "La nuit va être longue". Et elle le fut.
20h : Chambre de réanimation, on nous appelle si il y a du changement. Moi de mon côté je me suis réfugiée dans le jardin, pleurant de façon incontrôlable.
22h30 : C'est définitivement la fin. Il faut venir. De mon côté je ne viens pas, je ne veux pas avoir d'image de toi comme cela. Je garde mon cousin pendant que papi et mes tantes vont te voir. L'infirmière de son côté, alors que tu n'es presque plus consciente, te dit que tes enfants arrivent. A ce moment là, tu reprends un peu vie, le dernier souffle de vie en attendant que ta famille arrive.
23h : The End.
Et maintenant vous allez me dire. Mais à quoi cela sert que je raconte tout cela ?
Je ne sais pas si cela aura grand intérêt pour vous. Si aucune personne de votre famille proche n'a souffert d'une maladie grave, cela vous sera peut être égal. Dans le cas contraire vous comprendrez un peu ce que je ressens.
Cela fait deux ans que je vis avec ce manque. Comme lorsqu'on vous a arraché une partie de vous mêmes. J'avais un besoin crucial de raconter tout cela, de témoigner. Peut être que des gens qui ont vécu des choses similaires se reconnaîtront dans cette histoire, si c'est le cas, n'hésitez pas à me faire signe.
Je sais aussi que des personnes de ma famille liront sans doute cet article. Des personnes qui ont vécu la même chose que moi. Mais aussi des amis et plus. Je ne m'en cacherais pas.
Et maintenant mamie c'est à toi que je m'adresse. J'ai l'infime espoir que de là où tu es il y a une connexion haut débit et que tu pourras lire ces quelques lignes.
Toi qui fut ma deuxième maman, chez qui j'ai passé toute mon enfance, mon adolescence, des après-midi et des vacances entières chez toi, à faire des crêpes, des mots croisés ou alors quand tu m'apprenais à coudre ou que je te regardais faire. Là où je fis mes premiers pas, fis mes premiers devoir de CP quand je rentrais de l'école, que tu tenais mon sac à la main pendant que je courrais devant, que tu me répétais de ne pas faire l’imbécile, que j'allais me faire mal. Toi qui m'appris à dessiner, peindre et bien plus encore. Moi qui t'accompagnais chez l'épicier chercher le pain. Chaque fois tu rencontrais quelqu'un que tu connaissais et tu disais fièrement "c'est ma petite fille" avec ce regard rempli d'affection. Sache que je garde tout ces souvenirs, que je ne veux pas les oublier, je les garde précieusement.
Voilà deux ans que tu me manques, que je pense à toi, plus tout les jours comme avant, mais presque. C'est avec un regard triste que je regarde le rayon loisir créatif de la librairie où je travaille en me disant que tu aurais adoré cet endroit et que tu aurais été fière de ce que je fais.
J'espère que de là où tu es, tu es en paix, et sache que je ne t'oublierais pas. Jamais.
Et pour finir. A toutes les personnes atteintes d'une maladie grave, ou qui ont des malades dans leur famille. Ne baissez jamais les bras, battez vous autant que vous pouvez et gardez espoir.
L'espoir fait vivre. Sans espoir cela n'aurait pas été possible.