Peut-on encore parler de femmes de lettres à propos d’écrivaines qui destinent leurs textes à la musique et à la scène ? Parions qu’oui ! Dans cet article, il sera question de trois femmes de scène autant que de livre.
1. Tiger Lion
Et d’abord je voudrais rapprocher les noms de deux compositrices-interprètes. La première, Tiger Lion, est une chanteuse angevine vivant à Londres. Pour la définir, la musique passe sans doute avant le texte, mais ses spectacles mêlent tous les médias. Or elle publiait cette année un livre autonome, miscellanées de paroles de chansons, poèmes et photographies, à propos des montagnes : beyond the mountains. Tiger Lion a chanté l’an dernier à la cathédrale d’Exeter, et la montagne est dans ce livre une autre forme de cathédrale, hautes pierres opposant leur silence magistral au matérialisme contemporain.
Souvent les photographies ont été prises en Irlande, l’île des esprits celtes et des korrigans. Croire aux montagnes, se persuader qu’il existe quelque grandeur en elles et en nous-mêmes, et quelques esprits anciens cachés à travers elles et nous : ce livre nous y amène tout à la fois, et nous appelle à résister au scepticisme ennuyé comme à la paralysie contemplative. La parole lyrique, chez Tiger Lion, montre par quels chemins on traverse les montagnes.
2. Séverine Daucourt-Fridriksson
Séverine Daucourt-Fridriksson est connue d’abord comme poétesse, et le recueil Dégelle (La Lettre Volée, 2017) a fait beaucoup parler d’elle. C’est un recueil qui tord et décompose les formules toutes faites à propos des hommes et des femmes, pour aboutir à un « dégel » des relations diplomatiques entre les sexes. Cette glasnost des genres s’appuie sur une conception émancipatrice de l’érotisme, qui me paraît légèrement datée. « Mai 68 » a été suivie immédiatement de « 69 année érotique », et ce n’est pas pour rien : la séduction et la libération des habitus corporels furent les fers de lance de la révolution sociale ces années-là. Mais je crois qu’aujourd’hui la jeunesse pudique se rassemblera sous d’autres drapeaux.
Séverine Daucourt-Fridksson donne donc des concerts, où elle chante des chansons d’amour entrecoupées de lectures de poèmes de Dégelle, proposant ainsi d’admirables réponses à cette question brûlante : peut-on encore fredonner des chansons d’amour à l’heure du féminisme de masse ? Je l’ai entendue à la Maison de la Poésie, le 25 mai dernier, dans la petite salle intimiste du sous-sol, où elle semblait tout à fait dans son élément.
3. Marie-Claire Bancquart
Marie-Claire Bancquart n’est nullement une femme de spectacle, mais j’en parle ici parce que je l’ai entendue sur la scène de la Maison de la Poésie le 28 mai dernier, dans la périphérie du marché de la Poésie, place saint Sulpice (c’est jusqu’au dimanche 10 juin : courez-y !). Son mari Alain Bancquart, compositeur, avait mis en musique plusieurs de ses poèmes : il expliquait entre autres que la collaboration entre poètes et musiciens était strictement impossible, vue que les musiciens avaient besoin du poème à l’état fini pour commencer à travailler dessus. Quoiqu’il en soit, Marie-Claire Bancquart n’est plus tout jeune (étant née en 1932), et c’était merveilles de la voir, merveilles de l’ouïr.
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