Je vais rester (Lewis Trondheim – Hubert Chevillard – Editions Rue de Sèvres)
L’histoire se passe en plein été à Palavas-les-Flots, une station balnéaire très fréquentée du sud de la France. Fabienne et Roland débarquent de Châteauroux pour une semaine de vacances. Sans enfants et entre deux âges, ils forment un couple tout ce qu’il y a de plus banal. Un peu maniaque, Roland a organisé leur séjour dans les moindres détails. Il a tout réservé et payé à l’avance, et a soigneusement noté dans un carnet tous les moments les plus importants de leur semaine à Palavas, du village des vignerons aux joutes nautiques en passant par la démonstration de danse country. A priori, cela s’annonce vraiment comme une belle semaine, d’autant plus que le ciel bleu et le soleil sont évidemment au rendez-vous. Mais un grain de sable va venir perturber cette mécanique bien huilée. Ou plutôt une bourrasque de vent. Alors que Fabienne et Roland décident d’aller faire un tour au bord de la mer avant de déposer leurs bagages dans leur appartement de location, un accident tragique survient. Un terrible coup de vent fait voler un auvent en métal qui était mal attaché. En une fraction de seconde, Roland est purement et simplement décapité… et Fabienne se retrouve veuve. Elle a alors une réaction un peu étrange. Au lieu de rentrer à Châteauroux pour enterrer son mari, elle décide de rester sur place et de faire tout ce que Roland et elle avaient prévu de faire… comme si de rien n’était!
Pour faire une bonne BD, il faut réussir à surprendre le lecteur. Ca tombe bien, parce que le roman graphique « Je vais rester » y parvient à merveille. Grâce à son scénario, bien sûr, qui fait totalement basculer le récit après seulement cinq pages. Mais aussi grâce à l’identité de son scénariste. Car, là aussi, c’est une surprise. En lisant cet album, on a du mal à imaginer que c’est une histoire écrite par Lewis Trondheim. Le créateur touche-à-tout des Formidables Aventures de Lapinot nous a habitué à des scénarios beaucoup plus bavards et fantasques dans ses autres BD, il nous étonne donc avec cet album sans artifices, presque intimiste, dans lequel il mélange des moments burlesques avec des moments beaucoup plus graves. La manière dont Fabienne vit le deuil de son mari est souvent désarçonnante, mais elle est touchante et mystérieuse. C’est précisément cette attitude qui donne à « Je vais rester » une ambiance très particulière, un peu hors du temps. Sans avoir l’air d’y toucher, Lewis Trondheim nous questionne sur le sens de la vie. Le mérite en revient évidemment aussi au travail du dessinateur Hubert Chevillard, qui parvient magnifiquement à restituer la vie très agitée d’une station balnéaire en plein été, grâce notamment à de nombreuses cases sans dialogues. Ne dit-on pas que les images sont souvent plus fortes que les mots? Les dessins colorés et vivants de Chevillard créent en tout cas un contraste très fort entre les touristes pleins de vie d’un côté et la pauvre Fabienne de l’autre. « Je vais rester » est une BD toute simple, qui plaira à coup sûr à ceux qui apprécient les récits doux-amers et pleins d’humanité.